Santé mentaleTrois artistes jouent les funambules
Le Musée de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (MICR) propose «Équilibres précaires», une exposition qui questionne nos limites.

À gauche, la chute. À droite, la chute. Entre deux, un fil sur lequel aller son chemin. C’est une question d’équilibre, et elle ne concerne pas que les funambules. Chacun connaît ces oscillations intérieures, ce balancement périlleux, ces limites entre un abîme et l’autre frôlées sporadiquement, ou régulièrement.
Le Musée de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (MICR) aussi s’y intéresse. L’institution dévolue à l’action humanitaire ouvre un nouveau cycle thématique entre ses murs, qu’elle consacre à la santé mentale. Balise cardinale parmi de nombreuses propositions, une exposition qui ouvre ses portes le 9 novembre.
Pour «Équilibres précaires», Elisa Rusca, conservatrice au MICR et commissaire de l’accrochage, a donné carte blanche à trois artistes suisses de la même génération – entre 37 et 39 ans – natifs de Genève, pour Nicolas Cilins, du Tessin, pour Nina Haab, et d’Argovie, en ce qui concerne Denise Bertschi. Ils ont investi le musée avec des installations de grande dimension.

En leur centre, beaucoup plus petit, un point névralgique: la sphère de cristal réalisée en 2014 par l’artiste islandais danois Olafur Eliasson sous le nom de «Geometric lines for horizons», symbole évident de la planète, de ses brisures et de ses recollements, et plus subtilement métaphore de l’inconscient. Une boule extrêmement fragile, néanmoins dense, pesante et solidement arrimée au sol.
«On ne visite pas cette exposition pour contempler des œuvres, ce sont plutôt elles qui nous visitent.»
Elle résonne directement avec son voisin, le film de douze minutes réalisé par Nina Haab au sommet des Alpes. La Tessinoise aux racines suisses multiples, alémaniques et romandes, a crapahuté dans la neige du col du Gothard et du Nufenen pour y vivre leur ouverture et leur fermeture à la circulation, aux voyages et aux échanges.

On y voit ces travailleurs alpins qui manient tracks, bulldozers, chasse-neiges et brise-glaces à la rencontre les uns des autres au sommet du col. «Ils se côtoient mais ne parlent pas la même langue, ne se comprennent pas, relève Nina Haab, et pourtant ils travaillent au bien commun: établir le passage entre le nord et le sud.»
«One natural border», filmé par drone et caméra fixe, est projeté sur un écran double comme les deux pans de la montagne disposés en V. «C’est un appel à l’immersion dans une zone réservée à la rencontre de deux cultures, l’occasion de nous questionner sur nous-mêmes et sur nos origines.»

L’autre côté de la salle est habité par un sous-bois. De grands étendards de soie sur lesquels sont imprimés des images de fleurs multicolores et des slogans peuplent l’espace vital du visiteur. C’est le travail de l’Argovienne Denise Bertschy, qu’elle accompagne d’un film et d’un livre.
«State Fiction» s’interroge sur une question que l’artiste travaille depuis 2013, mais qui aiguillonne comme un dard irritant le débat politique helvétique depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine: la neutralité.
«J’ai effectué en 2013 un voyage en Corée, à la frontière du côté sud, dans la zone démilitarisée, raconte Denise Bertschi. La Commission de supervision des nations neutres en Corée (NNSC) – la Suisse et la Suède – y travaille depuis 1953. La Suisse s’imagine comme neutre et se montre comme telle aux autres pays. Mais c’est un récit fictionnel…»

L’artiste a travaillé sur les archives militaires, ainsi que sur les écrits, les films et les photographies de Pierre Courvoisier appartenant au MICR. «Après la Seconde Guerre mondiale, et une position de «laisser-faire» qui lui a été reprochée, la Suisse s’est bâti une image, faisant de la neutralité une force et non plus une faiblesse.»
Nos forces et nos faiblesses, voilà aussi ce qu’explore Nicolas Cilins à travers la danse-thérapie. Le Genevois, qui s’interroge sur ce que l’art peut apporter aux gens pour les soigner, a proposé au personnel du MICR des séances de traitement par le mouvement, et il s’est mis en situation d’équilibre-déséquilibre à leurs côtés.

Trois femmes et un homme, membres de l’équipe muséale, ont adhéré à la démarche des art-thérapeutes Suzanne Z’Graggen et Maroussia Ehrnrooth, pour six séances filmées dans le musée cet automne. Sur trois écrans, les protagonistes racontent leur expérience dans «Healing Routine».
«Je travaille souvent avec des personnes dans la marge, et je me demandais ce que cela signifierait de réaliser un film dans un musée.» De petites phrases tirées du parcours audio guidé du MICR pimentent les images d’une touche d’humour.
L’installation du MICR affirme «la création artistique comme un véritable agent du soin, celui que l’on porte aussi bien à soi-même qu’aux autres», résume Elisa Rusca. «On ne visite pas cette exposition pour contempler des œuvres, ce sont plutôt elles qui nous visitent. Elles nous invitent à nous arrêter sur nos limites et nos vulnérabilités, et nous offrent l’opportunité d’en prendre soin.»

Et l’humanitaire dans tout ça? «Il est toujours question dans les négociations menées par le CICR et dans les interventions de la Croix-Rouge d’équilibre précaire, relève la commissaire. L’action se fait sur une limite très fragile entre accord et rupture.»
«La santé mentale dans le secteur humanitaire est une immense question, très complexe, qui gagne à être examinée», ajoute Pascal Hufschmid, directeur du MICR. «Notre musée n’est pas du tout expert de ces questions, alors nous avançons pas à pas avec les humanitaires, les artistes et nos visiteurs.»
«Équilibres précaires» du 9 novembre au 12 mars 2023, Musée international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (MICR), av. de la Paix 17, www.redcrossmuseum.ch
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.