Aller en Ukraine alors qu’on est en vacances. Cela a surpris mes proches mais, pour moi, il s’agissait d’une évidence. Un récent voyage en Europe de l’Est m’a mené à Budapest. Arrivé dans la capitale hongroise à la mi-mai, je me suis aperçu que je me trouvais à seulement trois heures de route de l’Ukraine. J’ai été amené à traiter de l’arrivée des réfugiés en Suisse alors, par réflexe professionnel, il me fallait me rendre à la frontière, où je m’attendais à voir un flot d’Ukrainiens fuyant les combats.
«Le village de 700 habitants voit passer entre 200 et 600 réfugiés par jour.»
Une location de voiture et 300 km plus tard, me voici dans le village de Beregsuràny. Un camp d’une quinzaine de tentes est caché derrière la salle communale. Le responsable, Imri Szebjan, explique que le lieu sert de point de transit. Le gouvernement de Viktor Orban ne met que des moyens limités à l’accueil des réfugiés. Des Ukrainiens préfèrent même rentrer. «Ils voient que ce n’est pas le paradis, ils retournent dans des régions épargnées par la guerre», rapporte Imri.
Le village de 700 habitants voit passer entre 200 et 600 réfugiés par jour mais Imri Szebjan appréhende les prochaines semaines: «Ils sont environ 800’000 dans des camps en Transcarpatie, de l’autre côté de la frontière. Ils arriveront ici si ça continue. Je ne sais pas comment nous les accueillerons.»
Cette frontière qui pourrait craquer est encore bien calme. Au poste frontière, les douaniers ne parlent pas anglais mais ma carte de presse répond à leurs interrogations. Cela me surprend qu’il soit aussi facile d’entrer dans un pays en guerre.
Après avoir longé une route bordée de voitures abandonnées, j’arrive au village d’Astei. Censé être peuplé d’un millier d’âmes, il paraît bien vide. Les hommes qui y restent sont des retraités. Ceux qui ont l’âge de porter une arme ont été envoyés au front. Et une partie de la population de la région, d’ethnie hongroise, est partie au début de l’invasion.
Les bâtiments publics sont quasi tous fermés. Dans l’unique épicerie encore ouverte, une villageoise s’enquiert du prix d’un paquet de lessive, bien plus cher qu’avant. Elle finira par l’acheter mais reposera une partie de la nourriture qu’elle avait prise. Même à 600 km des combats, les effets de la guerre se font sentir.
Précieuse sécurité
À mon retour à la frontière, ma présence interpelle. Un très jeune militaire me remercie pour mon travail de journaliste. Cela me gêne par rapport à mes confrères qui sont sur le front. Plus loin, arrivée sur sol hongrois, Lilia, lancée dans un périple depuis Kharkiv avec ses quatre enfants, me demande comment les réfugiés sont accueillis en Suisse: «J’ai tout fait pour rester en Ukraine, mais je me sens enfin en sécurité.»
Cette visite d’une journée m’aura permis de rendre ce conflit à la fois si proche et si lointain plus réel encore. De Suisse, la situation semble stagner, mais il faut s’attendre à une crise migratoire bien plus importante qu’elle ne l’est actuellement.
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La rédaction – Visite sur une frontière prête à craquer
Même brève, une incursion en Ukraine et dans un camp de réfugiés en Hongrie permet de constater la situation du pays envahi par la Russie.