Événement théâtralVivez jusqu’au bout de la noyade avec la pièce «Requin»
Bertrand Belin nous entraîne dans une mort absurde qui fait rejaillir à la surface des souvenirs qui ne valent pas la peine d’être revécus mais racontés.

La musique s’arrête brusquement, comme la lumière, qui s’éteint. C’est la fin de la pièce «Requin», au théâtre Saint-Gervais. Le public, jusque-là concentré et rieur en réaction à certains moments cocasses, s’agite enfin. L’enthousiasme est définitivement au rendez-vous, rythmé par des «youhou» et des «bravos» à foison.
«Nous avons pu vivre une expérience émotionnelle, visuelle, sensorielle même.»
«Les acteurs sont des professionnels comme on en voit rarement!» s’exclame un monsieur, fin connaisseur du monde du spectacle. «Plus qu’une pièce de théâtre, nous avons pu vivre une expérience émotionnelle, visuelle, sensorielle même», renchérit une jeune femme, qui s’est laissée tenter par l’œuvre, car elle a été écrite par un chanteur, compositeur et interprète qu’elle apprécie particulièrement: Bertrand Belin.
Hiérarchie de la mort
L’auteur nous embarque au bord d’un lac artificiel pour contempler une mort absurde. Le principal intéressé, interprété par le Valaisan Vincent Coppey, hésite à plonger. À juste titre, puisqu’une crampe tétanise son muscle. Ce phénomène pourtant anodin s’avère fatal. Le public est alors invité à assister à ce moment de noyade, qui se vit d’ordinaire en solitaire et en silence.
Une occasion pour passer en revue les plus beaux instants vécus sur Terre? Absolument pas. Le personnage, appelé «l’homme», en profite pour faire remonter à la surface des souvenirs qu’il ne souhaiterait surtout pas revivre. L’absurdité de la scène et le texte, aussi brillant et cynique, provoquent les rires du public. «Les gens de mon âge meurent en s’étouffant avec une crêpe, pas décapités par un ours.»

Parce que oui, il existe bel et bien une hiérarchie de la mort, avec des derniers souffles plus légendaires que d’autres. Dans son absurdité, cet ultime acte pousse à l’admiration par ces longs mais captivants monologues. À la fin de la première représentation, l’acteur se confie sur sa technique de mémorisation. «En trois mois de travail, c’est comme des couches qui s’ajoutent les unes après les autres.» Finalement, comme lorsqu’on assiste à la pièce, où l’on traverse avec lui différentes étapes de profondeur.
Minimaliste et efficace
Dans ce voyage dans les tréfonds de l’élévation de l’âme, «l’homme» est accompagné par un personnage étrange, «le nixe», interprété par François Revaclier. Cette «créature», tantôt technicienne tantôt guitariste, s’apparente à un ange de la mort. Une présence qui veille sur le dernier souffle et qui pourrait être comparée à un requin. On sait qu’il est là, on sent que sa compagnie sera fatale, mais on ne le voit pas réellement.
«Le garçon», interprété par Eliot Sidler, représente «l’homme» dans sa version adolescente, à une période de vie où il aurait pu mourir, également en se noyant. «Le garçon est l’empreinte, le fossile de l’accident qui ne l’a pas tué mais l’a figé», analyse la metteuse en scène Laure Hirsig. Sur scène, un film plastique reflète la lumière créant un effet d’eau trouble et profonde. «L’homme» est suspendu et semble flotter en mobilisant tout son corps pour exprimer sa détresse absurde.
«Requin» Jusqu’au 30 avril au Théâtre Saint-Gervais, www.saintgervais.ch.
Rencontre et discussion avec Bertrand Belin ainsi que toute l’équipe artistique le 25 avril à l’issue de la représentation
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