Spectacle musicalYolande Moreau et Christian Olivier illuminent Prévert
Mercredi et jeudi, le Vélodrome puis Le Reflet accueillent la fabuleuse comédienne et son truculent compère des Têtes Raides, pour dire et chanter le poète. Coup de fil à Monsieur Olivier.

Yolande Moreau et Christian Olivier disent et chantent Prévert. Leur passage en Suisse, mercredi 14 décembre à l’Espace Vélodrome de Plan-les-Ouates puis jeudi 15 au Théâtre du Reflet à Vevey, s’annonce prodigieux.
La comédienne. Le musicien. Elle, la figure cramoisie des Deschiens, l’incarnation cinématographique du prolétariat flamboyant, la «Séraphine» de Martin Provost, histoire véridique de la peintre sans diplôme. Lui, le leader des Têtes Raides, figure centrale du chansonnier néoréaliste à la française, bientôt quarante ans à rebours du condiment télévisuel de la variété, son antithèse même, accordéon et violoncelle sur les pavés.
L’amour, la guerre, l’absurde
Deux monstres se mettent ensemble à l’ouvrage. La rencontre se consomme nécessairement sur les scènes, comme un théâtre. À l’origine, cependant, un petit bout de ce qui suivit est bel et bien apparu sur disque.
En 2017, le leader des Têtes Raides interprétait en solitaire le poète qu’on dit familier. Les textes réunis à cette enseigne se transformaient en musique sous la houlette du bateleur. Ainsi «L’ordre nouveau», «Rue de Seine» ou «Le concert n’a pas été réussi». Rien de la comptine des classes d’écoles, mais les visions autrement plus sombres, terribles, de l’écrivain pour adultes, décrivant, outre les complexes de l’amour, la guerre, l’étranger, l’immigration, le racisme encore, la religion aussi, l’absurde évidemment.
«Des envies de Prévert, autant du côté de Yolande Moreau que du mien, ça ne date pas d’hier.»
Surgissaient à mi-temps d’un disque lent, délicatement habillé d’instruments acoustiques, «Les feuilles mortes», sur un air fameux composé par Kosma. Et la voix chaude et profonde de Christian Olivier de se retrouver en compagnie, déjà, de Yolande Moreau, chant susurré en contrepoint. Superbe et fragile.
Cinq ans ont passé depuis le disque. Les choix de Christian Olivier restent les mêmes, à peu de chose près. À présent, Yolande Moreau a fait les siens, comme nous l’explique le chanteur. «Des envies de Prévert, autant du côté de Yolande Moreau que du mien, ça ne date pas d’hier. Comme d’autres auteurs, il fait partie de mon chemin.»
Humour partagé
Mettre en musique les vers de «l’anarchiste de cœur», Christian Olivier s’y attelle depuis ses débuts. S’il ne fallait garder qu’une référence dans la mise en musique du poète, prière de citer Serge Reggiani: fameux double album, récité, certes, mais dûment accompagné, «Poètes 2 & 3», paru en 1973. Sur la pochette, Reggiani clope au bec, comme on voyait Prévert sur les photos.
«Avec Yolande, on devait faire une lecture, en Suisse. On a monté un petit spectacle. Instinctivement, je me suis mis à composer.» Leurs deux univers se sont accordés. «On se rencontre sur quelque chose de très simple, et cash. On ne tourne pas autour du pot. Je crois que nous avons également des sensibilités communes, sur l’humour, le second degré, une certaine idée de la beauté aussi, quand on parle de la musique, de la manière de dire les textes. De même que le respect de l’auteur. Il s’agit pour nous de mettre les textes en lumière en restant le plus sobre possible.»
De Yolande Moreau et Christian Olivier, voir ensuite leurs trajectoires personnelles, artistiques également, qui ne sont pas éloignées l’une de l’autre. Elle qui a rejoint le théâtre en restant proche de l’imaginaire populaire. Lui, Français né au Mali, au style également brut mais élaboré. Tous deux proches de la rue, du sale, qui peut être noble, du zinc aussi, qui peut donner des idées.
«C’est pour cela que nous sommes les amis de Prévert. Ceux qu’il décrit, ce sont les petites gens, ceux qu’il voit dans la rue, les cafés, cette populace, ce populaire, oui. Voilà où il a vécu, ce qui l’a nourri, et qu’il nous redonne.»
Les petites gens
Des petites gens, alors. Les plus nombreux ici-bas, mais ceux et celles qu’on oublie, qu’on ne regarde ni qu’on écoute. Laissés au bord de la route, sur le trottoir, complète Christian Olivier. «Eux aussi, il est essentiel de les mettre en lumière.»
Autour de Prévert, cette sensibilité partagée se précise. «C’est l’humain, c’est l’autre. Se mettre dans la peau de l’autre. C’est comme cela que les choses peuvent émerger et bouger. En se rendant compte de ce qu’il se passe chez le voisin.» Y compris quand il est dans la misère. «Bien entendu! À tous les niveaux, les fenêtres sont ouvertes. Comme à toutes les cultures.»
«Tout ce que j’ai pu vivre dans mon éducation vient essentiellement de la rue. Ça n’empêche pas d’aimer la littérature.»
Yolande Moreau, issue d’un milieu modeste, élevée par les bonnes sœurs, cancre à l’école, mais «qui se prenait pour Rimbaud», disait-elle à «Télérama». D’extraction populaire, comme son compère. «Tout ce que j’ai pu vivre dans mon éducation vient essentiellement de la rue, raconte Christian Olivier. J’ai beaucoup traîné dans les cafés. Ça n’empêche pas d’aimer la littérature.»
Voir Jean Genet, Vladimir Mayakovskiy, Jean Dubillard, les surréalistes encore. L’absurde, dont il est question dans les textes de Jacques Prévert revient au galop. L’absurde, pour ne pas devenir fou? «Pour trouver le sens dans le non-sens.»
Prévert par Yolande Moreau et Christian Olivier, mercredi 14 décembre, 20 h, Espace Vélodrome, Plan-les-Ouates et jeudi 15 décembre, 20 h, Théâtre du Reflet, Vevey.
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