Un cimetière médiéval sort de terre à Bernex
Au contact de l'air chargé d'humidité, les squelettes se couvrent d'une fine pellicule vert fluo. Effet garanti!

Au premier coup d'œil, rien ne ressemble plus à une fouille archéologique sous nos climats qu'une autre fouille: une tente sertie dans la boue de septembre à juin, une pelleteuse dans un coin, des ouvriers maniant la truelle ou l'aspirateur, des techniciens, crayon et bloc en bandoulière, et un archéologue élevé à la dure qui a l'œil à tout.
Même topo à Saint-Mathieu, sur la commune de Bernex, derrière la zone commerciale et industrielle qui borde la route de Chancy. On approche les mains dans les poches. Le pied posé sur la première traverse de bois, on manque de tomber à la renverse! Sagement installés pour l'éternité, les bras en croix sur la poitrine et la mâchoire avide, une cinquantaine de squelettes ont été mis au jour depuis le mois de mai.
Certains sont intacts, d'autres ont eu les jambes coupées lorsque, bien après leur ensevelissement, on a construit sur leur tombe un bâtiment en bois ou creusé une autre fosse pour accueillir un nouveau défunt. D'autres encore ont été couchés à leur enterrement sur de grandes fosses circulaires dans lesquelles on stockait le grain antérieurement, tombées en désuétude; avec le temps, elles furent comblées par de la terre qui s'est tassée et les corps se sont légèrement affaissés, qui du buste ou de la tête, qui des côtes ou du bassin.
Des os vert fluo
Le plus saisissant reste à venir: crânes, clavicules et tibias d'un beau vert prairie. Ont-ils été sprayés? Facétie de collégien pour Halloween? Le responsable du chantier aurait-il célébré la Fête des Morts à la mexicaine? «Rien de tout cela», rectifie l'archéologue cantonal, Jean Terrier. Au contact de l'air chargé d'humidité, les ossements se couvrent d'une fine pellicule de mousse vert fluo. Choc garanti.
Nous avons sous les pieds le prolongement des fouilles menées dans les années 80 et 90 par Jean Terrier. Il explique: «Il y avait à cet emplacement un centre religieux au Moyen Âge, le chef-lieu du décanat de Vuillonnex, l'une des huit circonscriptions ecclésiastiques appartenant au diocèse de Genève. Le doyen y avait édifié une grande église pour réunir les desservants de ses 48 paroisses. Une autre église, plus petite, un cimetière et des bâtiments modestes complétaient cet ensemble religieux.» Nous sommes au Xe ou XIe siècle, le complexe de Vuillonnex Saint-Mathieu est florissant. Le chanoine-doyen surveille le clergé rural pour le compte de l'évêque, installé à Saint-Pierre, et prélève la dîme. Au XIIIe siècle, le pouvoir des doyens décline, le complexe est démantelé progressivement. La Réforme lui porte le coup de grâce.
Lorsque, il y a quelques mois, un vaste projet immobilier s'annonce du côté de Saint-Mathieu, le Service cantonal d'archéologie est alerté. «Nous avons effectué des sondages. Nous nous doutions que le cimetière que j'avais fouillé il y a vingt-cinq ans continuait, mais nous sommes tombés sur des vestiges extrêmement intéressants», souligne Jean Terrier. Une voie romaine, parallèle à la route de Chancy, menait gens et marchandises de Genève à Lyon à travers le Fort de l'Écluse: «On distingue encore les traces des roues des charrois.»
Ce qui frappe dans la zone de fouilles, ce sont évidemment les ossements, analysés méticuleusement par une anthropologue. «Mais ce que nous avons trouvé de tout à fait exceptionnel, ce sont d'immenses fosses-silos creusées dans le terrain argileux. Présentant un profil en forme de poire, elles permettaient de stocker le grain – blé, seigle ou autres céréales – constituant les réserves alimentaires des paysans, qui en versaient une partie à l'Église à titre d'impôts», décode Anne de Weck, archéologue, qui dirige à Saint-Mathieu son premier grand chantier. Elle a jusqu'en avril pour passer la zone au peigne fin. Elle poursuit: «Il y a cinq ou six fosses-silos, apparemment. Certaines mesurent 1,50 m de diamètre, s'enfoncent à 1,30 m et pouvaient contenir 1 m3 de céréales. Elles étaient scellées avec des bouchons d'argile, dont nous avons retrouvé la trace par endroits au fond du récipient.» Jusqu'à présent, de tels silos – datant probablement des Xe au XIIIe siècles – n'ont été exhumés que dans l'église de Confignon.
L'aide des nouvelles technologies
Selon les estimations des archéologues, une centaine de personnes s'étaient établies à cet endroit. Elles étaient pauvres, voire indigentes: les textes révèlent que ces paroissiens n'avaient pas les moyens de payer l'huile pour laisser brûler les lampes pour la liturgie. «Nous n'avons trouvé aucun ornement sur les corps, précise Anne de Weck, à part une boucle de ceinture.» Les habitants de ce tout petit hameau, qui travaillaient pour le chanoine-doyen, ont construit des habitats en bois, comme le révèlent des trous de poteaux clairement visibles. Leur forme, carrée ou cylindrique, est imprimée dans la glaise. La décomposition du bois laisse en outre des marques noires dans la terre. Une cartographie en négatif qui reste à déchiffrer.
Les nouvelles technologies apportent un solide coup de main aux archéologues. Anne de Weck détaille: «Nous avons deux techniciens qui se sont formés en France à la photogrammétrie. Ils prennent des photos zénithales (ndlr: qui peuvent aussi être prises par un drone) permettant de discerner les différentes zones dans la terre à leur couleur. On parvient également à reconstituer le relief en 3D et les volumes des structures, comme le fait l'œil humain.» Du grain à moudre pour les archéologues genevois de Saint-Mathieu.
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