Exposition participativeUn camion-musée s’installe à Bernex
Des pensionnaires d’Aigues-Vertes ont choisi des œuvres dans les collections du Fonds municipal d’art contemporain pour les montrer au public.

On l’avait vu se reposer contre une stèle dans la verdure du cimetière des Rois en 2016. Depuis le 2 décembre, l’homme emmitouflé dans son sac de couchage a assis sa stature de marbre blanc au cœur du village d’Aigues-Vertes. Cet «Autoportrait» sculpté par le plasticien genevois Fabrice Gygi joue les figures de proue d’une exposition d’art contemporain sur mesure mitonnée par un groupe de pensionnaires de l’institution.
Organisé à l’occasion du 60e anniversaire de la création à Bernex de ce lieu de vie et de travail accueillant des personnes vivant avec une déficience intellectuelle, l’accrochage constitue le deuxième chapitre d’Art Truck, après une première sortie à l’EMS de la Terrassière.
Mené à Genève par Destination 27 en partenariat avec le FMAC (Fonds municipal d’art contemporain), ce projet de médiation culturelle vise à favoriser l’accès à l’art à des publics peu familiers des institutions muséales ou empêchés dans leur liberté de mouvement, en déplaçant des œuvres à l’aide d’un camion.
Véhicule bleu turquoise
Le véhicule bleu turquoise et son précieux chargement se sont donc installés sur la pelouse du hameau. Juste à côté, un conteneur s’est vu aménagé en espace d’exposition temporaire; le parcours artistique se poursuit jusque dans un bâtiment. C’est à Morgane, Silvana, Loïc, Nathalie et Amir, résidents d’Aigues-Vertes et compagnon – habitant à l’extérieur mais travaillant sur place – que l’on doit la sélection de photos, vidéos, sculptures et peintures présentées durant deux semaines.
Car l’originalité de la démarche d’Art Truck est d’être tripartite: Destination 27 et une collection d’art élaborent les expositions en collaboration avec une structure sociale. «Notre philosophie consiste à prendre les publics comme point de départ, explique Iris Meierhans, co-coordinatrice et médiatrice culturelle de l’association. Les villageois d’Aigues-Vertes qui le souhaitaient ont participé à la construction de l’accrochage.»
Une dizaine d’ateliers s’est tenue entre septembre et novembre pour cerner des thématiques et les envies des commanditaires. Une lettre a été rédigée à l’issue de ces rencontres afin d’exprimer les souhaits des participants. Lesquels espéraient voir évoquées la nature et la spiritualité, par exemple. «La missive contenait un message positif, porteur d’espoir et d’humour», ajoute Iris Meierhans.
Sur la base de ces orientations, le FMAC a soumis aux curateurs en herbe une trentaine de pièces. Chacun en a adopté une qui lui était particulièrement chère et sept autres ont fait l’objet d’un choix collectif. «On a parfois été surpris de ce que les œuvres ont suscité, souligne Michèle Freiburghaus, responsable du FMAC. Ce ne sont pas nécessairement les plus consensuelles qui ont emporté l’adhésion!»
Peu réputé pour son accessibilité, l’art vidéo se taille en effet une part belle dans l’exposition. Le camion-musée accueille notamment des films réalisés par Sylvie Fleury ou le duo Cédric Hoareau et Vincent Odon, qui entraîne le spectateur dans une suite de saynètes loufoques où on joue avec d’énormes dés en pierre ou à faire pipi le plus loin.
Un autre court métrage de Jean Otth (dont un extrait est visible ici) se savoure sur un écran cathodique dans l’entrée de la salle Bartoli: une tempête y agite rudement des sapins, dont les silhouettes viennent parfois s’aligner sur des dessins d’arbres stylisés à l’avant-plan.
Un cheval fait le poirier
Cinq créations ont pris place dans le conteneur attenant. Un cheval et un homme de bronze y font le poirier sous le burin de Frédéric Schmied en regard d’une huile poétique de Vidya Gastaldon; au fond, les couleurs acidulées d’un puissant diptyque de Marco Scorti cueille l’œil dès le rideau franchi.
Deux petits radiateurs régulent les températures frisquettes de décembre: «Ce projet nous sort de la zone de confort de lieux d’exposition plus adaptés en termes de climat, s’amuse Michèle Freiburghaus. C’est un exercice un peu périlleux mais passionnant. Et il s’agit aussi d’une des missions du FMAC que de faire voyager ces collections publiques.»
Outre faire émerger une jolie cohésion de groupe, cette aventure culturelle a électrisé Amir, compagnon d’Aigues-Vertes, qui a élu la statue de Gygi comme œuvre fétiche: «C’est une super expérience. Cette sculpture me rappelle mon enfance en France.» Comme quelques-uns de ses camarades, il s’est porté volontaire pour faire découvrir l’accrochage au public lors de visites guidées.
Visites guidées jeudi 9 et vendredi 17 décembre à 14 h et samedi 11 décembre de 13 h à 15 h.
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