Washington fait vaciller l'OMC, la direction craint le pire
L'Organisation mondiale du commerce nous dévoile ses fragilités, tandis que Donald Trump sape le multilatéralisme.

Donald Trump multiplie les annonces de lourds droits de douane sur des marchandises importées. Certains d'entre eux, sur l'acier et l'aluminium, sont déjà entrés en vigueur. Depuis le 23 mars sur les cargaisons en provenance de Suisse et le 1er juin pour celles venant de l'Union européenne. Le 45e président des États-Unis commence ainsi à mettre à mal les principes fondamentaux du multilatéralisme, développé depuis 1948 et incarné par l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Le travail de sape mené par Washington au sein de l'ex-GATT a cependant commencé avant l'élection de Donald Trump. Aujourd'hui l'OMC, domiciliée à Genève, nous confirme que sa mission est en danger. La menace s'étend donc à l'économie mondiale.
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Les agressions diplomatiques commises récemment par Donald Trump aux dépens de l'Union européenne, de la Suisse, du Canada, du Mexique ou de la Chine populaire s'ajoutent à l'opération de blocage d'un organe central de l'OMC, menée par la Maison-Blanche depuis plusieurs années. Les États-Unis empêchent le remplacement des juges au sein de l'Organe d'appel (OA), lié à l'Organe de règlement des différends (ORD). En quelque sorte le tribunal de seconde instance de l'organisation.
«Ces deux dernières années, trois juristes ont quitté leur poste dans l'OA. Et ils n'ont pas eu de successeur, du fait de préoccupations exprimées par les États-Unis», indique le porte-parole de l'OMC, Keith Rockwell.
Le délai avant la rupture
L'heure est donc grave pour l'organisation, en fonction depuis le 1er janvier 1995, à l'issue du fameux cycle de négociations intitulé Uruguay Round. «En décembre 2019, les mandats de deux autres juristes expireront. Si nous ne trouvons pas de solution d'ici là et que nous nous retrouvons avec un seul juriste, l'OA ne pourra alors plus fonctionner. Les répercussions se feront alors sentir aussi bien dans le règlement des différends que dans le système global de l'OMC», prévient Keith Rockwell.
Le directeur général de l'OMC, Roberto Azevêdo, estime lui-même que, faute de solution, ledit système cessera déjà de fonctionner dans quelques mois. «Le gouvernement américain peut donc prendre l'OMC en otage», estime Clément Marquet, chercheur en droit international public à l'Université de Genève.
Les structures internes de l'organisation sont donc menacées. Et Donald Trump attaque en plus frontalement une œuvre entamée depuis septante ans: le multilatéralisme. Cette politique économique internationale a vu le jour en 1948, lors de l'entrée en force de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT). Roberto Azevêdo rappelle la dimension des enjeux: «L'exportation de biens et de services contribue actuellement à 28% du PIB (produit intérieur brut) mondial. La stabilité des échanges commerciaux constitue dès lors une des principales bases dans l'élaboration de plans économiques ou financiers dans le monde.»
Roberto Azevêdo présente en plus volontiers le multilatéralisme comme un moteur de croissance des exportations, s'inscrivant dans le présent: «En 2017, la progression la plus rapide depuis six ans a pu être observée: la croissance globale des exportations a atteint 4,7% dans le monde, 10,7% en Asie, 7,3% en Amérique du Nord et 13% en Amérique du Sud. Une forme de croissance synchronisée que nous n'avions pas vue dans le monde pendant une décennie.»
Le contexte actuel ne permet cependant pas de céder à l'euphorie. Donald Trump a annoncé, vendredi dernier, qu'il allait imposer 25% de surtaxes sur 50 milliards de dollars (49,725 milliards de francs) d'importations en provenance de Chine populaire. La patrie de Mao et l'Union européenne ont bien sûr pris soin du moral de leurs propres citoyens. Leurs autorités, comme celles du Canada ou du Mexique, ont promis de répliquer avec leurs propres mesures de rétorsion contre les États-Unis. De telles mesures, d'où qu'elles viennent, sont évidemment en totale contradiction avec les fondements originels de l'OMC. Sont-elles illégales pour autant, comme le prétend le président français, Emmanuel Macron, en parlant des droits de douane perçus chez l'Oncle Sam sur l'aluminium et l'acier européens? C'est relatif.
Chaque État se dote en effet d'une bonne excuse pour justifier chaque surtaxe. Donald Trump a pour sa part invoqué des risques pesant sur la sécurité nationale, du fait de déficits commerciaux en constante augmentation. Ses adversaires, les principaux partenaires commerciaux des États-Unis, pourront réagir, entre autres, comme dans une cour d'école: ils insisteront sur le fait que ce ne sont pas eux qui ont commencé.
Tout cela nuit, quoi qu'il en soit, aux vertus économiques du multilatéralisme. Le système de règlement des différends de l'OMC a précisément été mis sur pied en 1994 pour éviter de telles escalades de mesures, suivies de contre-mesures. Mais les États-Unis bloquent la nomination de nouveaux membres de l'organe d'appel du règlement des différends de l'OMC.
Gros risque pour la Suisse
«Du coup, Washington paralyse de fait ce mécanisme», observe Nicolas Levrat, directeur du Département de droit international public à l'Université de Genève. Dans ce contexte, David Dorn, professeur d'économie à l'Université de Zurich, rappelle que la Suisse se trouve particulièrement exposée: «Ce pays réalise en effet aux États-Unis de spectaculaires excédents de commerce extérieur. Les exportations de la Suisse chez l'Oncle Sam sont ainsi 2,5 fois supérieures à celles de ses importations en provenance des États-Unis.»
Et si l'OMC vacille, sa présence à Genève ne risque-t-elle pas d'être remise en cause? «Si le système s'effondre, Genève redevient une riche et paisible bourgade lémanique. En d'autres termes, l'enjeu global du système multilatéral a aussi une dimension essentielle pour cette ville», estime Nicolas Levrat.
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