Photographie documentaireUne exposition célèbre les réseaux de solidarité dans une Grèce meurtrie
La philosophe Christiane Vollaire et le photographe Philippe Bazin ont enquêté trois ans auprès de ceux qui aident migrants, exclus et victimes de la crise.

Un ciel d’hiver pèse sur le beau rivage mélancolique que parsèment quelques arbres aux ramures maigres. Figurant sur trois images présentées côte à côte, ce paysage paisible ne dit rien des drames dont il a été le théâtre. C’est à la lecture de la légende qu’on comprend ce qui s’y est joué – «Plage du débarquement des exilés en 2015-2016», Kagia, nord de Lesbos, février 2018. Au loin, les terres qu’on devine sont turques.
Actuellement exposé au Centre de la photographie de Genève (CPG), ce triple cliché est le résultat d’un travail de terrain que Philippe Bazin a mené en Grèce avec la philosophe Christiane Vollaire durant trois ans; intitulé «Un archipel des solidarités: Grèce 2017-2020», il fait également l’objet d’un livre. Le duo a enquêté sur l’île de Lesbos, donc, dont les camps sont associés avec les heures les plus lugubres de la tragédie migratoire, mais aussi dans l’usine autogérée de Vionne, à Thessalonique, dans le quartier athénien d’Exarchia, épicentre de brutalités policières, ou dans la mine d’or de Skouries, en Macédoine Centrale.
Volontariat et entraide
Plutôt que de dépeindre frontalement les outrages qui meurtrissent cette Grèce du XXIe siècle, le couple a choisi de mettre en lumière les puissants réseaux de volontariat et d’entraide qui se sont constitués pour réfléchir à ces violences et les affronter. Il est allé à la rencontre des acteurs de cette «énergie du commun», lesquels viennent en aide aux réfugiés, aux exclus du système de santé publique, aux victimes des politiques d’austérité et à tous les êtres broyés par les tempêtes économiques et sanitaires.
Le photographe a immortalisé les chercheurs, militants, professeurs ou médecins qu’a interviewés la philosophe. Au gré de l’accrochage, ces portraits documentaires alternent avec des extraits de ces entretiens. «Christiane Vallaire ne se met pas dans la position de celle qui sait et sa démarche n’est pas journalistique, explique Joerg Bader, directeur du CPG. Elle est persuadée que son interlocuteur a une longueur d’avance en matière de savoir.» En filigrane, ce dispositif fait comprendre par exemple que le camp de Pikpa, à Lesbos, cogéré par des activistes locaux et des réfugiés, fonctionne beaucoup plus humainement que ceux que chapeaute l’Union européenne. Et que la réalité du terrain indique que «ce ne sont pas du tout les migrants, mais les gouvernements, qui font crise», comme l’explique un volontaire à L’ONG Lighthouse.
Histoires d’exil
Car la migration, évidemment, occupe une place centrale dans le propos. Celle d’aujourd’hui, par le biais de témoignages (sans images), autant que celle d’hier. En effet, la réalité grecque actuelle s’enracine dans les histoires d’exil du siècle précédent. Certains clichés en attestent, comme cette représentation de l’île de Makronissos, où furent déportés et exterminés les opposants politiques pendant la guerre civile (1946-1949) et la dictature des colonels (1967-1974), ou celle d’une grotte sur l’île d’Ikaria, qui servit de refuge aux communistes au sortir de la Seconde Guerre mondiale.
À ces couches historiques font écho les mises en abîmes esthétiques des instantanés, qui ouvrent à l’interprétation plutôt que de l’imposer. Telle cette vue de la place Syntagma, prise en août 2017 à Athènes, qui montre une devanture criblée d’impacts de balles et dans laquelle le parlement se reflète. Ou ce nombre incalculable de gilets de sauvetage abandonnés, amoncellement de bouées maintenant inertes, au creux desquelles s’est écrite l’épouvante des hommes.
Jusqu’au 18 octobre au Centre de la photographie, 28, rue des Bains, ma-di 11 h-18 h, centrephotogeneve.ch
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