Vin en fût: une révolution de comptoir est en marche
L'œnologue Marc Sarrazin équipe maints bistrots de tireuses à vin. Économique, écologique et adapté à la consommation d'aujourd'hui. Les jours de la bouteille en verre sont-ils comptés?

On connaît de sourcilleux œnophiles qui vont sans doute avaler leur tire-bouchon en découvrant cette histoire. Pensez, du vin à la pression! Oui, comme de la vulgaire bière industrielle. Mais où va le monde ma pauvre dame? Proposer plusieurs bons crus en fût, avec une tireuse juchée sur le bar, c'est pourtant le pari gagnant d'une dizaine d'enseignes genevoises: du Café des Sources au Bout de la Rue à Plainpalais, via le Café du Marché à Carouge ou l'Auberge de Compesières. Derrière cette petite révolution bistrotière se démène un homme: Marc Sarrazin, qui mouille sa chemise depuis plus de deux ans pour perfectionner et lancer le système en Suisse. Notez que la formule n'a rien de totalement inédit. L'Angleterre et l'Italie en sont déjà adeptes. On a déjà bu certains essais plus ou moins convaincants sous nos cieux. Le jeune entrepreneur Genevois a simplement développé sa propre version de la chose, en poussant loin le bouchon qualitatif. Mais au fait, servir du vin à la tireuse, quel est l'intérêt? «Il est multiple», s'enflamme ce fougueux diplômé de Changins. «Écologiquement, se passer de bouteille en verre constitue un gain gigantesque. Tout comme en termes de stockage, de manutention, de gaspillage, de prix, de température de service…» Et de dégainer une cascade de chiffres, statistiques et études qui corroborent son propos. Résumons. Un fût abrite 30 litres, l'équivalent de 40 bouteilles qu'il faudrait fabriquer, transporter, ranger, vider, recycler… Economie? Environ 20% sur le prix du vin, beaucoup d'énergie et de gaspillage.
Pourvu qu'on ait l'ivresse
Reste un problème fondamental: le breuvage lui-même. Ben oui. Mieux vaut qu'il soit bon. Comme disait Musset: «Qu'importe le flacon…» Vous connaissez la suite. «J'ai trouvé des fûts fabriqués en France avec une poche à l'intérieur, qui se rétracte au fur et à mesure de l'utilisation. Comme un bag-in-box (BIB pour les intimes). Du coup, il n'y a strictement aucun risque d'oxydation.» Dans la foulée, il nous tire un verre de gamay genevois à la pompe, qui fait montre en effet d'une indiscutable pureté aromatique. Pour l'heure, Marc propose une dizaine de vins différents aux restaurateurs. Des crus locaux, francs et simples. Mais aussi des cuvées plus élaborées, comme le merlot longuement élevé de Stéphane Gros. L'œnologue tutoie ces breuvages qu'il met en fûts. Il les a sélectionnés au fil des années, connaît leurs producteurs et leur pedigree. Avec ses deux complices Marc Filliettaz et Jérôme Chapuis, il est en effet à la base du Bibarium, ex-Château Carton de la rue Dizerens, boutique spécialisée dans les BIB. L'arcade a eu quelques soucis financiers. Elle n'existe plus. Mais les précieux cubis sont toujours disponibles à la vente chez les voisins de la Casa Mozzarella. Et la société demeure, avec la nouvelle croisade que voilà. Laquelle a connu maints rebondissements. Des premiers essais de pompes branchées sur des BIB se soldent par une petite bérézina. Le vin mousse dans le verre, façon cappuccino. Pas glop. «On a perdu pas mal d'argent dans l'aventure.» Jusqu'au-boutiste et obstiné, Marc s'entête, tâtonne, expérimente, rencontre de nouveaux partenaires. Et finit par décrocher un financement européen de recherche pour dresser un écobilan de son projet. Mais manque encore pas mal de sous. «Je passe des deals avec les restaurateurs. Je les équipe sans qu'ils déboursent un franc, à condition qu'ils m'achètent le vin ensuite, que je leur livre.» Chaque installation flirte avec les 4000 francs. D'où les besoins de financement de la jeune entreprise.
Pétillant à la pompe
Des projets? Oui, au moins mille. «Je voudrais doubler ma gamme de vins avant la fin de l'année. Quant au nombre de bistrots intéressés en Suisse romande, il croît régulièrement grâce au bouche-à-oreille. Surtout, je planche sur un système fiable pour les mousseux; la pression très élevée pose des problèmes particuliers.» Qu'il résoudra, soyez-en sûrs. À la Noël 2019, on se sifflera du prosecco à la pression au bar du coin.
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Après le verre, réenchanter la dégustation du vin
Derrière le phénomène émergent du vin en fût pourrait, mine de rien, se profiler un changement d'ampleur dans la longue saga bacchique: la ringardisation de cette bonne vieille bouteille. Si, si, si. Il faut dire qu'elle traîne quelques solides casseroles. Son bouchon en liège d'abord, responsable de maux que les amateurs ne connaissent que trop. Mais son contenant aussi, plus vraiment en phase avec la consommation contemporaine. Ces 75 cl, qui naguère se sifflaient allègrement lors d'un repas à deux, dépassent souvent la dose prescrite par la modernité. D'autant que les gens veulent désormais de la diversité dans leur verre à pied, en mariant éventuellement chaque plat dégusté à des crus différents. D'où plein de flacons ouverts – et plus ou moins bien rebouchés – qui s'entassent derrière les comptoirs et s'oxydent à vitesse grand V entre deux services. On ne parle ni d'écologie ni de gâchis. Reste que dans le folklore vinique et notre culture gastronomique en général, la bouteille garde toute sa superbe. Cette bouteille que, en une discrète courbette, présente le sommelier au client. Qui est ensuite débouchée avec tact, puis dégustée avec morgue, sous le regard attentif de tous les convives. Sans parler de l'étiquette, pleine d'enseignements et de promesses, qui se retrouve scrutée, photographiée, commentée par la tablée. D'aucuns pourront peut-être trouver ce décorum vieillot. Mais il ne manque ni de charme ni d'utilité. Faut-il y renoncer? Ce serait dommage. Et sans doute faudra-il inventer de nouveaux rituels pour enchanter la dégustation des vins sans bouteille. De chouettes carafes. Une autre gestuelle. Des cartes imprimées, peut-être, pour suppléer aux étiquettes. Bref, il y a là un passionnant chantier qui se dessine. J.Est.
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