Fact-checking sur l'Ukraine – Cet ex-officier a prédit les problèmes de l'invasion russe
Ce que Twitter, Instagram et les autres réseaux sociaux montrent de la guerre et ce qu'ils ne montrent pas. Éclairages et explications.
L'apparition de Mikhaïl Khodarjonok à la télévision d'État russe, en début de semaine, a été remarquable. «Des rapports font état d'un effondrement moral et psychologique des forces armées ukrainiennes. Ils sont tout simplement faux», a déclaré l'ancien officier supérieur de l'armée de l'air, lors de l'émission «60 minutes» de la chaîne Rossiya 1, lundi.

À la suite de cela, la présentatrice de l'émission, Olga Skabejewa, a rappelé: «Mais il y a des unités individuelles qui font état de difficultés financières. Cela a quand même des répercussions sur toute l'armée.» Si Mikhaïl Khodarjonok a répondu qu'il était d'accord, il a néanmoins attiré l'attention sur le «grand ensemble». L'armée ukrainienne n'aurait aucun problème à mobiliser et à armer un «million de personnes».
S'exprimant de la sorte, Mikhaïl Khodarjonok contredit le récit officiel du gouvernement russe, qui ne cesse de dépeindre une armée ukrainienne désorganisée et mal équipée. Une chose rare à la télévision contrôlée par l’État. Raison pour laquelle ces déclarations ont fait les gros titres des principaux médias occidentaux comme le «New York Times», «The Guardian» ou le «Frankfurter Allgemeine Zeitung».
Une analyse pertinente avant l'invasion
Ce n'est pas la première fois que Mikhaïl Khodarjonok adopte une position contraire à celle des dirigeants russes. Début février déjà, trois semaines avant que les premières troupes n'envahissent l'Ukraine, l'analyste militaire avait mis en garde, dans un article paru dans le journal moscovite «Nezavissimaïa Gazeta», contre l'idée irréaliste d'une guerre éclair réussie. «S'attendre à détruire d'un seul coup les forces armées d'un État entier relève tout simplement d'un optimisme sans limite.»
Dans son analyse, l'homme de 68 ans avait énuméré et décortiqué une série d'hypothèses erronées qu'il avait observées au sein du commandement militaire russe. Elles se lisent comme les prédictions d'un oracle.
L’armée de l'air ukrainienne ne pourra pas être éliminée aussi rapidement. Certes, de nombreux avions de combat et hélicoptères ukrainiens ont été détruits au cours des premiers jours de l'invasion. Néanmoins, les Ukrainiens effectuent toujours des missions avec succès. La souveraineté aérienne de l'armée de l'air russe, qui n'est que partielle, rend l'avancée des troupes au sol dangereuse.
L'Occident apportera une aide militaire massive. Comme prévu, les pays de l'OTAN n'ont pas envoyé de troupes au sol pour combattre, mais ont livré des systèmes d'armes modernes et des munitions pour une valeur de plus de 40 milliards de dollars. L'armée ukrainienne peut ainsi se maintenir beaucoup plus longtemps que ne le pensaient les dirigeants russes.
L'armée ukrainienne s'est modernisée depuis 2014 et offre une forte résistance. Il est possible que les militaires russes aient eu en tête l'état de désolation des forces armées ukrainiennes, qui ont subi de lourdes pertes en 2014 face aux séparatistes soutenus par la Russie. Mais la situation actuelle le montre: l'armée ukrainienne est tout à fait capable de rivaliser avec les forces armées russes.
Les opérations militaires dans les zones urbaines sont difficiles et ne peuvent être menées qu'au prix de lourdes pertes. L'échec de l'assaut sur Kiev en est un exemple. Au début de l'invasion russe, on pensait que la capitale tomberait en quelques jours. Mais l'avancée russe s'est heurtée à des positions bien fortifiées. Le principal convoi de ravitaillement et d'armes lourdes a en outre été victime de frappes d'artillerie ukrainiennes, d'attaques de drones et d'embuscades. Après des semaines de combats intenses dans la banlieue de Kiev, les troupes russes se sont retirées du territoire de la capitale.
En somme, l'ex-militaire avait ainsi prédit assez précisément le déroulement de la guerre.

L'invasion mal dirigée a conduit la Russie à «l'isolement géopolitique», poursuit Mikhaïl Khodarjonok dans la remarquable intervention télévisée de lundi. «Nous devons être conscients que notre situation ne fera que s'aggraver». La Russie doit conserver un réalisme militaro-politique, sinon la réalité des événements frappera le pays si durement «que nous le regretterons».
Et maintenant, le revirement?
Hier, mercredi, Mikhaïl Khodarjonok est réapparu sur Rossiya 1, mais il a soudain changé de discours. Il ne ferait aucun doute que les troupes russes vont détruire les positions ukrainiennes. «Bientôt, il ne restera plus que le souvenir des obusiers américains.» Des images de frappes d'artillerie sur les obusiers M777 fournis à l'armée ukrainienne par les États-Unis ont été montrées pour accompagner son témoignage. L'ancien officier de l'armée de l'air évoque en outre des «rumeurs» selon lesquelles l'Ukraine aurait reconquis des territoires. De telles contre-attaques seraient des «exagérations massives».
Certains observateurs interprètent cela comme un revirement et supposent que Mikhaïl Khodarjonok a reçu l'ordre de se retenir de toute critique publique. D'autres sont convaincus que les responsables de la chaîne publique étaient parfaitement conscients de la personne qu'ils faisaient intervenir dans l'émission. La critique, à première vue remarquablement ouverte, servirait à atténuer les attentes d'une victoire globale en Ukraine et à rallier ainsi la population russe à un récit plus réaliste.
Hannes von Wyl, publié le 20 mai 202
Marianna Vyshemirsky est devenue célèbre d'un seul coup. La photo la montrant enceinte jusqu'au cou et se faisant évacuer d'une maternité bombardée à Marioupol a été diffusée dans le monde entier. Lors de l'attaque aérienne russe sur le bâtiment en question, le 9 mars dernier, quatre personnes ont été tuées et un bébé est mort-né.

Le gouvernement russe a nié l'attaque et a lancé une campagne de désinformation visant à saper la crédibilité de Marianna Vyshemirsky. La campagne a eu du succès, Marianna Vyshemirsky a été couverte de commentaires haineux sur les réseaux sociaux, comme elle le raconte à la journaliste de la BBC, Marianne Spring. C'est la première interview que l'Ukrainienne a accordé aux médias occidentaux depuis son évacuation de Marioupol. «J'ai reçu des menaces selon lesquelles ils allaient me trouver et me tuer, qu'ils allaient découper mon enfant en morceaux», raconte Marianna Vyshemirsky.
Elle serait actrice, a-t-on également affirmé sur les canaux prorusses. Marianna Vyshemirsky aurait représenté deux femmes enceintes différentes, visibles sur des photos prises après la frappe aérienne. L'ambassade russe à Londres l'a donc qualifiée de «fake». Mais la deuxième femme, dont l'image a été publiée en première page de nombreux journaux, est bel et bien une personne différente. Elle et son enfant à naître sont décédés plus tard, selon l'agence de presse AP.

La maternité aurait été utilisée comme quartier général par le bataillon ukrainien Azov, peut-on aussi lire sur les canaux prorusses. Cette ancienne milice, fondée en 2014 par des extrémistes de droite, sert depuis lors à Moscou de preuve de la prétendue infiltration de l'État ukrainien par des néonazis.
Or, selon Marianna Vyshemirsky, aucun soldat ukrainien n'était stationné dans la maternité où elle se trouvait au moment de la frappe aérienne, comme elle le dit à la journaliste de la BBC.
Toutefois, son témoignage contredit d'autres informations: Marianna Vyshemirsky assure qu'elle n'a pas entendu d'avions avant l'explosion.
Elle avait déjà fait cette déclaration, en avril, au blogueur prorusse Denis Seleznev, et la reconfirme aujourd'hui à la BBC. A l'époque, ses déclarations sur le bruit des avions et les soldats ukrainiens avaient été sorties de leur contexte et présentées par la Russie comme la preuve que l'attaque aérienne n'avait pas eu lieu.
L'agence de presse AP, qui s'est rendue sur place peu après l'explosion et dont le photographe est à l'origine des célèbres photos de femmes enceintes, cite toutefois des témoins oculaires qui ont entendu un avion. Sur un enregistrement vidéo réalisé peu avant l'explosion, on entend le bruit d'un jet. La frappe aérienne russe sur la maternité de Marioupol est désormais incontestée, en dehors de la propagande russe.
Marianna Vyshemirsky vit aujourd'hui dans sa ville natale du Donbass, qui est sous le contrôle des séparatistes prorusses. Le blogueur Seleznev était présent lors de l'interview de la BBC, mais n'est intervenu à aucun moment, selon la journaliste britannique.
Marianna Vyshemirsky a repris son compte Instagram comme avant le jour fatidique de Marioupol. Elle y fait la promotion de produits de beauté en tant qu'influenceuse. Dans sa dernière contribution, elle pose des questions sur la vaccination des bébés. Au sujet de sa fille Veronika, elle déclare à la BBC: «Elle a choisi un moment difficile pour apparaître, mais il vaut mieux qu'elle soit entrée dans la vie dans ces circonstances que pas du tout.»
Hannes von Wyl, publié le 19 mai 2022
Le 9 mai, les États de l'ex-Union soviétique ont célébré le jour de la victoire sur l'Allemagne nazie et, par conséquent, la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ce jour férié est également un jour de commémoration pour les 24 millions de victimes que la Seconde Guerre mondiale a imposées à l'Union soviétique. Aucune autre nation n'a subi de pertes aussi importantes durant cette guerre.
À l'occasion du 9 mai, le président ukrainien Volodymyr Zelensky, dont le pays faisait autrefois partie de l'Union soviétique, a posté sur son canal Telegram officiel dix photos de la guerre actuelle en Ukraine. Dans un texte sous les photos, un parallèle est établi, du point de vue ukrainien, entre le rôle de l'Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale et le rôle de la Russie dans la guerre d'Ukraine:
«En ce jour de victoire sur le nazisme, nous nous battons pour une nouvelle victoire. Le chemin pour y parvenir est difficile, mais nous n'avons aucun doute sur le fait que nous vaincrons. Quel est notre avantage sur l'ennemi? Nous sommes plus intelligents grâce à un livre. Il s'agit d'un manuel sur l'histoire de l'Ukraine. Nous ne saurions rien du deuil si tous nos ennemis pouvaient le lire et en tirer les bonnes conclusions.»
Le message est clair: l'Ukraine vaincra la Russie - tout comme l'Allemagne nazie a été autrefois vaincue par l'Union soviétique, pour laquelle des soldats ukrainiens se sont également battus à l'époque. Les images qui accompagnent le texte montrent des soldats ukrainiens du front, des civils avec des animaux domestiques, une famille qui attend dans un bunker, des volontaires qui distribuent de la nourriture, ainsi que des panneaux de bois qui isolent une statue de l'action de guerre.
L'image avec le symbole nazi a été retirée
L'article a toutefois été édité sans commentaire environ 30 minutes après sa publication, la première image ayant été supprimée de la série de photos. Depuis, seules neuf photos sont visibles sur le canal Telegram de Volodymyr Zelensky, les crédits photographiques continuant de lister dix photographes.

Sur Telegram, les publications peuvent être transmises à d'autres utilisateurs. Comme les modifications apportées ultérieurement aux messages déjà transférés ne sont pas automatiquement prises en compte, de nombreuses versions du message original avec les dix photos continuent de circuler sur le réseau.

En y regardant de plus près, on constate que la poitrine du soldat ukrainien de la première photo arbore la tête de mort de la 3e division blindée SS. Cette division faisait partie des troupes d'élite de l'Allemagne nazie et a notamment combattu dans le sud de l'Ukraine pendant la Seconde Guerre mondiale.

Moscou ayant fait de la dénazification de l'Ukraine l'une des principales raisons de l'invasion, il n'a pas fallu longtemps pour que les comptes Twitter prorusses se moquent de l'erreur de Volodymyr Zelensky sur la Toile.
Même si de nombreux observateurs ne voient dans la dénazification qu'un prétexte russe pour l'invasion, la question se pose: pourquoi un président juif publie-t-il la photo d'un soldat ukrainien portant lui-même un symbole nazi à l'occasion de la victoire sur le nazisme? L'administration de Volodymyr Zelensky s'est jusqu'à présent abstenue de s'exprimer sur sa publication controversée du 9 mai.
Ce n'est pas la première fois que des membres de l'armée ukrainienne affichent ouvertement des symboles nazis tels que le soleil noir, la gueule de loup (Wolfsangel) ou la tête de mort de la 3e division blindée SS. Le bataillon Azov, fondé en 2014 peu après le début du conflit dans l'est de l'Ukraine, entre autres par le célèbre extrémiste de droite Andrij Bilezkyj, utilise lui aussi officiellement la Wolfsangel comme insigne.
Selon l'expert en Europe de l'Est Andreas Umland, l'ancien bataillon de volontaires s'est entre-temps «désidéologisé et est devenu une unité de combat normale sous le commandement du Ministère ukrainien de la défense». Le bataillon Azov ne s'est toutefois pas encore séparé du crochet de la Wolfsangel.
Philippe Stalder, publié le 13 mai 2022
Natalia Ousmanova a vu dimanche la lumière du soleil pour la première fois depuis deux mois. Cette employée de l'aciérie Azovstal à Marioupol fait partie d'un groupe d'une centaine de civils qui ont pu être évacués, dimanche, de la ville portuaire, dans le cadre d'une opération conjointe de l'ONU et de la Croix-Rouge internationale. «Deux mois d'obscurité. Je n'ai pas vu le soleil. J'ai dit à mon mari que maintenant nous n'aurions plus besoin d'aller aux toilettes avec une lampe de poche», a déclaré cette femme de 37 ans à des journalistes de Reuters et du «New York Times».
Le site d'Azovstal était la cible de frappes d'artillerie et de frappes aériennes russes depuis des semaines. «Les impacts étaient si violents et si proches de nous», a déclaré Natalia Ousmanova, décrivant les semaines dramatiques passées dans les bunkers sous l'usine industrielle. «Nous ne pouvions respirer que dans l'escalier menant à la sortie, il n'y avait pas assez d'oxygène dans le bunker lui-même.»
Il s'agissait de la première évacuation du site industriel où, selon les informations ukrainiennes, environ 1000 civils patientent depuis des semaines. L'une des anciennes plus grandes aciéries d'Europe était jusqu'à présent défendue par des marines et le bataillon nationaliste Azov et est le dernier lieu sous contrôle ukrainien depuis que les troupes russes ont pris Marioupol il y a environ deux semaines.
Traverser la ligne de front à pied
Les soldats ukrainiens restés dans l'ouvrage ont publié une vidéo de l'évacuation: on y voit des jeunes femmes avec des enfants en bas âge et des femmes âgées ramper péniblement hors des caves et être transportées sur des voies ferrées détruites jusqu'à un autobus à moitié criblé de balles et de là jusqu'à la ligne de front. «Maintenant, ils ne tirent pas», rassure le soldat à la caméra. Or les femmes et les enfants ont ensuite dû traverser la ligne de front du côté russe à pied, accompagnés par des aides de la Croix-Rouge.
Selon un rapport de l'agence de presse Reuters, les personnes du côté occupé par les Russes ont été emmenées à Bezimenne dans un convoi composé de véhicules de l'ONU et d'accompagnateurs militaires russes.
Cette localité se trouve sur la côte de la mer Noire, à environ 30 kilomètres de Marioupol, mais en direction de l'est, donc plus près de la frontière russe et plus éloignée du territoire sous contrôle du gouvernement ukrainien. Bezimenne est contrôlée par les troupes de la République populaire de Donetsk prorusse, non reconnue par la communauté internationale.
Sur son canal Telegram, le Ministère russe des affaires étrangères a annoncé qu'un camp de tentes et des soins médicaux étaient mis à la disposition des réfugiés venant de l'aciérie à Bezimenne. Celles et ceux qui souhaiteraient continuer sur le territoire du «régime de Kiev» seraient remis à l'ONU et au CICR. Selon Reuters, une cinquantaine de civils ont atteint dimanche le point de fuite de Bezimenne. On ne sait pas si l'un d'entre eux voulait rester dans le territoire occupé par les Russes.
Zelensky veut rencontrer les personnes évacuées
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a remercié l'ONU et le CICR pour leur aide lors de l'évacuation et a annoncé que son équipe rencontrerait ce lundi les personnes évacuées des bunkers d'Azovstal. Cette rencontre devrait avoir lieu à Zaporijjia. La ville, située sur les rives du Dniepr, se trouve à tout juste 40 kilomètres au nord de la ligne de front.
Ce lundi, l'évacuation des civils doit se poursuivre. C'est ce que confirme un conseiller du maire de Marioupol à «Kyiv Independent».
Bernhard Odenhal, Philippe Stalder et Hannes von Wyl, publié le 2 mai 2022
Pour protéger sa base navale en Crimée, la Russie aurait utilisé des dauphins, comme l'annonce l'Institut naval américain (Usni) sur son site internet. L'analyse des images satellites de l'Usni aurait montré que la marine russe avait installé deux delphinariums à l'entrée du port de Sébastopol.
Les enclos y ont apparemment été déplacés en février, au moment de l'invasion russe de l'Ukraine. Comme l'écrit le «Washington Post», le service de photos satellites américain Maxar partage l'évaluation des experts de l'Usni.
La marine russe aurait dressé ces mammifères marins intelligents de manière à ce qu'ils puissent attaquer et repousser les plongeurs ennemis qui tenteraient de placer des engins explosifs sur les navires et les sous-marins de la flotte maritime russe.
Sébastopol, sur la péninsule de Crimée occupée par la Russie, est la principale base navale de la marine russe en mer Noire. Les navires de guerres de la marine russe stationnés dans le port sont certes hors de portée des missiles ukrainiens, mais ils sont vulnérables aux actes de sabotage sous l'eau.
Les mammifères marins ont une tradition dans la marine
L'utilisation de dauphins dans la guerre peut paraître curieuse, mais c'est une tradition dans la marine. Selon l'expert américain en défense sous-marine H. I. Sutton, outre la Russie, les États-Unis, la Corée du Nord et Israël ont par le passé formé des mammifères marins comme les dauphins, les phoques, les otaries et les bélugas pour des missions de guerre. Grâce à leur excellente ouïe, les mammifères marins sont capables de détecter les mines et autres objets potentiellement dangereux.

L'armée américaine entraîne les dauphins et les otaries depuis les années 1960 afin de les utiliser contre les menaces sous-marines. En 2019, le programme de mammifères marins de la marine américaine comptait environ 70 dauphins et 30 otaries dans ses rangs.

La marine soviétique a développé plusieurs programmes avec des mammifères marins pendant la guerre froide, dont un avec des dauphins dits de combat près de Sébastopol. Après l'effondrement de l'Union soviétique, ce programme a été transféré à l'armée ukrainienne, mais est repassé sous le contrôle de la marine russe suite à l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014.
Comme l'a expliqué un ancien dresseur de dauphins soviétique au magazine «Russia Beyond» en 2017, Moscou s'est montré plus agressif avec les cétacés que Kiev et les a notamment entraînés à tuer les intrus.
Des dauphins harponnés
Il semblerait que d'autres pays aient également entraîné leurs animaux à tuer. Ainsi, au début de l'année, un homme-grenouille du commandement maritime palestinien du Hamas a affirmé avoir subtilisé, lors d'une plongée, le harpon d'un dauphin de combat israélien, qui lui aurait été fixé sur le museau par la marine israélienne. L'armée israélienne n'a ni confirmé ni démenti les affirmations du Hamas.

Philippe Stalder, publié le 29 avril 2022.
La guerre d'Ukraine est l'une des plus grandes guerres terrestres en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. En tant que telle, elle produit un grand nombre de prisonniers de guerre. En effet, contrairement aux frappes aériennes ciblées ou aux opérations antiterroristes, les troupes engagées dans une guerre au sol peuvent facilement être dépassées par un ennemi qui avance rapidement. Il n'existe actuellement pas de statistiques précises sur le nombre de prisonniers de guerre, mais les experts estiment qu'ils sont plusieurs milliers des deux côtés.
Comme il n'existe pas encore d'accord entre la Russie et l'Ukraine sur l'échange systématique de prisonniers de guerre, les prisonniers doivent s'attendre à être détenus pendant longtemps. Déterminer où et dans quelles conditions ils sont retenus devient donc une question centrale dans cette guerre.
Des volontaires du compte Twitter GeoConfirmed ont réussi à localiser l'emplacement d'une prison dans laquelle sont détenus environ 2000 prisonniers de guerre ukrainiens.
Le 19 avril, une vidéo est apparue sur les réseaux sociaux, censée montrer 2000 prisonniers de guerre ukrainiens selon l'utilisateur qui l'a fait circuler.
Le soir même, la chaîne d'État Rossiya 1 a diffusé dans son journal télévisé du soir un reportage détaillé sur la prison, située sur le territoire de la «République populaire de Donetsk», non reconnue internationalement.
Le reportage confirme le nombre de prisonniers et souligne notamment le traitement correct des prisonniers de guerre. Mais le journaliste russe affirme également que des enquêtes sont menées sur de prétendus crimes de guerre et que les responsables seront «punis».
Sur la base des images du reportage, GeoConfirmed a établi un plan de la prison.

Comme le reportage télévisé russe mentionnait que la prison était sous le contrôle de la République populaire autoproclamée de Donetsk, dans l'est de l'Ukraine, GeoConfirmed a comparé le plan de situation avec toutes les prisons et tous les camps pénitentiaires du Donbass figurant sur une liste publique publiée par le ministère ukrainien de la Justice en 2017. La carte correspondait aux images satellites d'une prison située près d'Olenivka, dans le sud-est de l'Ukraine.
Si l'emplacement de la prison a pu être déterminé, aucun témoignage indépendant ne peut encore être donné sur les conditions dans lesquelles les prisonniers sont détenus.
Témoignages obtenus sous la pression
L'enquête du journaliste d'investigation néerlandais Brecht Castel donne une idée des conditions dans les camps de prisonniers de guerre russes. Il a analysé une vidéo qui a été visionnée plus de 1,2 million de fois sur des comptes Twitter et des canaux Telegram prorusses. La vidéo montre trois soldats ukrainiens qui, visiblement démoralisés, font l'aveu suivant: «Nous avions l'ordre de tirer sur toute personne qui bougeait, qu'elle soit pacifique ou non.»

La vidéo est censée prouver que les soldats ukrainiens à Marioupol ont reçu l'ordre de leurs commandants de tirer sur des civils. Mais qui sont ces hommes dans la vidéo? Et qui les a filmés?
Le logo en haut à droite de l'image appartient à l'armée de la république autoproclamée de Louhansk. Sur son compte chez VKontakte, l'équivalent russe de Facebook, on peut trouver une version plus longue de la même vidéo. Elle a été téléchargée le 10 avril.
Contrairement à la version plus courte, la vidéo de VKontakte comporte une introduction qui fournit des informations supplémentaires sur le contexte de l'interrogatoire des trois prisonniers de guerre. On y voit d'abord trois hommes ligotés et allongés sur le sol.

Ensuite, on voit un homme dont les yeux sont bandés avec un tissu et du ruban adhésif.

Peu après, on voit le torse nu d'un homme portant des tatouages.

Ensuite, on voit comment quatre hommes aux yeux bandés sont évacués dans un bus.

Pour finir, on voit comment l'un des hommes est conduit par un homme armé à travers un couloir jusqu'à la salle d'interrogatoire.

Ensuite, on passe à la vidéo originale de l'interrogatoire. Comme la qualité de l'image de l'intro diffère de celle de l'interrogatoire, Brecht Castel a supposé que les séquences pouvaient éventuellement provenir de deux sources différentes. En effet, il a rencontré sur le canal Telegram prorusse «долг Z» une vidéo avec la même scène d'ouverture des hommes ligotés et allongés sur le sol.

La vidéo Telegram contient toutefois d'autres scènes. On y voit une cour intérieure dans laquelle un soldat portant un brassard rouge et une arme emmène les quatre hommes bâillonnés, les yeux bandés.

Il escorte les quatre hommes dans un bâtiment.

Sur son uniforme, on voit clairement le symbole Z russe.

Ensuite, on retrouve la scène déjà connue de l'interrogatoire. Grâce aux séquences supplémentaires, Brecht Castel a pu vérifier que l'un des hommes de la scène d'interrogatoire est le même homme aux yeux bandés que celui de la vidéo de VKontakte.

Les hommes de l'interrogatoire sont donc des prisonniers de guerre ukrainiens détenus par des soldats russes. Les séquences vidéo supplémentaires laissent supposer que leurs aveux ont été obtenus sous pression, éventuellement sous la menace de la violence. La véracité des déclarations peut donc être mise en doute.
Le reportage de Rossija 1 donne des informations sur la localisation
Dans un premier temps, il n'a pas été possible de savoir exactement où se trouvaient les prisonniers de guerre ukrainiens. Jusqu'à ce qu'un reportage de la chaîne nationale russe Rossija 1 soit diffusé le 14 avril, dans lequel ces mêmes prisonniers de guerre visitent (ou ont dû visiter) un monument aux morts.

L'homme de la vidéo Facebook (dans le cadre bleu) parle dans le reportage de «l'image négative des Russes à la télévision ukrainienne». Mais il ne faudrait pas croire la télévision: «Honnêtement, les Russes nous traitent bien», affirme le prisonnier de guerre. En s'agenouillant, l'homme dit ensuite: «Nous avons honte.» En arrière-plan, on voit clairement des soldats russes avec des armes. Sur le monument en arrière-plan, on peut par ailleurs lire: «Nous n'oublions pas, nous ne pardonnons pas.»

Si l'on recherche ce slogan sur le moteur de recherche russe Yandex, on trouve un monument de guerre au sud de Louhansk dont les images satellites correspondent aux caractéristiques de la vidéo. Cela pourrait indiquer que les prisonniers de guerre ukrainiens sont détenus dans une prison à Louhansk.

Il est impossible de vérifier de manière indépendante l'état actuel des prisonniers de guerre. Un magazine en ligne prorusse de Louhansk utilise cependant les images des prisonniers de guerre ukrainiens du monument aux morts comme photo de couverture d'un article intitulé: «Des militants du 'Secteur droit' ont voulu se venger de 'Boutcha' en tirant sur les habitants de Roubitshne.»

Publié par Philippe Stalder le 28 avril 2022
«C'est ainsi que se déroulent les préparatifs de l'opération militaire en Ukraine, mise en scène de manière théâtrale», a commenté le 7 avril le porte-parole de la chaîne de télévision russe Rossiya 24, fidèle au Kremlin, à propos d'un reportage vidéo dans lequel deux hommes enveloppent un mannequin de ruban adhésif. L'un des hommes porte une tenue de camouflage ressemblant à un uniforme militaire, l'autre une veste verte.
«Les deux soldats font manifestement passer le mannequin pour un cadavre», selon l'interprétation de la voix off. Cela n'aurait rien de surprenant, puisque des mannequins apparaîtraient régulièrement comme des cadavres sur les chaînes Telegram ukrainiennes. Le reportage télévisé russe veut donc prouver que l'armée ukrainienne utilise des mannequins pour mettre en scène des victimes de guerre.
Dans les jours qui ont suivi, au moment de la découverte de civils massacrés à Boutcha, de nombreuses copies du reportage vidéo ont circulé sur les réseaux sociaux, notamment sur les canaux Telegram et les comptes Twitter prorusses, où elles ont atteint des dizaines de milliers de personnes. La vidéo a été citée comme preuve que les soldats ukrainiens préparaient des poupées en tant que victimes de guerre pour les placer plus tard dans les villes où des combats ont eu lieu.
Mais que montre réellement cette vidéo? Les deux hommes sont-ils vraiment des soldats ukrainiens? Et à quoi a servi exactement le mannequin?
La journaliste d'investigation américaine Emmanuelle Saliba a réussi à retrouver un compte TikTok appartenant à un certain Filip et qui montrait déjà la vidéo le 29 mars, soit plus d'une semaine avant la diffusion du reportage télévisé russe. Contrairement au reportage télévisé, on y entend la piste audio originale, dans laquelle l'homme qui filme la vidéo avec son téléphone portable dit en russe: «Ce pauvre type est sur le point de tomber par la fenêtre.» Le titre de la vidéo sur le compte TikTok de Filip était: «Préparation d'un mannequin pour une chute de film.»
La scène provient d'un plateau de tournage
Grâce à des informations supplémentaires sur son compte TikTok, Emmanuelle Saliba a trouvé le numéro de téléphone de Filip au moyen du moteur de recherche russe Yandex et lui a écrit un message dans lequel elle demandait à Filip s'il était l'auteur de la vidéo. Filip lui a répondu peu de temps après et a confirmé qu'il avait filmé la vidéo et que ce jour-là, il travaillait comme acteur dans une série télévisée. Il filmait alors Alexander Uwarow, un cascadeur russe connu, en train de préparer une poupée pour une scène d'action.

Comme preuve, Filip a envoyé à la journaliste une capture d'écran de son téléphone portable, d'où il ressort que la vidéo a été tournée le 20 mars à Vsevolojsk, une ville située à l'extérieur de Saint-Pétersbourg, en Russie. Emmanuelle Saliba a pu confirmer le lieu et la date indiqués en analysant les métadonnées du fichier vidéo original de Filip.

Emmanuelle Saliba a par ailleurs interviewé par appel vidéo Nadejda Kolobaeva, une autre personne qui travaillait ce jour-là sur le plateau de tournage en tant que première assistante de réalisation et qui a critiqué sur Facebook le reportage télévisé de Rossiya 24. Sur le profil Facebook de Nadejda Kolobaeva, on peut voir la vidéo de la chute du mannequin.
À la question de savoir si des soldats ukrainiens préparaient de faux cadavres dans la vidéo, Nadejda Kolobaeva a répondu: «Dans la vidéo, on ne voit pas de soldats ukrainiens, mais mon ami Sacha et son assistant Guennadi qui, sous la direction du cascadeur Uwarow, préparent un mannequin en l'entourant de ruban adhésif.»
L'accusation de la chaîne de télévision proche du Kremlin selon laquelle les soldats ukrainiens utiliseraient des poupées comme cadavres se révèle donc elle-même être un fake. Mais comment cette fausse représentation, pourtant évidente, a-t-elle pu se répandre aussi largement?
Une bonne semaine après que Filip a publié la vidéo sur son compte TikTok, elle est apparue le 6 avril sur le canal Telegram prorusse Ukr_G_M. Un jour plus tard, Rossiya 24 a repris la vidéo, puis la vidéo est devenue virale sur les canaux prorusses. En revanche, ni Rossiya 24 ni l'administrateur du canal Telegram Ukr_G_M n'ont mentionné le fait que Filip, l'auteur de la vidéo, a publié dans un deuxième temps une nouvelle vidéo sur TikTok en rectifiant la présentation erronée.
Philippe Stalder, publié le 22 avril 2022
Depuis quelques jours, des images vidéo d'un soldat de l'armée ukrainienne capturé circulent sur les canaux prorusses des médias sociaux. Il s'agit d'Aiden Aslin, un Britannique de 28 ans originaire de la petite ville de Newark-on-Trent. Aiden Aslin a rejoint les forces armées ukrainiennes en 2018.
Aiden Aslin est probablement le combattant étranger le plus connu du côté ukrainien et désormais l'un des prisonniers de guerre les plus en vue des Russes: ses comptes sur Twitter et Instagram (bloqués), où il a raconté la guerre sous le nom de «Cossackgundi», sont suivis par des dizaines de milliers de personnes. L'ancien travailleur social a acquis une forte visibilité lorsqu'il a rejoint la résistance kurde contre l'État islamique en Syrie en 2015. De nombreux articles ont alors été publiés dans la presse britannique. Aiden Aslin est également apparu à la télévision. Et désormais, la Russie utilise elle aussi la notoriété du Britannique dans ses propres médias.

Mais les circonstances de sa capture, et notamment ses interviews diffusées depuis sur les chaînes d'Etat RT et Rossiya 1, soulèvent des questions.
Vidéo avant la reddition
Peu avant d'être fait prisonnier, Aiden Aslin a publié une vidéo le montrant probablement sur le site de l'usine Azovstal à Marioupol. Il y déclare: «Si vous voyez cela, cela signifie que je me suis rendu.» Son unité n'aurait plus de munitions ni de nourriture. Ils auraient pris contact avec les troupes russes et attendraient que leur reddition soit approuvée par la partie ukrainienne.
C'est ce qui est avancé du côté russe comme preuve qu'Aiden Aslin était un membre du bataillon Azov. Pour Vladimir Poutine et sa machine de propagande, cette unité est régulièrement qualifiée de fasciste et sert ainsi de prétexte à la prétendue «dénazification» russe de l'Ukraine. Le Britannique Aiden Aslin, que ses amis et compagnons d'armes appellent «Johnny», n'a pourtant pas du tout rejoint le bataillon Azov, mais la marine. Une photo de 2018 le montre en train de prêter serment en tant que fantassin de la marine.

Aujourd'hui, les soldats de la 36e brigade d'infanterie de marine font partie – avec les combattants d'Azov – des dernières troupes ukrainiennes à défendre Marioupol. Selon les données russes, un millier de soldats de la marine s'étaient rendus le 13 avril à Marioupol. Certes, cette information a été démentie par les dirigeants ukrainiens. Mais les vidéos d'Aiden Aslin laissent penser que la reddition des marines est probable. La veille, le 12 avril, un message d'Aiden Aslin est apparu sur son compte Twitter: «Nous avons fait de notre mieux pour défendre Marioupol, mais nous n'avons pas d'autre choix que de nous rendre aux forces armées russes.»
Le 13 avril, c'est-à-dire le jour où 1000 soldats de la marine se seraient rendus, la première photo d'Aiden Aslin en captivité est apparue sur Twitter. On y voit l'homme de 28 ans assis sur une chaise dans un bureau, ses mains sont menottées. Des blessures sont visibles sur son visage, notamment un gros hématome sur le front.
Deux jours après, le 15 avril, la chaîne de télévision russe RT, contrôlée par l'État, a diffusé une première interview d'Aiden Aslin. La date d'enregistrement de la vidéo n'est pas claire. Au vu des circonstances, on peut supposer qu'elle a été enregistrée peu après sa capture le 13 avril: Aiden Aslin est assis dans la même pièce, porte les mêmes vêtements que sur la première photo. Les blessures au visage sont également identiques à celles de la photo. En Europe de l'Ouest, les chaînes de RT ont été bloquées par YouTube en raison de la diffusion de fausses informations.

Une nouvelle interview d'Aiden Aslin capturé a été diffusée trois jours plus tard, le 18 avril, sur la télévision d'État russe Rossiya 1, où l'on présente également un deuxième prisonnier, le Britannique Shaun Pinner, 48 ans, qui a combattu avec Aiden Aslin dans l'infanterie de marine.
Selon les médias russes, ils se trouveraient tous deux sur le territoire de la «République populaire de Donetsk», contrôlée par les séparatistes prorusses. Bien que les deux Britanniques aient servi dans une unité de l'armée ukrainienne, les médias russes les qualifient de «mercenaires», auxquels la Convention de Genève sur le traitement des prisonniers de guerre ne s'appliquerait pas.
La violation est cachée
Comme preuve de cette thèse, Aiden Aslin est montré dans l'interview de Rossiya 1 avec un t-shirt portant l'insigne du bataillon Azov. Cela n'apparaissait pas dans les photos et interviews précédentes prises par les Russes. En outre, une mèche de cheveux tombe désormais sur le front d'Aslin de manière à ce que l'hématome ne soit plus visible. Dans l'interview, il demande au premier ministre britannique Boris Johnson d'intervenir en faveur d'un échange de prisonniers: en échange de la libération des deux Britanniques, les Ukrainiens pourraient livrer l'oligarque Viktor Medvedchuk à la Russie.
Viktor Medvedchuk est un politicien d'opposition ukrainien prorusse et le parrain de la plus jeune fille de Poutine. Soupçonné de trahir des secrets, il a été assigné à résidence à Kiev avant la guerre, est entré dans la clandestinité, mais a été retrouvé et arrêté par les services secrets ukrainiens à la mi-avril.
Interview donnée sous la contrainte?
Dans le «Guardian» britannique, un ami des deux Britanniques capturés soupçonne Aiden Aslin et Shaun Pinner d'avoir parlé sous la contrainte et d'avoir été abusés par la propagande russe.
Le même jour, le 18 avril, le Britannique Graham Phillips a également posté une interview d'Aiden Aslin sur sa chaîne YouTube. Graham Phillips se qualifie lui-même de «journaliste indépendant», mais il est persona non grata en Ukraine depuis 2014 en raison des accusations de propagande prorusse. Il a notamment travaillé pour la chaîne publique Russia Today (aujourd'hui RT) et couvre désormais l'Ukraine du côté des troupes russes depuis le début de la guerre.
Un journaliste nie le massacre à Boutcha
La chaîne YouTube de Graham Phillips compte 272'000 abonnés. Dans ses vidéos tournées depuis le début de la guerre, le Britannique veut démasquer «les provocations des Occidentaux et des Ukrainiens». Ainsi, le 5 avril, il a rapporté depuis la région de Tchernihiv occupée par la Russie que des soldats russes apportaient une aide humanitaire et se comportaient «de manière absolument professionnelle et digne», même si la caméra ne filmait pas. Graham Phillips en conclut que le fait que des soldats russes aient commis des atrocités à Boutcha, à 200 kilomètres de là, est «absolument contradictoire du point de vue de la logique».

Dans l'interview YouTube avec Aiden Aslin, Phillips ne se contente pas de poser des questions, il met les réponses dans la bouche du prisonnier. Et Aiden Aslin serait d'accord: oui, il donne cette interview volontairement, oui, il est bien traité. Et oui, le comportement des Ukrainiens est comparable à celui des nazis. Aiden Aslin est alors menotté.
Le lendemain, le 19 avril, la famille d'Aiden Aslin a publié un communiqué en Grande-Bretagne et l'a fait diffuser via le compte Twitter du député britannique Robert Jenrick: la famille y souligne qu'Aiden Aslin a servi pendant quatre ans dans l'infanterie de marine ukrainienne et qu'il n'est ni un mercenaire ni un espion. Le fait que le prisonnier doive maintenant parler sous la contrainte, avec des blessures physiques clairement visibles, est «profondément perturbant». L'utilisation de vidéos et de photos de prisonniers de guerre à des fins de propagande, selon la famille d'Aiden Aslin, est une violation de la Convention de Genève «et doit cesser immédiatement».
Hannes von Wyl et Bernhard Odenhal, publié le 22 avril 2022.
Ce jeudi matin, Vladimir Poutine a annoncé la victoire sur Marioupol: la ville portuaire ukrainienne a été conquise, a affirmé le président russe lors d'un entretien avec son ministre de la Défense Sergueï Choïgou. Selon lui, il s'agit d'un «grand succès».
Vladimir Poutine a profité de l'entretien pour donner l'ordre à son ministre de ne plus attaquer l'immense site de l'aciérie Azovstal, mais de le boucler de telle sorte que «même une mouche ne puisse s'échapper». Le ministre de la Défense s'est contenté de répondre par un bref «oui». La vidéo et la transcription de la conversation entre Poutine et Choïgou ont été mises en ligne sur le site du Kremlin à 9 heures, heure d'Europe centrale.
Environ 2000 forces ukrainiennes de la marine, du bataillon ultranationaliste Azov ainsi que des membres de la Légion étrangère internationale se seraient retranchés dans la principale forteresse restante de Marioupol. Selon les informations ukrainiennes, des centaines de civils, dont des femmes et des enfants, se trouveraient également sur le site.
Des vidéos montrent des civils morts
Les médias d'État russes ont publié hier, mercredi 20 avril, une vidéo de civils qui auraient été évacués du site. Le «Washington Post» a en revanche vérifié, également mercredi, plusieurs vidéos de Marioupol, qui documentent au total au moins 17 cadavres de civils dans les rues. Le matériel vidéo n'indique pas quand exactement les personnes sont mortes ni par qui elles ont été tuées.
Selon le journal ukrainien «Kiev Independent», le président ukrainien Volodymyr Zelensky a entre-temps proposé à la Russie d'échanger des prisonniers de guerre russes et des corps de soldats russes contre des civils ukrainiens bloqués à Marioupol:
Le commandant demande l'évacuation par des pays tiers
Le commandant de la 36e brigade d'infanterie de marine, Serhi Wolyna, s'est adressé mercredi au public dans une vidéo Facebook tournée sur le site d'Azovstal. Il y demande l'évacuation des combattants restants ainsi que des civils de Marioupol. Auparavant, les combattants ukrainiens avaient rejeté la demande de reddition de la Russie.
Dans sa vidéo, Serhi Wolyna affirme que les combattants ukrainiens sont dix fois moins nombreux que les combattants russes et demande aux dirigeants du monde entier de mettre les soldats ukrainiens et les civils en sécurité dans des pays tiers. Jusqu'à présent, on ne sait pas si un chef d'État a répondu à son appel. Selon l'adjoint du maire de Marioupol, environ 1000 soldats de la marine s'étaient déjà rendus la semaine dernière.
Tentative de libération par le bataillon Azov?
Malgré la situation dramatique, des membres du bataillon ultranationaliste Azov auraient réussi hier, mercredi, selon le site d'information ukrainien «Euromaidan Press», à évacuer du port, avec les marines et d'autres unités ukrainiennes, environ 500 gardes-frontière et policiers ukrainiens et à les transférer sur le site d'Azovstal. À court de munitions, les personnes évacuées auraient été auparavant encerclées par les troupes russes. Ces informations n'ont pas été confirmées par d'autres sources. Une telle opération semble improbable au vu de la supériorité écrasante des troupes russes.
Une vidéo du bataillon Azov de cette semaine montre toutefois une attaque contre un char russe à Marioupol. Apparemment, les troupes ukrainiennes disposaient encore d'une certaine puissance de feu à ce moment-là.
Désertion des légionnaires étrangers
Depuis que les combattants ukrainiens sont encerclés sur le terrain d'Azovstal, plusieurs rapports ont fait état de déserteurs de la Légion étrangère internationale. Le plus connu d'entre eux est sans doute Aiden Aslin, un citoyen britannique qui, sous le nom de Cossack Gundi, a raconté la guerre en direct sur Twitter et Instagram et s'est ainsi constitué un grand nombre de followers. Un rapport détaillé sur son cas suivra prochainement sur ce blog.
Aiden Aslin aurait séjourné dernièrement sur le site d'Azovstal. Avant la guerre, ce site industriel faisait partie des plus grandes aciéries d'Europe. Selon une vidéo de Radio Swoboda (uniquement en russe et en ukrainien), l'usine de Marioupol était considérée comme une «ville dans la ville». Avec une extension de 11 kilomètres carrés, le site de l'usine est à peu près aussi grand que la ville d'Olten (SO). Selon une description sur la page web de l'entreprise, la longueur totale des galeries souterraines dans l'enceinte de l'usine serait de 24 kilomètres.

Dans cet enchevêtrement de halls de production, de hauts fourneaux, de cokeries et de caves, les assaillants ne pourraient probablement progresser que très lentement, et ce au prix de lourdes pertes. De plus, des bunkers auraient été construits sous l'usine pendant la guerre froide et pourraient même résister à une attaque nucléaire.
Avant la conquête du reste de la ville par les troupes russes, des comparaisons de Marioupol avec la bataille de Stalingrad de 1942 ont donc logiquement été faites, notamment par le «Financial Times» ou par l'écrivain ukrainien Andreï Kourkov.
Souvenirs de Stalingrad
À Stalingrad aussi, l'Armée rouge avait défendu jusqu'au bout les immenses complexes industriels de l'usine de tracteurs et de l'aciérie Octobre rouge contre l'avancée de la Wehrmacht. Le combat rapproché dans les ruines industrielles est considéré jusqu'à aujourd'hui comme l'une des batailles les plus cruelles de toute l'histoire de la guerre.
Poutine veut manifestement éviter à tout prix que l'histoire ne se répète avec des rôles inversés: les Russes portant les chaussures de la Wehrmacht comme assaillants de l'usine. Il a donc donné jeudi à son ministre de la Défense la consigne de «préserver la vie et la santé de nos soldats et officiers». Selon lui, il n'est pas nécessaire de «grimper dans ces catacombes et de ramper sous terre à travers les installations industrielles».
Vladimir Poutine demande aux troupes ukrainiennes retranchées dans l'enceinte de l'usine de déposer les armes et de se rendre: la partie russe garantirait leur vie et un traitement digne. Ceux qui sont blessés recevraient un traitement médical.
Quelques heures après l'offre de Vladimir Poutine, le bataillon Azov a posté sur Twitter une courte vidéo montrant un char en feu avec l'inscription «V». Ce signe signifie que les mêmes unités russes responsables des atrocités de Boutcha sont désormais déployées à Marioupol, peut-on lire dans le tweet: la horde de Poutine «a tué, violé et torturé des civils. Maintenant, ils détruisent notre ville.» Le message sans équivoque derrière tout cela: la capitulation n'a pas de sens, puisque seule la mort attend sous l'occupation russe.
En Ukraine, les défenseurs de Marioupol sont désormais également comparés aux «cyborgs», ces hommes qui, en été 2014, ont défendu pendant des mois les ruines de l'aéroport détruit de Donetsk contre les séparatistes prorusses et qui ont finalement tous péri à l'intérieur. En 2017, leur histoire dramatique a été portée à l'écran sous le titre «Les héros ne meurent jamais».
Le chef tchétchène proclame à nouveau la victoire
On ne sait pas jusqu'où les troupes russes ont déjà pénétré dans l'usine. Le gouverneur de Vladimir Poutine en Tchétchénie, le seigneur de guerre Ramzan Kadyrov, a annoncé dans un message vocal sur son canal Telegram que le site d'Azovstal devrait être entièrement aux mains des Russes d'ici à midi.
Des vidéos sur Telegram montrent les combattants de Kadyrov dans un hall d'usine. Il n'est toutefois pas évident qu'il s'agisse réellement d'un enregistrement d'Azovstal.
Dans la nuit de mercredi à jeudi, Ramzan Kadyrov avait déjà annoncé qu'«aujourd'hui, avant ou après le déjeuner, Azovstal serait entièrement sous le contrôle des forces russes». Les combattants ukrainiens restés dans l'aciérie auraient encore la possibilité de se rendre dans la matinée. C'était toutefois avant que Vladimir Poutine ne donne l'ordre de ne pas attaquer l'usine. Selon les médias russes, Ramzan Kadyrov avait déjà annoncé 26 fois auparavant la conquête de Marioupol.
Il est incontestable qu'en dehors de l'aciérie, la ville est désormais sous contrôle russe. L'agence de presse nationale Ria Novosti montre entre autres un char russe effectuant une pirouette dans des rues totalement désertes. Apparemment, un geste de triomphe.
Des écoliers ukrainiens joyeux?
Vladimir Poutine qualifie la destruction de Marioupol de «libération» et les soldats russes impliqués de «héros». Mardi 19 avril, les autorités russes ont rouvert la première école de Marioupol dans le cadre d'une opération de relations publiques. À cette occasion, le secrétaire général du parti Russie unie de Vladimir Poutine, Andrey Turchak, et le leader de la république séparatiste du Donbass, Denis Pouchiline, ont distribué des manuels scolaires russes et annoncé la «défaite de l'ennemi». Les médias russes fidèles au régime ont filmé la scène, mais ils n'ont pas réussi à trouver de la joie sur les visages des écoliers.


Bernhard Odehnal, Philippe Stalder et Hannes von Wyl. Publié le 21 avril 2022
De nouvelles images montrent, apparemment pour la première fois, le croiseur russe «Moskva» alors qu’il est endommagé et avant qu’il ne sombre la semaine dernière en mer Noire. Mais de nombreuses questions restent encore en suspens: que montrent exactement les photos qui circulent sur les médias sociaux? Des missiles ukrainiens étaient-ils responsables de la destruction du navire de guerre? L'ensemble de l'équipage a-t-il pu être sauvé? Nous essayons de faire le point sur l'état actuel des connaissances au moyen de photos, de publications en ligne russes et d'avis d'experts.

Les informations sur les événements qui ont abouti au naufrage du «Moskva» divergent. Selon les informations russes, un incendie s'est déclaré à bord du croiseur, provoquant l'explosion de munitions. Le navire aurait alors été remorqué en direction du port de Crimée de Sébastopol et aurait coulé en cours de route. Les dirigeants ukrainiens affirment en revanche que le navire a été touché par deux missiles Neptune, qu'il s’est incliné et qu'il a coulé.
Quelle version est la bonne? Peut-être les deux, selon l'historien américain Chris Owens, qui a publié sur Twitter une chronologie possible des événements:
Des images satellites prises le mercredi 13 avril peu avant 19 h, heure locale, semblent témoigner de la position du «Moskva» en mer Noire entre Odessa sur la côte ukrainienne et la Crimée au sud-est. Plusieurs petits bateaux sont également visibles dans les environs immédiats, peut-être des bateaux de sauvetage.

À ce moment-là, le croiseur russe avait probablement déjà été touché par des missiles ukrainiens, écrit Chris Owens. Car peu après, les premiers rapports sur une attaque ukrainienne contre le «Moskva» sont apparus sur les médias sociaux.
Des images apparues lundi sur les médias sociaux montrent le croiseur lance-missiles gravement endommagé. Elles ont manifestement été prises depuis un autre navire, qui s'est peut-être précipité à sa rescousse. Il est impossible de vérifier la source et la date des images. Sur la base des informations disponibles, on peut toutefois supposer que les images ont été prises le 13 avril en fin de journée.
Un incendie fait rage sur le pont avant du «Moskva», une épaisse fumée noire s'élève vers le ciel. Le navire commence à chavirer, mais à ce stade, il flotte encore, analyse le capitaine américain John Konrad:
Une courte vidéo montre, à côté du «Moskva», un autre navire, qui a peut-être été envoyé pour remorquer le croiseur russe.
D'autres utilisateurs ont immédiatement émis des doutes sur le fait qu'il s'agisse bien du «Moskva» sur cette prise de vue. Toutefois, les autres photographies permettent d’observer les caractéristiques typiques de cette classe de navire: les tubes de lancement pour les 16 missiles Vulcain sur le pont avant, le radar et la plate-forme d'hélicoptère sur le pont arrière.
Seuls trois croiseurs lance-missiles de cette taille ont été construits en Russie. Et jusqu'à présent, aucun accident avec incendie n'avait encore été rapporté.
Le «Moskva» a donc probablement été gravement endommagé mercredi soir. Un feu s'est déclaré sur le navire, qui a commencé à s’incliner. La suite des événements est plus difficile à interpréter. Selon le ministre lituanien de la Défense, le croiseur russe a lancé un appel de détresse à 1 h 05. À 1 h 14, le navire se serait incliné et les générateurs électriques seraient tombés en panne. À 2 heures, un navire turc aurait évacué 54 marins du «Moskva». À 3 heures du matin, le 14 avril, le navire aurait coulé, selon des informations turques et roumaines. Ces informations ne peuvent toutefois pas être vérifiées de manière indépendante.
La même nuit, le commandement sud des forces armées ukrainiennes a publié une vidéo sur Facebook selon laquelle le «Moskva» aurait été touché par des missiles de type Neptune. «Le navire amiral de la flotte russe de la mer Noire a subi des dommages considérables», peut-on entendre dans la vidéo. Le croiseur s’est par la suite incliné après une «énorme explosion de munitions» et a commencé à sombrer, toujours selon la vidéo.
En revanche, le ministère russe de la Défense a affirmé que le «Moskva» a coulé jeudi lors d'une tempête alors qu'il était remorqué. Ce remorquage aurait été nécessaire car le navire avait perdu sa stabilité en raison de dommages à la coque, a-t-il ajouté. «Dans une mer agitée, le navire a coulé.» Cependant, ni la vidéo ni les photos ne montrent des signes de vagues extrêmement hautes. Les cartes météo de ce jour-là n’indiquent pas non plus de tempête.
Les experts estiment que des tirs de missiles sont probables
Plusieurs experts militaires estiment que les dommages visibles sur les images sont le résultat d'un tir de missile. Jonathan Bentham de l'International Institute for Strategic Studies a déclaré à la BBC que les dommages subis par le croiseur pourraient être dus à l'impact d'un missile Neptune. D'autres causes ne seraient toutefois pas à exclure.
L'amiral britannique Chris Parry est en revanche convaincu qu'il s'agit d'un impact de missile: «On voit la coque du navire poussée vers l'intérieur. S'il s'agissait d'une explosion interne, les plaques d'acier auraient été poussées vers l'extérieur.» Selon lui, il ne fait aucun doute que le «Moskva» a été touché par un ou deux missiles.
Vendredi, le Pentagone a confirmé les informations ukrainiennes selon lesquelles le navire aurait été touché par des missiles Neptune.
Des rapports faisant état de la mort de marins contredisent les informations russes
Alors que la Russie a jusqu'à présent au moins admis que le «Moskva» avait effectivement coulé, la question de savoir si l'équipage a pu être entièrement sauvé reste ouverte. Le ministère russe de la Défense a publié, le dimanche 17 avril, une courte vidéo où l'équipage supposé du «Moskva» est aligné devant le commandant de la flotte Nikolaï Ievmenov dans le port de Sébastopol. La date de la vidéo ainsi que la présence au complet de l’équipage ne peuvent toutefois pas être confirmées de manière indépendante. Les médias russes contrôlés par le gouvernement ne mentionnent pas de victimes humaines.
Le même jour, la «Novaïa Gazeta», critique envers le gouvernement, a publié un article sur les parents des marins du «Moskva» qui n'ont plus eu de nouvelles de leurs fils après la catastrophe. Lundi, le service d’informations en russe de la «Deutsche Welle» a également fait mention de parents qui recherchent désespérément leurs fils, en service sur le «Moskva» au moment des faits. Ils n'auraient reçu aucune information de l'armée.
L'appel de Dmitri Schgrebez sur l’équivalent russe de Facebook, «VKontakte», a également fait le buzz. Selon le récit de ce père, son fils Egor Schgrebez a effectué son service militaire en tant que cuisinier de bord sur le «Moskva». Il serait désormais porté disparu. Le père qualifie de «mensonge grossier» l'affirmation selon laquelle tous les marins ont été sauvés et demande pourquoi tous les officiers sont en vie alors que son fils est porté disparu.
Une grande importance symbolique
«Dans l'histoire de la marine russe moderne, il y a des navires qui incarnent non seulement la puissance maritime de l'État, mais dont le nom symbolise également la puissance de la flotte en service. Le croiseur lance-missiles «Moskva» appartient à cette catégorie de navire.» C'est en ces termes que le site russe Militaryarms.ru a présenté, il y a cinq ans, le navire amiral de la flotte russe de la mer Noire. Le fait que cette fierté de la marine gît depuis mercredi dernier au fond de la mer Noire constitue un sérieux revers stratégique pour la Russie, analyse le «Moscow Times», un journal critique envers le gouvernement.
Pour l'Ukraine, le naufrage du «Moskva» revêt également une grande importance symbolique, car c'est ce navire qui, au premier jour de la guerre en février, a demandé aux défenseurs ukrainiens de la petite île des Serpents dans la mer Noire de se rendre. Un soldat ukrainien avait alors répondu par radio: «Bateau russe, va te faire foutre!» La phrase est devenue culte, on la retrouve aujourd'hui sur des affiches et des banderoles lors de manifestations anti-russes en Occident, ainsi que sur des t-shirts et des tasses à café vendus dans la ville de Lviv, dans l'ouest de l'Ukraine.

Les installations militaires sur l'île des Serpents ont été entièrement détruites par le «Moskva». Les défenseurs avaient d’abord été considérés comme morts. Il s'est avéré plus tard qu'ils s'étaient finalement rendus et avaient été faits prisonniers par les Russes. Fin mars, ils ont été libérés dans le cadre d'un échange de prisonniers.
Le soldat qui a insulté le croiseur lance-missiles russe «Moskva» s'appelle Roman Gribov et a reçu une haute distinction militaire en Ukraine après sa libération. La veille du naufrage du «Moskva», la poste ukrainienne a même émis un timbre où un soldat de dos semble faire un doigt d’honneur au croiseur lance-missiles russe, qui gît désormais au fond de la mer Noire.
Bernhard Odehnal et Hannes von Wyl, publié le 19 avril 2022.

Le 15 avril au soir, on a vu apparaître sur les réseaux sociaux une photo d’une carcasse de tank russe. La vue aérienne de la tourelle carbonisée du char, probablement prise avec un drone, ressemble étrangement à une tête de mort. Une allégorie de la guerre, de sa barbarie et de ses conséquences funestes. Pour des personnes des deux camps.
Diffusée par le compte officiel de l'état-major général des forces armées ukrainiennes avec trois autres photos de la même zone, elle vient à l’origine de la 93e brigade mécanisée des forces terrestres de l’armée ukrainienne, opérant à l’est du pays.
La brigade l’a elle-même diffusée sur Facebook une heure plus tôt, sans toutefois préciser ni le lieu de la prise de vue, ni les circonstances qui avaient complètement séparé la partie supérieure du reste du char.
Des internautes, très rapidement, retournent l’image de 180 degrés pour souligner la ressemblance avec une tête de mort. L’image commence à devenir virale.
Mais d’où vient exactement ce cliché? S’agit-il vraiment des restes d’un char russe comme semblent l’attester les marques Z sur la carcasse? La photo est-elle authentique ou trafiquée?
À ce jour, les grandes agences de presse n’ont pas repris la photo, comme elles le font parfois avec des prises de vues fournies par les parties belligérantes. Pourtant, il est possible de recouper assez facilement des informations pour situer le cliché, et reconstituer l’histoire derrière celui-ci.
Une série d’images diffusées par l’AFP le 16 mars concordent parfaitement. Elles ont été prises près du village de Gusarovka, à l’est de l’Ukraine, par Anatolii Stepanov. Il s’agit d’un photographe de guerre ukrainien chevronné, maintes fois primé, actuellement employé par l’agence de presse française.


Les marques d’usure sur le canon, la position des débris au sol, et la forme des marques Z sur la tourelle permettent d’affirmer avec certitude qu’il s’agit bien du même tank russe. Les débris n’ont pas été bougés. Même la mitrailleuse pointe dans la même direction.

Selon ce que les soldats ukrainiens ont raconté à Anatolii Stepanov, le tank aurait été pulvérisé. Probablement avec un missile Javelin.
Une vidéo diffusée par Euronews montre par ailleurs une dizaine d’autres véhicules détruits non loin de là. Un reportage de la télévision ukrainienne, sur le même lieu, précise que le bataillon de «forces spéciales russes» qui a subi une embuscade de parachutistes ukrainiens à cet endroit avait tenté d’emporter avec lui divers objets pillés, dont un ordinateur, une imprimante et un fax. Une quinzaine de véhicules auraient été détruits.
La bataille semble en fait remonter au 26 mars. Le lendemain, les forces ukrainiennes annonçaient avoir libéré les villages de Gusarovka et de Olkhovk, et détruit au total quelque 60 véhicules ou équipements ennemis. Le «New York Times» avait aussi rendu compte de cette reconquête.
La date pourrait concorder avec la description faite par le photographe Anatolii Stepanov. Ce dernier raconte en effet, sur son compte Instagram, avoir aperçu au milieu du champ de blé, où les pousses vertes commencent à surgir des restes humains éparpillés, qui, quand ils n’étaient pas calcinés, avaient eu le temps d’être desséchés par le soleil. Il y a plusieurs semaines, donc.
La photo de la tourelle de char en forme de tête de mort, que des spécialistes ont identifié comme appartenant à un modèle T-72B3, une récente mise à niveau russe des chars T-72B vieillissants, selon le site spécialisé Military Today, cache aussi ces drames-là.
«Ils auraient pu vivre dans l'amour, relève Anatolii Stepanov. Ils auraient pu élever leurs enfants, construire des maisons, planter des jardins... mais ils avaient choisi de suivre l'ordre de leur chef.»
Titus Plattner, publié le 20 avril 2022
Lorsque les noms de militaires russes font la une des journaux, il s'agit de hauts gradés de l'armée. Par exemple le général Alexander Dvornikov, qui a été désigné il y a quelques jours comme commandant en chef de l'«opération spéciale» russe en Ukraine. Ou le lieutenant-général Iakov Resantsev, qui est le septième général tué jusqu'à présent dans la guerre, selon des sources ukrainiennes.
Mais la majeure partie des troupes russes est composée de simples soldats, dont on ne sait presque rien. Une enquête du service russe de la BBC permet désormais de savoir la provenance des troupes russes et les raisons de l'enrôlement de ces soldats dans l’armée. En se basant sur des articles de journaux locaux et des écrits sur les médias sociaux lors des enterrements, les journalistes ont identifié 1083 soldats tués pendant la guerre en Ukraine.
La journaliste Olga Ivchina a ainsi mis en évidence certaines caractéristiques communes. La plupart des soldats tués proviennent de régions qui souffrent d'un taux de chômage élevé et d'un faible niveau de vie, comme le Daghestan ou la Bouriatie. Le revenu moyen y est d'environ 400 dollars par mois. Dans l'armée, un soldat gagne environ 500 dollars et reçoit en plus de la nourriture, des vêtements et un logement.
Dans les régions isolées souffrant de mauvaises infrastructures, l'armée est souvent le seul employeur, écrit Olga Ivchina. Par exemple, Mikhaïl Garmaev, un jeune homme originaire de Sibérie, a interrompu ses études et a travaillé comme installateur de systèmes d'alarme après son service militaire. Il a ensuite rejoint à nouveau l'armée en tant que soldat professionnel. Le 6 mars, il a été tué en Ukraine.
L'enquête de la BBC suggère donc que pour de nombreux soldats russes, des raisons économiques jouent un rôle lorsqu'ils rejoignent l'armée. Mais il semble que certains jeunes hommes soient également contraints de s'engager dans la guerre. Ainsi, des recrues auraient subi des pressions lors de leur service militaire pour s'inscrire à une «opération spéciale» .
C'est ce qu'a déclaré, selon des articles de presse, la sénatrice russe Lioudmila Naroussova le 4 mars, deux semaines après le début de l'invasion. Le ministère russe de la Défense a d'abord démenti. Puis, le président Vladimir Poutine en personne a lui aussi nié que des recrues participaient à des opérations militaires. Quelques jours plus tard, le ministère de la Défense s'est toutefois senti obligé de confirmer l'information.
La BBC a pu identifier deux hommes qui, selon leurs proches, avaient été enrôlés de force et étaient morts à la guerre. D’une part, Maxim Kanigin, a été tué peu avant son 22e anniversaire au début de la guerre. D’autre part, le conscrit Pavel Pozanen a été contraint de rejoindre l'armée de métier selon sa mère. Il a été enterré dans la région de Saint-Pétersbourg.
En Russie, tous les hommes âgés de 18 à 27 ans doivent effectuer leur service militaire pendant au moins un an. Ensuite, ils sont généralement transférés dans l’armée de réserve. En principe, ces conscrits ne peuvent pas être envoyés à l'étranger. Pour les missions de combat, l'armée russe a jusqu'à présent toujours fait appel à des soldats professionnels mieux entraînés. Selon le magazine «Politico», l'utilisation de conscrits pourrait indiquer que l'armée professionnelle manque de personnel.
Les médias russes locaux ont également fait état de soldats tombés au combat et de leurs funérailles dans leurs communes d'origine. Les récits y sont très similaires à ceux des recherches de la BBC. Le portail «Ufa online» a par exemple fait état de trois soldats tués en Ukraine et originaires de la république russe du Bachkortostan, dans l'Oural, dont Oufa est la capitale. Le portail en ligne d'Oufa relate notamment l'histoire de Kouzma Nikolaïev, un sous-officier de 25 ans qui n'a jamais voulu être autre chose qu'un soldat et qui, après son service militaire, a signé un contrat avec les forces de la défense aérienne. Il laisse derrière lui une femme et deux jeunes enfants.
Début mars, l'administration de la région de Kanevskoy, dans le sud de la Russie, a publié sur son compte Instagram un rapport sur les funérailles de deux soldats. Concernant la cause du décès, il est seulement indiqué que les deux hommes sont tombés en accomplissant leur devoir lors d'une «opération spéciale» en Ukraine.
Début mars également, un reporter du «Moscow Times», journal critique à l'égard du gouvernement, a pu assister à l'enterrement d'un soldat dans la ville de Voronège et en faire un compte-rendu.
Le prêtre, qui a déjà eu l'occasion de recevoir Vladimir Poutine en personne, a parlé du défunt comme d'un «véritable combattant du Christ contre les esprits du mal: des nazis ukrainiens financés par des multinationales américaines».
De tels récits héroïques ont été entendus lors de nombreux enterrements. Il est toutefois frappant de constater que les reportages des médias russes et des canaux russes sur les médias sociaux datent tous de la première phase de la guerre, de fin février à mi-mars. Depuis lors, les reportages sur les enterrements en Russie sont très rares – et ne sont diffusés que par les médias occidentaux.
Hannes von Wyl et Bernhard Odehnal, publié le 15 avril 2022
Le 5 avril, de nombreux journalistes internationaux sont arrivés dans la banlieue de Kiev, à Boutcha, pour y documenter l'horreur laissée par les troupes russes. Ils ont filmé et photographié des fosses communes et des véhicules militaires calcinés – ainsi qu'un chat au pelage roux et à la queue touffue qui traversait la rue de la gare au milieu d'épaves de chars russes.
Ce n'est pas l'image du chat lui-même qui est devenue virale peu après dans les médias sociaux, mais une photo des journalistes qui le photographiaient. Cette dernière a fait couler beaucoup d’encre et a été l’objet de diverses interprétations controversées. On a autant voulu y voir une métaphore de la dégradation morale des médias occidentaux, que le symbole de la vie dans un environnement hostile. «Un chat vivant est plus important que des véhicules morts de l'armée russe», a ainsi commenté sur Twitter l'écrivain ukrainien Andreï Kurkow, également très connu en Suisse.

En France, la photo du chat de Boutcha est même devenue un sujet politique. L'ambassade russe à Paris a suivi la version officielle de Moscou et a qualifié non seulement les civils assassinés de «mise en scène ukrainienne», mais aussi la photo avec le chat de «plateau de tournage». Le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a alors annoncé qu'il allait convoquer l'ambassadeur russe «face à l’indécence et la provocation de la communication sur les exactions de Bucha». L'ambassade russe a ensuite retiré le tweet du réseau, mais il est resté dans les retweets.

Les animaux n'auront jamais joué un rôle aussi important dans la documentation de l'horreur, mais aussi dans la propagande, que lors de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, qui dure depuis un mois et demi. Les photos de chiens et de chats à l'air triste sont arrivées pratiquement en même temps que les images de chars et de missiles aux premiers jours de la guerre, lorsque des milliers de réfugiés ont franchi les frontières de la Pologne, de la Slovaquie et de la Hongrie. De nombreuses femmes et adolescentes portaient des sacs à dos et des sacs en plastique, mais aussi des caisses à chat ou tenaient leur chien en laisse.


De telles images n’avaient pas été vues lors des crises migratoires précédentes. Les réfugiés venus de Syrie ou d'Afghanistan n'avaient pratiquement jamais d'animaux de compagnie avec eux. Alors que ceux-ci étaient plutôt perçus comme une masse anonyme à leur arrivée en 2015, les chiens et les chats dans les bagages à main des réfugiés ukrainiens suggéraient une «proximité identificatoire», analyse le journal de la capitale autrichienne «Falter»: celui qui nourrit son chat ou promène son chien ne peut pas être si différent.
Du côté ukrainien, ce sont d’abord des groupes civils qui ont exploité cette «proximité identificatoire» avec les animaux domestiques. Des groupes spécifiques ont ainsi été créés sur les médias sociaux pour les chiens et les chats, dans lesquels des images illustrent de manière spectaculaire la souffrance des animaux dans les zones de guerre et appellent le public occidental à l'aide.
On y voit également des images de réfugiés emmenant leurs animaux préférés dans des abris, des stations de métro, ou lors de leur propre fuite hors de la zone dangereuse.
Mais l'armée ukrainienne a elle aussi très vite compris la force des images d'animaux en zone de guerre. Sur les médias sociaux circulent d'innombrables photos et vidéos de soldats ukrainiens sauvant des animaux domestiques abandonnés dans les décombres ou les prenant en charge. Cela contraste aussi fortement avec la propagande russe, où l'on ne voit pratiquement jamais d'animaux. Les images d'animaux permettent de présenter encore plus facilement la guerre comme une lutte du «lumineux» contre l'«obscur».
Le soutien à cette forme de propagande belliqueuse et animalière est particulièrement important aux États-Unis. Un groupe américain sur Twitter se nomme la «Force de défense féline» et prétend soutenir la lutte ukrainienne par la vente de produits dérivés.
Le compte du vétéran américain James Vasquez, qui a rejoint l'armée ukrainienne et en parle pratiquement tous les jours à ses quelque 300’000 followers, est particulièrement populaire sur Twitter. La plupart du temps, il s'agit de rapports sur son propre armement ou sur la destruction d'objectifs russes. Mais James Vasquez a rarement reçu autant de likes et de commentaires que pour son tweet sur un chaton errant qui ne voulait pas le quitter.
Le groupe Twitter en anglais «UkrArmy cats & dogs» s'adresse aussi à un public étranger et décrit, entre autres, l'influence positive des animaux domestiques sur les enfants réfugiés. On y parle également de l'utilisation d'un chien appelé «Patrone» dans la recherche de mines.
Le chat de Boutcha, devenu mondialement célèbre grâce aux médias sociaux, aurait d'ailleurs été sauvé après son apparition sur l’avenue de la gare et aurait trouvé un nouveau foyer.
Bernhard Odehnal, publié le 14 avril 2022
Le régiment ultranationaliste ukrainien Azov a publié une vidéo dans laquelle ses membres décrivent les symptômes d'une prétendue attaque à l’arme chimique à Marioupol. Dans la nuit, cette unité de la garde nationale avait fait état d'une telle attaque. Selon elle, un drone russe aurait libéré une substance inconnue au-dessus de sa position. Aucune confirmation officielle n'a pour l'instant été donnée du côté ukrainien.
Selon la vidéo, la substance chimique provoquerait des inflammations des muqueuses de la gorge et des yeux, ainsi que de l'hypertension, des rougeurs, des palpitations cardiaques, des acouphènes et une sensation de faiblesse. «Ma mère a perdu connaissance, les yeux révulsés en arrière, et c'est tout. Elle a dû être réanimée trois fois», décrit une victime présumée des effets selon la traduction anglaise de la vidéo. D’après le régiment Azov, les personnes concernées seraient dans un «état relativement satisfaisant». Ces informations ne peuvent pas être vérifiées de manière indépendante.
«Selon les rapports préliminaires, on peut supposer qu'il s'agissait d'armes au phosphore», a déclaré la vice-ministre de la Défense Hanna Maliar à la télévision ukrainienne dans la matinée. Les conclusions définitives ne pourront être tirées que plus tard. Hanna Maliar n'a cependant pas précisé quels types de munitions auraient été utilisés. Le risque d'une utilisation d'armes chimiques par la Russie est néanmoins important, a-t-elle souligné.
Sur les réseaux sociaux, les spéculations vont bon train concernant les différents composants des armes chimiques présumées. Selon le fondateur de la plate-forme de recherche Bellingcat, Eliot Higgins, les symptômes décrits ne correspondraient toutefois à aucune arme chimique connue. Bellingcat a publié ces dernières années des recherches approfondies sur l'utilisation de gaz chloré en Syrie.
On ne sait pas qui se cache derrière la prétendue attaque de Marioupol. Les séparatistes prorusses dans l'est de l'Ukraine démentent l'utilisation d'armes chimiques, comme le rapporte l'agence de presse DPA en citant le porte-parole des séparatistes Eduard Basurin. Selon l'armée ukrainienne, un drone russe aurait lâché une substance toxique au-dessus des positions ukrainiennes.
Lundi encore, selon l'agence de presse russe Interfax, Eduard Basurin avait déclaré à la télévision publique russe que les séparatistes allaient utiliser des «troupes chimiques» contre des soldats ukrainiens retranchés dans une usine sidérurgique à Marioupol. Ils devraient donc être «enfumés» selon Eduard Basurin.
L'usine Azovstal, située au sud-est de la ville, abrite quelques-unes des dernières troupes ukrainiennes restantes. Lundi, la 36e brigade de la marine nationale de l'armée ukrainienne avait publié un message désespéré sur Facebook, indiquant qu'elle n'avait plus ni nourriture ni munitions. «Ce sera probablement notre dernier combat», écrivaient les soldats (voir l'article ci-dessous).
Selon des informations russes, des troupes ukrainiennes se trouvent également encore dans une deuxième aciérie au nord de la ville. «Les restes des forces ukrainiennes encerclés sur le territoire de l'usine «Illitch» ont fait une tentative infructueuse de s'échapper de la ville», a déclaré le porte-parole du ministère russe de la Défense, Igor Konachenkov. D’après ce dernier, une centaine de soldats ukrainiens ont tenté de s'échapper et la moitié d'entre eux ont été tués. Ces informations n'ont pas pu être vérifiées de manière indépendante dans un premier temps.
Lundi, les séparatistes de l'est de l'Ukraine ont indiqué que le port situé au sud de la ville était entièrement sous contrôle russe.

Depuis l'invasion russe du 24 février, Marioupol est l'une des villes ukrainiennes les plus violemment disputées. La ville revêt une grande importance stratégique en raison de son port sur la mer Noire. Pour la partie russe, la prise de Marioupol permettrait d’assurer une continuité territoriale entre la péninsule annexée de Crimée et les territoires séparatistes à l'est de l'Ukraine.
Hannes von Wyl, publié le 12 avril 2022
La bataille pour la ville portuaire assiégée de Marioupol semble toucher à sa fin. Selon le ministère britannique de la Défense, les combats se sont intensifiés ces dernières heures dans cette ville stratégique de la mer Noire.
Les troupes russes se sont déjà emparées de larges parties de Marioupol. D’après les informations du think tank américain Institute of the Study of War, les combats se concentrent autour des dernières positions ukrainiennes dans le port au sud-ouest de la ville ainsi que sur le site de l'usine Azovstal au sud-est. Lundi, la chaîne de télévision russe Rossiya 1 a rapporté que le port était déjà aux mains des Russes.

Dans l'aciérie disputée, les soldats de la 36e brigade de la marine nationale de l'armée ukrainienne continuent de patienter courageusement. Ils décrivent leur situation désespérée dans un post Facebook lundi matin : «Pendant plus d'un mois, les marines se sont battus sans ravitaillement en munitions, sans nourriture, sans eau, buvant dans des flaques d'eau».
Le commandement de l'armée aurait certes prévu de briser le siège, mais sans succès. Le président ukrainien Volodymyr Selensky a déclaré lundi que Marioupol était coupée de tout approvisionnement depuis début mars. Les bombardements russes auraient fait jusqu'à présent des «dizaines de milliers» de morts.

La 36e brigade de la marine nationale déplore elle aussi de lourdes pertes. Toute l'infanterie serait morte, c'est pourquoi même les chauffeurs et l'orchestre auraient pris les armes. La position ne peut plus être tenue. «Aujourd'hui sera probablement notre dernier combat, car nous n'avons plus de munitions», écrivent les fusiliers marins. «Pour certains ce sera la mort, pour d’autres la captivité».
Ces informations ne peuvent pas être vérifiées de manière indépendante. Pendant ce temps, la télévision russe dresse un tout autre tableau. Selon cette dernière, les nationalistes ukrainiens sur le site d'Azovstal retiennent prisonniers environ un millier de civils pour servir de boucliers humains.
Hannes von Wyl, publié le 11 avril 2022
Vendredi 8 avril, 7h30 heure locale: des milliers de personnes – surtout des femmes, des enfants et des hommes âgés – attendent à la gare de la ville de Kramatorsk, dans l'est de l'Ukraine. Le premier train de la journée doit les emmener vers l'ouest, loin de la zone de guerre, en sécurité. C'est alors que plusieurs détonations ébranlent le bâtiment de la gare et le parvis. Des personnes s'effondrent, couvertes de sang, et des voitures prennent feu. On comprend vite que plusieurs roquettes ont frappé les alentours de la gare et que plus de 50 personnes sont mortes.

Le gouverneur ukrainien de la région de Donetsk, Pavlo Kirilenko, parle d'abord d'une attaque par des missiles russes Iskander, puis corrige le type de missiles en Tochka-U. Pavlo Kirilenko affirme sur Twitter que les missiles étaient équipés de «cluster munitions», afin de causer le plus de dégâts possible parmi la population civile.

L'Occident condamne fermement l'attaque. Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, parle d'un crime de guerre. Sur de nombreuses photos publiées sur les médias sociaux, on peut voir le reste d'un missile, apparemment de type Tochka-U, avec l'inscription cyrillique «Pour les enfants». Selon les experts en armement d'Amnesty International, ce type de missile est particulièrement imprécis et peut manquer une cible d'un demi-kilomètre.
Très rapidement, la partie russe est passée à la contre-attaque journalistique: le Ministère russe de la défense a envoyé le jour même un communiqué de presse selon lequel aucune attaque n'était prévue ce jour-là sur Kramatorsk et que l'armée russe n'utilisait pas de missiles Tochka-U. Ceux-ci seraient uniquement en possession des forces armées ukrainiennes. Les ambassades russes du monde entier ont repris cette affirmation selon laquelle l'armée ukrainienne aurait tiré sur ses propres civils et les aurait tués. L'information a notamment été retweetée par le chef de mission adjoint Alexander Alimov, accrédité à l'ONU à Genève et particulièrement actif sur Twitter.

Il est incontestable que l'armée ukrainienne possède également des missiles Tochka-U. Un tel missile a frappé Donetsk, occupé par les séparatistes russes, le 14 mars 2022, tuant 20 personnes. À ce jour, on ne sait toujours pas de quel territoire le projectile a été tiré.
L'affirmation russe selon laquelle sa propre armée n'utilise plus du tout de Tochka-U ne résiste toutefois pas aux vérifications indépendantes. Le 30 mars déjà, le blogueur d'opposition biélorusse Anton Motolko et son équipe avaient annoncé sur Twitter avoir vu un convoi militaire transportant des missiles Tochka-U près de la ville biélorusse de Gomel. Le signe V sur les véhicules indique qu'il s'agit d'un convoi russe.
Selon le blog américain «Defence Blog», la Russie avait officiellement retiré ce type de missiles en 2019 et avait encore affirmé mi-mars 2016 dans une lettre adressée au Conseil de sécurité de l'ONU qu'il ne serait pas utilisé. Mais la Russie l'utilise désormais dans la guerre en Ukraine, peut-on lire dans une entrée du blog du 31 mars 2022.
Le Conflict Intelligence Team (CIT) russe part également du principe que le Tochka-U a été utilisé du côté russe. Ce groupe d'investigation a été fondé en 2014 après l'occupation de la Crimée et de l'est de l'Ukraine et travaille, à l'instar du groupe de recherche britannique Bellingcat, principalement avec Open Source Intelligence (Osint). La 47e brigade de missiles aurait été armée jusqu'à récemment avec des Tochka-U. Le passage aux Iskander plus récents n'aurait eu lieu qu'en janvier - trop peu de temps pour pouvoir vraiment les utiliser.
En raison de la position des restes de missiles devant la gare de Kramatorsk et de la portée maximale de 120 kilomètres d'un Tochka-U, il a été calculé que le tir a eu lieu depuis le sud-ouest. La région est certes principalement sous contrôle ukrainien, mais selon le CIT, un tir depuis le territoire occupé par les séparatistes prorusses est également possible.
De plus, selon le CIT, il est extrêmement improbable que l'armée ukrainienne attaque sa propre population et qu'elle veuille également détruire un nœud ferroviaire important pour elle. Alors qu'à l'inverse, il existe désormais suffisamment de preuves d'attaques de l'armée russe contre des cibles civiles.
Bernhard Odehnal, publié le 9 avril 2022
Les images des cadavres dans les rues de la banlieue de Kiev ont fait le tour du monde. Rien qu'à Boutcha, au nord-ouest de la capitale, 300 morts ont été retrouvés jusqu'à présent. Des corps sans vie ont également été recensés à Irpin et Hostomel. Au total, les troupes russes auraient tué plus de 400 civils au cours des dernières semaines.
La récupération des morts s'avère désormais difficile. Non seulement les véhicules et les équipements manquent pour extraire les personnes tuées des rues et des maisons, mais de plus en plus de rapports indiquent que les soldats russes auraient placé des pièges explosifs sur les cadavres avant de se retirer.
Olena Halushka, membre de l'ONG ukrainienne Anti-Corruption Action Center, a rapporté le 31 mars que des corps avaient été minés à Irpin. La ville, située à environ 27 kilomètres au nord-ouest de Kiev, était l'une des banlieues les plus disputées de la capitale. Le 28 mars, le maire d'Irpin a annoncé que la ville était à nouveau sous contrôle ukrainien.
Le week-end dernier, après la révélation des crimes de guerre présumés de Boutcha, le président Volodymyr Zelensky a averti que les troupes russes laissaient des «mines partout», même sur les cadavres.
Une journaliste du «Times» britannique a rapporté lundi dernier qu'un prêtre aurait ainsi failli être tué par un de ces pièges à Hostomel. Le prêtre, appelé Piotr Pavlenko, aurait voulu récupérer le corps du maire tué par des snipers russes. Des soldats l'en auraient empêché. «Ne touche pas le corps, sinon il explosera», lui auraient-ils dit selon le journal.
Selon l'agence de presse AP, les soldats ukrainiens utilisent désormais des boucles en câble pour déplacer les personnes tuées à une distance de sécurité avant de les récupérer, par crainte des pièges explosifs.
Ces informations ne peuvent toutefois pas être vérifiées de manière indépendante. Jusqu'à présent, aucune image n'est apparue qui attesterait de la présence de pièges explosifs sur les corps. En revanche, des dizaines d'images d'engins explosifs placés dans des bâtiments civils ou dans des véhicules sont visibles sur les médias sociaux.
Une vidéo montrerait une mine posée dans une cage d'escalier à Boutcha à l'aide d'un fil de fer. Il s'agirait d'une mine antipersonnel russe OZM-3.
Des photos prises mercredi montreraient par ailleurs un piège explosif qui aurait été placé par les troupes russes dans une machine à laver dans une maison à Borodjanka. La petite ville est située à 55 kilomètres au nord-ouest de Kiev.
Un reportage du même jour montre des combattants ukrainiens qui ont apparemment trouvé une grenade russe dans une maison d'habitation à un endroit non précisé. Elle aurait été cachée sous un chiffon. Une autre image montrerait une grenade placée en haut au milieu entre deux battants de porte. Si les portes sont ouvertes, la goupille de sécurité est retirée de la grenade, provoquant l'explosion de l'engin. La photo aurait été prise dans un immeuble de bureaux de la banlieue de Makarov, à l'ouest de Kiev.
Des enregistrements vidéo montrent apparemment aussi une mine marine dans une ambulance à Marioupol. Selon l'auteur du message sur Twitter, elle servirait de piège explosif.
Dans ces cas également, les informations ne peuvent pas être vérifiées de manière indépendante. Toutefois, selon l'académie militaire américaine Westpoint, des pièges explosifs ont déjà été utilisés dans des installations civiles par des troupes russes ou des mercenaires en Libye ou en Afghanistan. Selon les Conventions de Genève, les pièges explosifs sont interdits dans les habitations et sur les corps. Si les rapports et les images mentionnés s'avéraient exacts, il s'agirait d'un nouveau crime de guerre commis par les troupes russes.
Hannes von Wyl, publié le 8 avril 2022
L'entreprise russe d'expédition express CDEK a eu beaucoup de travail ces derniers jours. Notamment l'une des nombreuses filiales de la firme, située dans la petite ville biélorusse de Mozyr. Le blogueur d'opposition Anton Motolko et son équipe ont publié sur le site «Belarusski Gajun» (Bosquet biélorusse) une vidéo de trois heures qui semble provenir d'une caméra de surveillance installée dans les bureaux de CDEK et qui montre des soldats apportant une multitude de caisses et de sacs pour les expédier.
Selon l'équipe Gajun, il s'agit de soldats russes du 56e régiment de la Garde des troupes aéroportées, qui était à l'origine stationné en Crimée occupée par la Russie et qui a participé aux combats en Ukraine. La vidéo aurait été filmée le 2 avril 2022 et montrerait les soldats envoyer chez eux, par courrier express, des objets de valeur volés en Ukraine allant du téléviseur au scooter électrique en passant par des ordinateurs. Ce n'est qu'au bout de trois heures que les soldats auraient remarqué la caméra de surveillance et l'auraient désactivée. Un sac en plastique que l'on voit à la fin de la vidéo est notamment censé prouver que les objets proviennent d'Ukraine. Le sac vient en effet du centre commercial ukrainien Epicenter.

Détail déroutant dans la vidéo: la date du 19 décembre 1970 qui s'affiche dans le coin inférieur droit. Mais il ne peut s'agir que d'un mauvais réglage de la caméra, car ni les uniformes ni la plupart des objets que l'on voit dans le film n'existaient dans les années 1970. En revanche, le lieu de la prise de vue est clairement identifiable grâce à Google Maps. Il s'agit bel et bien des bureaux du CDEK au 32 de la rue Kujbischew à Mozyr. Sur les photos de l'entrée prises en 2021, on reconnaît la même porte d'entrée, le même comptoir et les mêmes paillassons verts que dans la vidéo.


Mais pourquoi les soldats russes envoient-ils des biens présumés volés depuis la Biélorussie? La petite ville de Mozyr est pour les troupes russes une base importante pour le ravitaillement de la frontière ukrainienne, située à seulement 70 kilomètres. Peu avant le début de l'invasion le 24 février, de nombreuses troupes y ont été rassemblées. Mais c'est aussi à Mozyr que sont désormais envoyés les blessés et les morts russes du front ukrainien.
Sur un canal Instagram, «Mozyr-for-life», les habitants postent des photos de positions russes et d'ambulances. Les soldats qui reviennent du front rapportent désormais probablement aussi des objets volés. Le conseiller de la dirigeante de l'opposition biélorusse Svetlana Tikhanovskaya, Franak Wiatsorka, affirme sur Twitter que des soldats russes paieraient jusqu'à 200 dollars à des chauffeurs de taxi biélorusses pour qu'ils conduisent de grands cartons et des caisses dans leur pays.
Le ministère ukrainien de la Défense, lui, rapporte que des soldats russes ont mis en place un bazar dans la ville biélorusse de Narovlya pour des marchandises volées en Ukraine. Narovlja se trouve au sud de Mozyr et à seulement 40 kilomètres de la frontière ukrainienne. Les images de soldats russes renvoyant leur butin chez eux par courrier express semblent en tout cas confirmer d'anciens rapports visuels et sonores de troupes russes pillant l'Ukraine.
Les soldats auraient en partie pillé des supermarchés par faim, car l'approvisionnement des troupes ne fonctionnait pas. C'est ce qu'avait déjà rapporté Radio Liberty début mars. Par la suite, les services secrets ukrainiens ont toutefois publié des enregistrements sonores dans lesquels des soldats russes téléphonent à leur épouse ou à leur mère à la maison et leur décrivent les produits de luxe qu'ils ont pu emporter dans des magasins et des maisons en Ukraine. Il n'est toutefois pas possible de vérifier de manière indépendante l'authenticité de ces enregistrements.
En ce qui concenre les Russes qui ont été filmés le 2 avril au guichet d'expédition express en Biélorussie, les blogueurs biélorusses de l'opposition affriment avoir trouvé les noms, adresses et numéros de téléphone de plusieurs d'entre eux. Les hommes seraient originaires de la petite ville de Roubtsovsk en Sibérie, près de la frontière avec le Kazakhstan, à 3000 kilomètres de la frontière ukrainienne.
Bernhard Odenhal, publié le 8 avril 2022
Depuis que les troupes russes ont quitté Boutcha le 31 mars, des images horribles de la ville autrefois assiégée au nord-ouest de Kiev ont été rendues publiques. Les journalistes et les autorités ukrainiennes font état de centaines de morts parmi les civils, dont beaucoup ont été abattus en pleine rue, parfois les mains liées dans le dos.
Alors que le président ukrainien Zelensky a accusé la Russie de commettre des crimes de guerre en Ukraine, l'ambassadeur russe à l'ONU Vasili Nebenzija a nié toutes les accusations lundi devant le Conseil de sécurité de l'ONU. Kiev a «mis en scène les images pour discréditer l'armée russe et exercer une pression politique sur la Russie», a déclaré l'ambassadeur.
Bien qu'il existe désormais des preuves convaincantes que les civils ont bien été tués par des soldats russes, le Kremlin continue de démentir toute implication de son armée. Dimanche, le ministère russe de la Défense a diffusé un reportage de la chaîne télégraphique «War on Fakes», proche du Kremlin, dans lequel le massacre était qualifié de «campagne médiatique coordonnée des Ukrainiens».
Une vidéo de la chaîne d'information ukrainienne Espreso.TV a été citée comme preuve à l'appui, censée montrer que les cadavres dans la rue étaient en réalité des acteurs vivants.
Sur cette vidéo, on verrait ainsi bouger le bras d'un cadavre allongé le long d'une route. En réalité, on observe une sorte de mouvement à l'endroit correspondant. Comme la vidéo filmée depuis une voiture en mouvement, n'était à l'origine disponible qu'en relativement mauvaise qualité, il n'a pas été possible, dans un premier temps, de savoir si c'était effectivement un bras qui bouge.
Le magazine en ligne biélorusse «Nexta» a alors publié une autre version de la même vidéo, en meilleure résolution. On y voit clairement que le mouvement ne provient pas d'un acteur vivant, mais que le contraste avec le cadavre permet de distinguer soudainement une goutte de pluie sur le pare-brise de la voiture d'où est filmé la scène.
Le site d'information «Aurora Intel» a créé une version de la vidéo avec des couleurs inversées, dans laquelle la goutte de pluie est encore plus visible.
La prétendue fausse révélation de la chaîne télégraphique «War on Fakes», diffusée par le ministère russe de la Défense, s'est donc elle-même révélée fausse. Le ministère russe de la Défense a jusqu'à présent renoncé à rectifier ses affirmations.
Philippe Stalder, publié le 7 avril 2022
«Une jeune fille russe a été attachée à un poteau par des soldats ukrainiens à Marioupol pour servir de bouclier vivant.» Cette légende accompagne la photo qui hante depuis quelques jours les canaux Telegram prorusses et les fils Twitter, où elle touche des dizaines de milliers de personnes.
La fillette sur le cliché est attachée à un poteau avec du ruban adhésif jaune, un homme en uniforme militaire se tient à sa gauche, un insigne ukrainien est visible sur son bras gauche. En arrière-plan se trouve un groupe d'hommes en tenue civile. Le visage de la jeune fille est recouvert de peinture verte.

Certains utilisateurs ont commenté la photo en posant des questions critiques: «Qui est cette fille? Où la photo a-t-elle été prise? La photo est-elle authentique? Quand la photo a-t-elle été prise?» On attend toutefois en vain des réponses sur les canaux correspondants. Brecht Castel, expert en fact-checking pour le magazine néerlandais «Knack», a pour sa part tenté de trouver les réponses à ces questions.
Tout d'abord, Brecht Castel a téléchargé l'image sur le moteur de recherche russe Yandex afin de vérifier si elle avait déjà été utilisée dans un autre contexte. En effet, un article du 21 mars sur la plateforme de flux d'informations russe Zen Yandex montre la même image, ainsi que cinq photos similaires. On y voit au total trois jeunes femmes dont le visage et les mains sont recouverts de peinture verte et qui ont été attachées à différents poteaux avec du ruban adhésif.
La légende russe est la suivante: «L'année 2022. Europe. Le nazisme habituel à Lviv. Parlons maintenant de l'appartenance ethnique. Les photos montrent des membres de la diaspora rom.»

Selon cette source, la photo ne provient donc pas de Mariupol, mais de Lviv, et ne montre pas une Russe, mais une jeune fille de la communauté rom. Si l'on tape les termes Lviv (version anglaise de Lemberg) et Roms sur Google, on tombe d'abord sur un article du 22 mars du site tchèque Romea.cz, un magazine en ligne de la communauté rom.
L'article s'intitule «La Russie falsifie des photos à des fins de propagande, les ONG roms mettent en garde les autorités ukrainiennes». Deux des photos de l'article de Zen-Yandex ont été utilisées comme photos de couverture pour l'article en question.

Selon l'article, les clichés montrent des Roms pris en flagrant délit de pillage à Lviv et humiliés publiquement par une milice autoproclamée, puis cloués au pilori ou attachés à un poteau en guise de punition. L'article cite l'avocat ukrainien et militant des droits de l'homme Julian Kondur: «Les personnes sur les photos ont déjà été prises à plusieurs reprises en flagrant délit de vol à la tire. Leurs photos ont notamment été diffusées par un groupe appelé 'Les chasseurs' qui poursuit les Roms délinquants et les punit en se faisant justice eux-mêmes.»
Les photos ont-elles donc été diffusées par le groupe d'autodéfense «Les chasseurs»? Un coup d'oeil sur la page Facebook des «chasseurs» montre que l'administratrice du groupe, Roksolana Lisovska, a mis en ligne les photos de la jeune fille le 21 mars. Son post contient une autre photo de la scène du pilori, de meilleure qualité, ce qui laisse penser que des membres des «chasseurs» pourraient avoir été présents sur place. Il n'est toutefois pas possible de déterminer avec certitude s'ils ont également pris les photos. Un autre membre du groupe a partagé sous les photos un article du site d'information ukrainien Varta1, qui fournit davantage d'informations sur le motif des auteures présumées.

L'article, intitulé «A Lviv, encadrées et attachées à un poteau», utilise également la photo en qestion: «Aujourd'hui, 21 mars, des voleuses ont été arrêtées et attachées à un poteau à Lviv. C'est ce qu'ont rapporté à Varta1 des témoins oculaires. Les jeunes filles tentaient de voler les passagers d'un minibus près du carrefour Halitchina. Des passants les ont attrapées et ont tiré les voleuses dehors dans la rue. Elles ont ensuite été attachées à un poteau et leur visage a été peint en vert.»
L'article ne donne pas d'informations plus précises sur les passants, mais il est probable que ces derniers aient fait passer les photos à des membres de la garde civile. Comme il n'est pas possible de trouver des versions plus anciennes des photos, la date du 21 mars mentionnée dans l'article est probablement correcte.
Brecht Castel a également réussi à vérifier l'emplacement de la photo en comparant les intersections de Lviv dans Google Streetview avec les caractéristiques des photos:

Il a ainsi trouvé un carrefour qui présente le même chapiteau pour les boissons (cadre jaune) ainsi que le même logo de station-service (cadre rouge). Cependant, tous les éléments ne correspondent pas, car la photo Streetview date de juillet 2015. Le bâtiment qui s'y trouve encore en construction n'a été achevé que le 21 mars 2022 (cadre vert). De même, le poteau auquel la fillette est attachée n'existait pas encore en 2015.
Castel a ainsi pu réfuter le fait que la photo montre une jeune fille russe et qu'elle aurait été prise à Mariupol. Ce ne sont pas non plus des soldats ukrainiens qui ont attaché la jeune fille au poteau. La photo montre plutôt une Rom dans une ville à l'autre bout du pays, attachée au poteau par des civils ukrainiens.
Images instrumentalisées
Des images de pillards présumés, punis et humiliés publiquement dans des villes ukrainiennes, parfois même frappés arbitrairement par des passants, circulent actuellement en grand nombre sur les médias sociaux. Souvent, leurs mains et leurs visages sont peints avec du seljonka, un colorant vert antiseptique qui s'enlève difficilement de la peau.
Selon un article de Radio Free Europe Radio Liberty, le marquage des personnes au seljonka est une méthode populaire en Russie et en Ukraine pour marquer les malfaiteurs présumés, à l'instar du goudron et des plumes en Amérique du Nord au cours des 19e et 20e siècles.
Comme l'explique Kondur, militant ukrainien des droits de l'homme, à Romea, les trolls russes utilisent cet acte d'auto-justification pour accuser l'Ukraine d'être gouvernée par des néonazis. «Les images sont instrumentalisées pour diffuser le récit d'une société ukrainienne sans loi et nazifiée, dans laquelle seule la Russie peut rétablir l'ordre.»
La chaîne de propagande russe RT a également fait état des personnes ligotées. Certes, pas dans la version erronée des «boucliers humains» à Marioupol, mais des Roms à Lviv. Toutefois, le rapport russe utilise l'incident pour justifier la nécessaire «dénazification» de l'Ukraine.
Philippe Stalder, publié le 6 avril 2022
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