MusiqueUn Genevois donne un concert insolite au sommet du Cervin
Professeur à la Haute École de musique, le corniste Christophe Sturzenegger a joué du cor des Alpes à 4478 mètres d’altitude. Une première. Il raconte…

Il déboule à notre rendez-vous avec un tee-shirt Superman sur les pectoraux. Balèze, Christophe Sturzenegger? Pas tant que ça, quoique… Le 2 août dernier, le musicien genevois de 44 ans a réalisé l’ascension du Cervin avec un guide. Le plus costaud, c’est qu’installé au sommet du Toblerone, ce professeur à la Haute École de musique de Genève a sorti un cor des Alpes de son sac à dos. Et qu’il a donné un concert insolite en forme de première à 4478 mètres d’altitude! La scène tourne en boucle sur YouTube…
Pour accomplir ce petit exploit, le pianiste, corniste et compositeur a utilisé un instrument télescopique en fibre de carbone mêlant haute technologie et tradition. Fabriqué à Yverdon-les-Bains, l’AlpFlyingHorn ne pèse qu’un kilo et demi, contre près de 7 kilos pour un cor traditionnel. Compact, il mesure environ 75 cm. «Il se déplie en quelques secondes pour atteindre une longueur de 3,50 m. Et il sonne exactement comme un cor des Alpes classique. À l’aveugle, on n’entend pas la différence», explique Christophe Sturzenegger.

Avant de se lancer à l’assaut du Cervin, le Genevois a baladé son engin télescopique un peu partout, des plages du Mexique à l’Afrique du Sud, en passant par l’Asie et les États-Unis (un souvenir mémorable sur le Golden Gate Bridge). «J’avais aussi déjà effectué d’autres randonnées en montagne avec cet instrument, des courses où il fallait marcher 5-6h. Je savais que c’était possible.» Côté souffle, pas de problème. Notre corniste s’était entraîné durement pour participer à la grande Patrouille des Glaciers, ce printemps, finalement annulée à sa grande déception en raison du coronavirus. En juin et en juillet dernier, il a également gravi deux sommets à 4000 mètres. «Ça aide pour l’acclimatation.»
«Le Cervin n’est pas si difficile que ça, mais il demande de la concentration»
Prêt, Christophe Sturzenegger l’était. Encore fallait-il convaincre Matthias Jordan, le guide qui allait l’accompagner, encordé, au sommet du Cervin. «J’ai fait sa connaissance la veille de l’ascension à la cabane du Hörnli. Je lui ai expliqué mon projet. Il m’a dit que c’était une super idée. Et que c’était jouable.»
Départ le jour J à 4h20, à une altitude de 3200 m. De nuit, à la lampe frontale, il ne faut pas traîner. «Le début est assez stressant, avec un goulet d’étranglement proche du départ. Comme il y a plusieurs cordées qui s’élancent, cela peut poser problème.» Christophe et son guide passent et progressent sans véritable heurt. «Le Cervin n’est pas si difficile que ça, en revanche il demande de la concentration. Il faut toujours faire attention où l’on pose les pieds. C’est une montagne délicate, car les cailloux ne tiennent pas.»
Parvenir au but
Durée de l’ascension: quatre heures environ. Il ne fait pas froid, quelque cinq degrés. Mais la météo reste mitigée. Derrière son guide, le musicien alpiniste se concentre sur son effort. «En pensant à cette première, j’aurais pu ressentir un peu d’excitation. Mais non. Tout ce que je voulais, c’était parvenir au but. Je me suis répété plusieurs fois que si je ne pouvais pas jouer, ce n’était pas trop grave.»

À 8h30 ce 2 août, Sturzenegger rejoint Edward Whymper, le premier alpiniste à avoir atteint le sommet, dans l’histoire mythique des conquérants du Cervin. Magie: les nuages se sont dissipés. Il fait grand beau, pas de vent, une température relativement agréable à cette altitude. L’idéal pour jouer du cor des Alpes. «J’avais imaginé les lieux comme une arête très effilée. En fait, il y a un peu d’espace quand même. Mais il faut éviter de faire des bêtises durant la manipulation du cor.»
En deux temps trois mouvements, le Genevois déploie son instrument en carbone. «Au début, j’ai les lèvres bien gonflées par le froid, le soleil et l’effort. Il y a un petit moment de doute. Le temps de croquer une barre vitaminée, de reprendre mes esprits, et je souffle dans le cor. Les deux premières notes sonnent un peu bizarre. Mais ensuite, tout s’enchaîne normalement. J’ai joué une dizaine de minutes avant de remballer.»

Après? Gare à l’euphorie. Au Cervin, les accidents mortels se produisent le plus souvent à la descente. «On n’a fait que la moitié», prévient le guide. Christophe Sturzenegger redouble d’attention jusqu’au retour à la cabane du Hörnli. Pas de comité d’accueil sur place, pas davantage d’applaudissements à Zermatt. Mais les photos prises au sommet ont déjà commencé à circuler sur les réseaux sociaux. Dans les rues du village, le Genevois croise par hasard Pirmin Zurbriggen. Puis il reprend son train pour Genève, anonyme, son cor des Alpes glissé dans son sac à dos. Une journée (presque) ordinaire pour Superman.
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