Voici quelques années qu’on nous promet l’arrivée de la voiture autonome, une voiture qui résoudrait à la fois l’ennui de conduire et le risque d’accident, mais aussi les embouteillages et pollution. La voiture autonome signerait la fin de la voiture traditionnelle. Ambition qui rappelle la «télématique» des années 80 qui annonçait la fin du travail. On y repère la même idéologie postulant que la technologie peut résoudre tous les problèmes, y compris ceux qu’elle pose elle-même.
Sauf que la technologie est transparente plus que transformante: elle disparaît derrière le but qu’elle permet d’atteindre. Le marteau s’efface derrière le clou, l’ampoule derrière la lumière, la machine à laver derrière le linge propre. Et quand la technologie transforme le monde, c’est rarement pour résoudre ses vieux problèmes.
Or les anticipations technologiques consistent à remplacer la transparence par une transformation conforme à nos vœux, conférant ainsi à la technologie le pouvoir magique de résoudre les problèmes contenus dans les buts qu’on lui fixe, comme une calculatrice qui déciderait des arbitrages budgétaires ou une machine à coudre qui prescrirait la mode.
Mais la technologie est moins une solution qu’une accélération. Elle peut même devenir contre-productive, passé un certain seuil de développement: trop de médecine rend malade, trop d’école rend bête, trop de voitures immobilise. La technologie ne détermine pas la bonne route mais nous fait aller plus vite dans le mur, quand on n’a pas pris les bonnes décisions au préalable.
Et pourtant, on continue à parier sur une technologie qui rationaliserait le monde. C’est qu’il est plus facile de changer un objet qu’un comportement. Les bienfaits du changement sont en effet moins perceptibles que les sacrifices qu’il requiert à court terme. Il faut accepter de fâcher des gens qui voient les ralentisseurs, les amendes, les rétrécissements de voie, mais pas la baisse de la mortalité, de la pollution et du bruit. La ceinture de sécurité fut ainsi âprement contestée dans les années 70, alors qu’elle divisait par deux et demi la mortalité routière.
Et contre ce pactole introuvable, on demande aux individus de sacrifier ce qu’ils ont de plus précieux: leur propre puissance. Car s’ils ne sont plus les symboles statutaires des débuts (c’est aujourd’hui plutôt l’inverse: les pauvres vont en voiture, les riches vont à vélo), les véhicules motorisés demeurent des machines sans équivalent dans la démultiplication de la puissance individuelle, à la manière d’une arme à feu.
Difficile d’y renoncer. Essayez donc de priver certains motards du bruit de leur machine, ou de brider les voitures à 130 km/h. Vous aurez les mêmes difficultés que pour interdire les armes aux États-Unis.
Voilà comment la voiture autonome est devenue le prétexte à l’inaction: au lieu d’éduquer les conducteurs, on rêve de les débrancher. Or des mesures de bon sens réduiraient mécaniquement les accidents: ralentisseurs, interdiction des moteurs bruyants, bridage des véhicules, répression des comportements dangereux à vélo, trottinette et autre hoverboard. La politique passe par l’action sur les gens, non l’espoir dans des talismans.
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L’invité – Voiture autonome: le revers de la médaille