Lettre du jourUn député des Français de Suisse, pour quoi faire?

Annemasse, 2 juin
Les Français de Suisse ont commencé à voter pour élire leur nouveau député. Cette représentation parlementaire est une invention récente de Nicolas Sarkozy, adoptée par une révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Jusque-là, les 2.3 millions de Français de l’étranger étaient représentés au Parlement par des Sénateurs, élus au suffrage indirect. Le président conservateur a repris l’une des 110 propositions de François Mitterrand en 1981, jamais débattue au Parlement.
Les Français de l’étranger disposent de représentants dans différentes institutions et assemblées depuis 1907. Avec la création de 11 nouveaux députés élus par «ceux qui font rayonner la France dans le monde», il s’agissait alors de «réparer une injustice» selon le président Sarkozy. Au second tour de l’élection présidentielle de 2007, il avait remporté 53,99% des voix des Français établis hors de France, une raison supplémentaire de faire progresser la représentativité d’un électorat qu’il estimait lui être acquis. L’enthousiasme des Français de Suisse pour cette nouvelle représentation reste modeste au vu du haut niveau d’abstention aux élections législatives de 2012 et 2017.
«De façon générale, ce ne sont pas des lois qu’il faut faire, ce sont des lois qu’il faut abroger.»
Si la fonction de député élu à l’étranger à un sens, c’est bien en Suisse, première destination des Français hors des frontières françaises. 10% des Français du monde vivent en Suisse, soit 184 730 Françaises et Français étaient inscrits sur les listes consulaires en 2019. Jusqu’à présent, seulement deux députés ont pris chaque semaine le TGV Lyria de Genève jusqu’à l’Assemblée nationale. Claudine Schmid (Les Républicains) entre 2012 et 2017 puis Joachim Son-Forget (LREM), devenu un «troll» à écharpe tricolore au point d’être forcé de démissionner au bout d’un an de La République en Marche pour finir chez Eric Zemmour. Les instances officielles françaises et suisses l’ont ostracisé. Un mandat pour rien.
Les sujets transfrontaliers et bilatéraux ne manquent pourtant pas. Les enjeux qui lient la France à la Suisse sont d’importance majeure: suspension des négociations de l’accord-cadre entre la Suisse et l’Union européenne, reconnaissance et consolidation des bassins de vie transfrontaliers, télétravail des frontaliers, menaces diverses sur l’avenir de la Contribution financière genevoise, ferroutage européen, pour n’en citer que quelques-uns.
Aujourd’hui 15 candidats se présentent à la députation dans la 6e circonscription des Français de l’étranger (Suisse et Liechtenstein). Déterminée à passer de Son-Forget à Son-Forgotten, la majorité présidentielle peut espérer remporter facilement ce siège: comme en 2017, Emmanuel Macron est arrivé cette année largement en tête du premier (44.13%) et du second tour de l’élection présidentielle (81.27%). Pour remercier ces fidèles électeurs, la coalition «Ensemble» (LREM, Modem et Horizons) a investi un candidat parisien sans aucun lien avec la Suisse: Marc Ferracci, économiste à l’université Paris-Panthéon Assas, conseiller, ami depuis Sciences Po et témoin de mariage d’Emmanuel Macron. Cette pratique ancestrale parfaitement légale, c’est «un parachutage». Les Suisses considèrent que cela fait partie du folklore politique français, plus choquant que pittoresque. Qui imagine un habitant du Jura se présenter à une élection dans le canton de Saint-Gall?
À chaque cycle électoral revient le mystère de la fatigue démocratique. La Révolution française a produit un philosophe-député, né à Lausanne, qui n’avait de Constant que le nom, auteur de cette maxime libérale: «De façon générale, ce ne sont pas des lois qu’il faut faire, ce sont des lois qu’il faut abroger.» (Benjamin Constant, «Principes de politique», 1806). Vaste chantier pour 2022 que la simplification du Droit. En atteste la règle dérogatoire qui accorde aux seuls Français de l’étranger le choix de voter par correspondance, par internet de manière anticipée, ou le jour du scrutin, sur place, dans l’un des 113 bureaux de votes ouverts en Suisse. Droits que le législateur n’a toujours pas accordés sur le territoire français. Le futur député sera libre de faire ce qu’il souhaite du mandat confié par les Français de Suisse. Il pourrait commencer par faciliter le vote de tous ses concitoyens.
Vincent Dozol, collaborateur du maire d’Annemasse, délégué de circonscription Suisse et Liechtenstein du Parti socialiste français
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