RomanUne petite robe noire qui, de main en main, traverse l’histoire du XXe siècle
La sociologue française Catherine Le Goff publie un roman dont l’héroïne est une tenue de soirée griffée par un grand couturier. Original.

Sans être fétichiste, force est de constater qu’il y a des vêtements qui marquent. On se souvient du maillot d’une victoire ou de l’écharpe d’une rencontre. Certains habits sont destinés à jouer un rôle qui va bien au-delà de leur pouvoir couvrant. La sociologue Catherine Le Goff a choisi pour le roman qu’elle vient de publier aux Éditions Favre une héroïne singulière: «La robe. Une odyssée» raconte les aventures d’une tenue de soirée.
Pas n’importe laquelle, évidemment. «Bonheur du soir», c’est son nom, est née à Paris en 1900 sous les doigts magiques d’un créateur. Raffinée, exquise, fascinante, elle possède le don d’infléchir le cours d’une vie et ne s’en prive pas. «Dès que le tissu d’une robe de couturier se détacha de la boîte, la Jeanne d’hier encore fillette se mua en femme. Elle percevait l’étoffe sous les nervures de ses doigts avec la conviction intime qu’elle ne s’en passerait plus. Le noir de l’habit entra dans ses prunelles, effaçant tout sur son passage, noir engouffrant tous les noirs de son monde […]» Jeune Auvergnate gardienne de chèvres, Jeanne devient à la ville une cuisinière inspirée puis, guidée par la robe vénérée qu’elle a dérobée, une couturière à succès.
Un habit qui voyage
Le vêtement survit à la petite voleuse. Il voyage de La Varenne-Saint-Hilaire aux camps de la mort, de Berlin aux États-Unis, de New York à Paris. Passant de main en main, il offre à Catherine Le Goff l’occasion de créer des personnages qu’elle ancre dans l’histoire du XXe siècle: «Bonheur du soir», offerte par Paul, le fils de Jeanne, sublime la cantatrice Ruth Bestein sur scène, puis permet à sa fille Sarah d’échapper à l’extermination par les nazis. Devenue «un livre vivant», la robe portée par Jana passe de l’Allemagne communiste à l’Ouest. Arrivée à New York, modernisée, elle galvanise une chanteuse de jazz, Oprah, avant d’être volée par une espionne industrielle. Et ainsi de suite.
«Dès que le tissu d’une robe de couturier se détacha de la boîte, la Jeanne d’hier encore fillette se mua en femme.»
«La robe. Une odyssée» exploite un biais qui fait son originalité. Le roman, fluide, se lit bien. Certains personnages, exagérément caricaturaux, auraient gagné à être traités avec davantage de finesse, alors que d’autres, comme Jeanne, s’avèrent attachants et dévoilent à la fin de l’intrigue les mécanismes qui les ont fait agir.
«La robe. Une odyssée» Catherine Le Goff, Éditions Favre, 304 pages
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