Spectacle concertUn diamant artistique du «Début» à la fin
Le Théâtre Saint-Gervais coproduit un court-circuit temporel qui embrasse la vie de son origine inconnaissable à sa finalité ultime. Un vertige collectif entre musique et narration.

Oh que c’est beau! Beau comme le phosphate de calcium qui survit à nos squelettes. Beau comme un cristal de carbone qui brille depuis des milliards d’années. Beau – et simple: aussi élémentaire que le mystère premier. Quelques accords de guitare qui vont pincer vos ventricules, des balais de percussion qui vont tapoter vos tympans, et deux voix humaines qui vous font un grand écart enjambant le néant d’avant et le néant d’après.
Le noir et le rouge
Le premier des deux néants est de couleur jais. «Comme à l’intérieur d’une pupille», décrivent les récitants alors qu’ils commencent par sonder le prologue au big-bang. L’autre sera rouge, comme la réaction chimique expérimentée une heure plus tard, qui fera dilater à l’infini la matière en expansion surgie d’un mélange de substances. Entre ces deux moments, sous les néons épelant «Le début» dans le ciel du grand plateau du Théâtre Saint-Gervais, toutes les nuances de l’arc-en-ciel.

À commencer par les longs cheveux blancs d’une octogénaire au volant de sa Ford Mustang bleue. Son dernier plein dans une station-service du Far West, avant de foncer vers le précipice et d’y suspendre la chute. De palier en palier, le travelling arrière tout au long de son existence: verrée de retraite, disparition de l’amant, visite à l’école de l’enfant, porte claquée pour un répit maternel, concert pop, «premier choc de la corde vocale droite avec la corde vocale gauche dans la salle d’accouchement», où la radio diffuse les vitupérations d’un Allemand à moustache.
Avec, de décennie en décennie, tandis que le cabriolet plonge lentement dans le vide, une même intensité dans le regard de la vivante. Une même volonté de «prendre de la hauteur», dit le texte que Vincent Coppey et Virginie Schell tantôt susurrent, chantonnent ou ventilent – tandis que s’entortillent dans les syllabes les partitions musicales de Mathieu Karcher et Laurent Nicolas.
Le derrière et le devant
Chaque instant, un début et une fin. Obligeant la conscience à s’écarteler entre l’arrière et le devant. «Ce que je suis contente!» tourbillonne notre mourante, qui transporte dans son sursis les traces de tout ce qui la précède, des fictives Thelma et Louise à la sage-femme qui la vit naître, du soldat de la Première Guerre mondiale au poseur des rails du transsibérien, de Hugo à Galilée, d’Héraclite à Confucius, des Mésopotamiens aux australopithèques…

Et à la source? L’œil divin qui contemple ce vaste continuum? Julien Basler et Zoé Cadotsch, alias Les Fondateurs. Un label qui fleure bon l’ambition démiurgique et les cals de la main ouvrière. Or, pour ce «Début» qui tranche aussi bien avec leurs créations initiales dès 2009 («Les fondateurs», «Les fondateurs se marient», «Les fondateurs s’installent»…) qu’avec leurs récentes productions inspirées de classiques («Dom Juan» et «Tartuffe» d’après Molière, «Les Bovary» d’après Flaubert), les voilà qui se retranchent derrière une autre appellation. Créée en 2015, Ruya Connection vise à collecter des anecdotes qui, autrement, risquent de «s’évaporer dans l’oubli». Visée élémentaire et démesurée que de recueillir sous cette égide l’équipée fugace d’une vieille dame aux longs cheveux blancs.
«Le début», jusqu’au 12 mars au Théâtre Saint-Gervais, www.saintgervais.ch
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