Happening artistiqueUne plasticienne dissémine des permis fictifs en ville
Boutheyna Bouslama a édité 4000 faux livrets pour étrangers. Distribués dans l’espace public, ils interrogent le statut administratif délicat des artistes extra-européens.

«Ce n’est pas de votre faute, mais vous n’avez pas le bon passeport pour être artiste.» Cette phrase ahurissante, Boutheyna Bouslama se l’est entendue dire au guichet de l’OCP (Office cantonal de la population) à Genève en 2012. Alors assistante à la HEAD (Haute École d’art et de design), d’où elle est diplômée, l’artiste tunisienne bataille pour obtenir un permis de travail à l’échéance de son permis B d’étudiant extra-européen. Deux ans plus tard, ayant échoué à faire valoir son cas devant le Tribunal fédéral, celle qui a principalement grandi dans la Cité de Calvin est contrainte de quitter la Suisse: «En plus des expos et des films, j’ai fait mes valises», résume-t-elle.
«Ma pratique est d’intégrer l’art contemporain dans le quotidien, le rendre accessible et ludique: l’art est drôle.»
Cette sentence figure aussi sur des livrets pour étrangers fictifs, dans un petit texte où Boutheyna Bouslama, qui vit aujourd’hui à Istanbul, raconte ses péripéties administratives en terres helvètes. Après une première édition il y a onze ans dans le cadre des Bourses Lissignol-Chevalier et Galland de la Ville de Genève, dont elle a été lauréate, la cinéaste et plasticienne a fait réimprimer 4000 exemplaires de ces faux papiers dans une version bilingue légèrement modifiée, à l’occasion d’une exposition au Nouveau Musée de Bienne, «Nous, saisonniers, saisonnières…», créée à Genève en 2019.

L’art est drôle
«Ma pratique est d’intégrer l’art contemporain dans le quotidien, explique l’artiste depuis son atelier stambouliote. J’aime le rendre accessible et ludique: l’art est drôle.» Comme la première fois, Boutheyna a donc disséminé ses œuvres dans l’espace public: institutions muséales, librairies, cafés, bus, paniers de vélos, boîtes aux lettres. Alors que l’action initiale en 2012 avait plutôt suscité le sourire, les réponses actuelles s’avèrent plus méfiantes, voire agressives: «Certaines personnes s’imaginent qu’il s’agit d’un complot de l’OTAN, d’autres ont cru à une campagne de vaccination.»
Deux mille tirages ont été disséminés dans Bienne et le reste ailleurs en Suisse romande, dont 700 à Genève. «J’utilise mon réseau d’amis pour les distribuer un peu partout. Parfois, j’en retrouve dans le train, parfois, dans la poubelle. Mes anciens colocataires s’en servaient même comme filtre à cigarette! Je propose et le spectateur dispose.» Le lieu le plus improbable où aient transité ces livrets fictifs demeure toutefois le consulat suisse à Istanbul, d’un grand soutien pour l’artiste depuis deux ans. Des 30 kilos que pesaient l’ensemble des faux papiers, 10 ont voyagé vers la Suisse par la valise diplomatique!

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