
La réforme du Cycle d’orientation appelée CO22 fait l’objet de débats nourris au Grand Conseil. Emmanuel Deonna et Pierre Nicollier expliquent pourquoi l’un la défend et l’autre la combat. Ils siègent tous les deux dans la Commission de l’enseignement du Grand Conseil. Pierre Nicollier s’est engagé contre la réforme dans un rapport de minorité au sein de cette commission parlementaire.
La mixité intégrée est nécessaire et utile
Le bilan de la précédente réforme du cycle d’orientation («nCO»), introduite en 2011, est sans appel. Les élèves les plus faibles n’atteignent pas leurs objectifs. Beaucoup trop d’élèves du Cycle d’orientation n’arrivent pas à trouver leur voie. En dépit de la grande qualité de cette filière, peu d’entre eux effectuent un apprentissage dual. Et leur niveau est souvent insuffisant face aux exigences élevées de l’enseignement secondaire II.
La formation des citoyen.nes mineur.es doit viser la socialisation, l’insertion professionnelle, le développement du sens critique ainsi que le goût de la participation et responsabilité citoyennes. La situation actuelle est insatisfaisante. Au cœur de la nouvelle réforme vouée à entrer en vigueur en 2022 («CO22»), on trouve le modèle dit de la «mixité intégrée» en 9e et 10e année. Il permet aux élèves de rester dans le même «groupe classe» mais chacun.e selon son niveau défini. Un enseignement permettant à toutes et tous d’acquérir les compétences attendues (niveaux 1 et 2 confondus) est délivré, tout en présentant des notions complémentaires évaluées pour les seul.es élèves de niveau 2.
La mixité n’est pas l’hétérogénéité. La nouvelle approche pédagogique est plus étayée que par le passé, grâce notamment à l’apport de la recherche en neurosciences qui met en évidence l’importance de la motivation et de la non-discrimination dans le cerveau. Derrière la mixité, il y a l’art et la compétence d’enseigner en stimulant les compétences intellectuelles et émotionnelles des élèves. Les inégalités scolaires se réduisent lorsque les «bons élèves» apprennent avec ceux ayant moins de facilité. Les conditions sont réunies pour développer les comportements altruistes. Fruit d’une élaboration minutieuse, le projet de loi suscite des échos favorables chez les enseignants et les parents d’élèves.
Comme l’a fait remarquer la Fédération des maîtres.ses du Cycle d’orientation (FAMCO), pour pouvoir réussir, la réforme devra être accompagnée des moyens financiers suffisants et d’une maîtrise des effectifs (si possible dix-huit élèves par classe). La mixité intégrée exigera un engagement important des enseignant.e.s ainsi que le déploiement d’un dispositif de formation et d’accompagnement des professeurs en conformité avec les exigences du Plan d’études romand (PER). CO22 prévoit à juste titre la possibilité d’un «parcours accéléré» réservé aux élèves avec une grande facilité qui en font la demande.
Cependant, la pandémie aggrave les inégalités sociales. Celles-ci génèrent un risque de décrochage scolaire pour de nombreux élèves. Comme le souligne aussi la FAMCO, le travail des équipes interdisciplinaires au sein des établissements scolaires devra être mieux soutenu et valorisé grâce à un renforcement des équipes médico-psycho-sociales, afin de pouvoir aider de la meilleure manière possible les élèves qui font face à de grandes difficultés.
Non à une réforme périlleuse et inaboutie
Le Département de l’instruction publique (DIP) propose une dangereuse réforme idéologique pour le Cycle d’orientation, dès la rentrée 2022 (CO22), au détriment de tous, et particulièrement des élèves les plus fragiles.
Sous le sceau de l’égalité, le DIP va éliminer les regroupements et mélanger tous les jeunes dans des classes hétérogènes en 9e et 10e année. Cette réforme fait fi d’un constat, appuyé par les études sur le décrochage scolaire et qui a guidé la dernière réforme du cycle en 2011: les élèves en difficulté sont plus dépendants que les autres de la relation et du suivi de l’enseignant.
Ainsi, au lien d’offrir aux plus fragiles un accompagnement personnalisé et d’adapter l’enseignement à leurs besoins dans des classes avec des effectifs réduits, ces élèves se retrouveront dans des classes comptant 50% d’effectif additionnel et verront donc une diminution significative du temps et de l’attention portés par leurs enseignants.
Pour deux raisons: premièrement, les objectifs du Plan d’études romand (PER) varient au CO selon le niveau des élèves contrairement à l’école primaire. L’enseignant de mathématiques devra ainsi aborder une notion en 9e année pour une partie de la classe et la même en 10e pour l’autre, dans un horaire conçu pour ne couvrir qu’un seul programme. Secondement, au primaire, les enseignants accueillent un seul groupe d’élèves dans une seule classe, 28 périodes par semaine. Ils modèlent leur agenda et leur organisation pour prendre en compte les niveaux d’une vingtaine d’enfants. Avec CO22, le DIP souhaite que les enseignants du cycle différencient leur enseignement auprès de 80 à 120 élèves, qu’ils voient chacun pendant 4 à 5 périodes par semaine!
Si cela fonctionne à l’école primaire, pourquoi pas au cycle me direz-vous?
En plus de ne pas prendre en compte les besoins des élèves les plus fragiles et d’être irréaliste dans son exécution, cette réforme porte un coup de plus à l’apprentissage et aux filières professionnelles. Au lieu de les valoriser, de les reconnaître pour leur qualité et de les promouvoir auprès des élèves et des parents, CO22 noie les élèves dans la filière gymnasiale majoritaire, qui devient de facto la seule référence.
Finalement, et c’est sans doute l’élément le plus grave, cette réforme n’est pas aboutie. Le DIP a annoncé en octobre que les branches abordées en différenciation en 9e année seraient les maths et l’allemand plutôt que le français, après avoir étudié le PER… dix mois avant la rentrée. Ce changement est emblématique du manque de préparation pour une modification majeure, tout comme la formation théorique express des enseignants sans transmission des outils pratiques nécessaires à cette réforme. Les inégalités ne disparaîtront pas par un enchantement idéologique en mélangeant tous les élèves.
Nous devons proposer un accompagnement adapté à chacun, avec, pour les plus fragiles, une attention et des ressources particulières qui doivent être renforcées, améliorées et valorisées.
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Face-à-face – Vers un Cycle d’orientation réorienté?
Nos invités débattent de la réforme C022 du Cycle d’orientation discutée au Grand Conseil.