Hommage littéraireUn Jim Harrison dans son jus se déguste à la Parfumerie
Michel Faure s’appuie sur la présence physique de Mathieu Delmonté et une scénographie de son cru pour déclarer sa flamme au grand écrivain américain.

Les plus âgés d’entre nous se rappellent à coup sûr la fameuse collection des «Écrivains de toujours», aux Éditions du Seuil. On y dévorait notamment la fourmillante série des Zola, Kafka ou Virginia Woolf «par eux-mêmes». Ciblant à son tour la génération des plus de 50 ans, Michel Faure livre sa contribution live à l’anthologie en signant un «Big Jim» à valeur de «Jim Harrison par lui-même». Infatigable éclairagiste de la place, c’est sous sa casquette de metteur en scène et scénographe qu’il braque cette fois la lumière sur son écrivain de prédilection.

On n’entendra des mots qu’exclusivement puisés à l’œuvre de l’auteur des «Légendes d’automne» et de «Dalva», disparu en 2016 à l’âge de 78 ans. Des extraits d’«En marge», «Aventures d’un gourmand vagabond» ou «Le vieux saltimbanque» (dans leur traduction française), arrangés par Michel Faure sans qu’aucune couture n’y paraisse, puis énoncés par le plus doux des ours de notre parc local de comédiens: Mathieu Delmonté. Stature gargantuesque à l’image du modèle, barbe hirsute de rigueur, et capacité conforme à ingurgiter sa bouteille de rouge sans chanceler. La correspondance se limite à ce naturalisme de surface.

Ce n’est pas qu’on ait de fausses notes à reprocher à l’acteur passé chez Benno Besson, Dan Jemmett ou Jean Bellorini. Vu la masse de texte qu’il a ici à retenir, on lui pardonne volontiers une ponctuelle défaillance mémorielle. Rendre l’inspiration éruptive du poète, sa langue épicurienne, son humour imprévisible n’est en revanche pas donné à tout le monde. Là où Delmonté peine par moments à ajuster son débit, on n’imagine guère qu’un Jack Nicholson – proche ami d’Harrison – pour se tirer d’affaire.

«Dedans, c’est pour gagner sa vie; dehors, c’est pour le plaisir.» En représentant du «nature writing», Harrison enjoint tantôt ses lecteurs à tirer une balle dans leur téléviseur, à jeter leur téléphone portable aux chiottes, ou à rejoindre les coyotes loin de la civilisation humaine. Ailleurs, le bon vivant rend grâce au «couinement du bouchon qui s’affranchit du goulot», compare à celle de la cerise l’odeur de la colle de ses jeunes années ou chante les vertus primordiales de l’ail, quand ce n’est pas de la pêche et de la chasse. Ailleurs encore, le contestataire fustige son pays, «un Disneyland fasciste», dont les banquiers sont «plus roublards que les membres d’Al-Qaïda» et dont l’essor repose sur le massacre de 500 tribus natives.

Michel Faure ordonne ces différentes veines en tableaux successifs, qu’il ponctue d’intermèdes musicaux et de compositions graphiques projetées sur écran. S’y lisent des citations arrangées en forme de paysages, pas toujours du meilleur effet sur le plan esthétique, mais aptes à condenser en formules clés la pensée d’un romancier indomptable. Les amateurs goûteront.
«Big Jim ou la vie selon Jim Harrison», jusqu’au 28 mai au Théâtre de la Parfumerie, www.laparfumerie.ch
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