Scène Vagabonde FestivalUn «boulevard sémantique» au parc Trembley
En ouverture de son rendez-vous printanier, Valentin Rossier confie deux courtes pièces de Nathalie Sarraute à un même quatuor de comédiens, dont lui-même.

Depuis qu’il promène sa belle gueule froissée sur les scènes genevoises, ses observateurs ont eu maintes occasions de pointer deux façons propres au comédien Valentin Rossier: sa diction traînante sur la dernière syllabe et son caractère ténébreux. En montant deux pièces en un acte de la très fine Nathalie Sarraute, «Pour un oui ou pour un non», sa dernière, publiée en 1982, et «Elle est là», parue quatre ans plus tôt, le metteur en scène qu’est également Valentin Rossier décide de prendre ces sempiternelles remarques au mot.

Comme toute l’œuvre de l’écrivaine née Russe en 1900 et décédée Française en 1999, ces deux textes mettent au jour l’étendue des enjeux émotionnels inhérents à toute prise de parole. Comment, derrière un échange verbal anodin, ou par en dessous, à travers le contexte, les intonations, les silences, la gestuelle ou les phrases toutes faites, un interlocuteur agit pernicieusement sur l’autre. Au point de générer des malentendus, bien sûr, mais aussi de blesser en profondeur.

Dans la première pièce, deux personnages (toujours anonymisés sous l’appellation H1, H2, H3 pour les hommes, F1 pour la femme) voient leur amitié compromise par un «c’est bien, ça!» perçu comme condescendant à cause d’un phonème étiré en longueur. Dans la seconde, un employé se tourmente au point de l’obsession au sujet de la mine d’une collaboratrice, jugée sceptique lors d’une réunion d’entreprise: sa paranoïa n’aura plus de cesse d’éradiquer la nuisible pensée qui refuse de se dire. Malgré la simplicité du vocabulaire, c’est l’infinie complexité du langage que malaxe la pionnière du nouveau roman, d’où l’expression «boulevard sémantique» utilisée par Rossier pour qualifier son diptyque.

Au milieu d’une scénographie épurée – que délimite un trouble paravent dans le fond –, Rossier eût pu, parmi d’autres, privilégier une lecture politique des huis clos: si «Pour un oui ou pour un non» révèle par la bande la violence de la lutte des classes, «Elle est là» fait état de la violence exercée au nom de la lutte entre les sexes. Il n’en est rien. Son spectacle colle à l’écriture sarrautienne dans sa dimension psychologique.

Et dans sa part théâtrale, aussi, puisqu’il permet aux quatre comédiens sur le plateau de déployer leur jeu personnel le plus propice à la (sur)interprétation. Ainsi, il s’avérera maîtrisé pour ce qui est de Barbara Tobola, sensible en ce qui concerne Mauro Bellucci, détaché dans le cas de Pierre Banderet et… décidément ombrageux, jusqu’à la convulsion, pour celui qui les chapeaute tous.
«Pour un oui ou pour un non» et «Elle est là» jusqu’au 21 mai au parc Trembley, www.scenevagabonde.ch
Katia Berger est journaliste au sein de la rubrique culturelle depuis 2012. Elle couvre l'actualité des arts de la scène, notamment à travers des critiques de théâtre ou de danse, mais traite aussi parfois de photographie, d'arts visuels ou de littérature.
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