Théâtre du GrütliUne fine parenthèse enchantée dans un monde de brutes
Venue de Catalogne, la Societat Doctor Alonso présente une «Hammamturgia» sans paroles et sans limite d’âge, qui fait la part belle à la contemplation, au vent et… à la matière plastique!

Dans la région du moins, on croyait l’équipe des 3615 Dakota seule à oser l’alliage entre performance et bain public. Eh bien, on avait tort. Voici que l’estimée compagnie catalane Societat Doctor Alonso débarque de Gérone à Genève pour la première fois en sept ans d’existence, avec, en guise de titre pour sa nouvelle création, le néologisme «Hammamturgia», qui contracte «hammam» et «dramaturgie». Si notre compagnie transfrontalière rien qu’à nous garde l’exclusivité de la vapeur et de l’hygrométrie, la pièce conçue par Tomas Aragay et Sofia Asencio – coproduite par le Théâtre du Grütli – garantit bel et bien l’effet relaxant du sauna. Humour et audace esthétique en prime.
Polyéthylène fétiche
Déchaussé et débarrassé de votre armure citadine, vous pénétrez dans un grand cube de feutre blanc, où vous vous répartissez comme bon vous semble. Ni plateau ni sièges alentour. Mais quatre performeurs nommés Sofia Asencio, Beatriz Lobo, Ana Cortés et Kidows Kim, qui, à maintes reprises, vont entrer et sortir des quatre ouvertures latérales, chargés de bâches en plastique de dimensions, de couleurs et d’épaisseurs variables. Tandis que deux compères additionnels émettront depuis les angles des sons parfaitement synthétiques, ils déplieront, étendront, déposeront, soulèveront, chiffonneront ou gonfleront d’air ambiant ces peaux soudain dotées de vie. Le tout sans mot dire.

De la chorégraphie exécutée, vous déduirez des lois physiques inconnues: comment une tenture d’une certaine circonférence, brusquement appliquée au sol, continuera de longues minutes à onduler telle la houle maritime. Comment, si on court en la retenant comme une voile puis la laisse s’échapper une fois bombée à souhait, la pellicule s’envolera au-dessus des têtes, formant, au rythme du stroboscope, des sculptures de méduses aériennes en série. Vous verrez aussi, pour la blague, un humain devenir bibendum à coups de sacs-poubelles enfoncés dans son t-shirt. Un boyau de polystyrène lâcher des prouts allusifs. Une cornemuse chanter lorsqu’on l’essore. Ou même un chevalet de peintre diffuser des harmoniques sous son film industriel.

Vous l’aurez compris, «Hammamturgia» décrit les métamorphoses d’un corps soumis au mouvement. Or la force de la proposition réside dans la nature éminemment non organique de la substance choisie pour réfléchir l’humain. À contre-courant des spectacles qui fétichisent opportunément l’humus ou la photosynthèse, une bande d’artistes irrévérencieux épuise les ressources métaphoriques d’une matière issue des hydrocarbures fossiles tant honnis. Admettez qu’il faut un certain culot pour inventer le hammam pétrochimique.
«Hammamturgia» Jusqu’au 20 mars au Théâtre du Grütli, www.grutli.ch
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