Critique musique classiqueTout un théâtre dans un violon
En concert samedi avec l’Orchestre de chambre de Genève, Patricia Kopatchinskaja a emprunté des chemins esthétiques étonnants et déroutants.

Elle foule la scène du Victoria Hall en savates, qu’elle ôtera très vite pour rester pieds nus. Pantalons larges et asymétriques, queue-de-pie inachevée, aux gros points de bâti blancs et aux manches tenant par quelques fils à peine au buste, voilà que Patricia Kopatchinskaja se place d’entrée en décalage avec ce que le monde corseté du classique affiche à l’accoutumée. La violoniste d’origine moldave, établie depuis deux décennies en Suisse, n’est pas dans la convention et elle aime le faire voir et savoir. À Genève, samedi soir, tout est venu rappeler, parfois dans l’excès, cette aspiration.
Ainsi, son «Concerto pour violon» de Tchaïkovski s’est offert aux mélomanes dans la salle sous des traits presque réinventés, agrémenté de dynamiques prononcées – on s’est cru sur des montagnes russes par endroits – et d’accents placés ici et là généreusement, avec beaucoup de théâtralité. Autant de choix qui interrogent: pourquoi débuter l’«Allegro moderato» avec des pianissimi aussi soulignés? Pourquoi plonger avec autant de vitesse dans la longue cadence centrale? Quel sens donner à cette absence de vibratos, à ces sonorités râpeuses, si proches des violons en boyau? Ces questions sont restées ouvertes dans la «Canzonetta. Andante» et dans le mouvement final, où la musicienne a manqué parfois de clarté, d’intelligibilité même, et de précision aussi, dans les enchaînements virtuoses.
À ces quelques déconvenues, on opposera la belle tenue de l’Orchestre de chambre de Genève, en grande forme sous la direction toujours vitaminée et précise de Gábor Takács-Nagy. Avec l’«Ouverture» ciselée et à la motricité puissante de «Der Schauspieldirektor» de Mozart, on a retrouvé un décor sonore plein de jus et de couleurs vives. Plus loin, les sonorités généreuses des archets, les rondeurs des bois, et les phrasés à éloquence imparable ont conféré une très fière allure à la «Symphonie No2» de Beethoven. Ce fut la très belle consolation de la soirée.
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