Deux événements – certains diront «crises» ou «affaires» – sans aucun rapport entre eux, sauf des fuites, ont secoué Genève et la Suisse cette semaine.
Fuites 2022 dans la «Tribune de Genève» sur la nomination du recteur de l’Université. Pas de candidates femmes. Nouvelle fuite: pas de candidat maison. Enfin le drame, ce mercredi: le Conseil d’État refuse la nomination du Québécois Eric Bauce au motif qu’il n’est pas Suisse. Des esprits indignés s’élèvent pour dénoncer la provincialisationdu canton et de son université. Genève internationale, où es-tu? Tout cela est convenu et de bon ton. Car c’est justement cettenomination qui aurait pu amener à l’isolement de l’institution.
L’Université de Genève, aujourd’hui plus que jamais, a besoin d’un «patron» qui puisse la défendre dès le jour de son entrée en fonction de façon efficace aussi bien auprès des autorités genevoises, suisses qu’européennes. Pour cela, il faut une connaissance fine du système fédéral, du dossier Suisse-Europe et de ses innombrables acteurs au risque d’une recherche coupée de l’Europe. C’est aussi élémentaire que crucial. Celui qui débarque d’Amérique aura de grosses lacunes à combler, en un rien de temps. Eric Bauce l’a-t-il compris, le lui a-t-on expliqué? Il est en tout cas incompréhensible de l’entendre sécher sur une question simple posée à «Forum» (RTS): qui est le ministre suisse de la recherche? Désamorçons aussi l’argument de l’indépendance bafouée de l’institution en rappelant que la loi sur l’Université de 2008 autorise, sans ambiguïtés, le Conseil d’État à rejeter un candidat. Il est dans son rôle. Ce qui, en revanche, doit être corrigé, ce sont les critères desélection. Si la nomination d’un non-Suisse est exclue, il est vain, et insultant pour eux, de recruter des candidats hors-frontière.
«Pour la vraie «Genferei» de la semaine, il faut se tourner vers Berne.»
Mais pour la vraie «Genferei» de la semaine, il faut se tourner vers Berne. Résumons: au cours d’une enquête sur les fuites de l’affaire Crypto, le procureur repère d’autres fuites présumées coulant du département d’Alain Berset vers Ringier sur la stratégie anti-Covid du Conseil fédéral. L’information de ces fuites a elle aussi fuité dans la presse. Un deuxième procureur spécial est nommé pour enquêter sur le travail du premier. Et ce mercredi, c’est un troisième procureur non moins spécial qui est mis sur le coup! Enfin, la Commission de gestion du parlement s’est emparée de l’affaire. Mise en abyme ubuesque! Le miracle étant, après ces torrents de fuites, que Berne ne soit pas encore submergée.
Mais revenons sur le fond del’affaire. Là, on ne parle plus de fuites, mais bien d’un accord négocié entre le patron de Ringier, éditeur de «Blick», et le département d’Alain Berset: informations exclusives contre traitementrédactionnel bienveillant du ministre fribourgeois. Un marché inédit, bafouant toutes les règles déontologiques, révélé par la «Schweiz am Wochenende», est démenti avec force à la une du «Blick» de mardi sous le titre: «Personne n’influence Blick».Qui dit vrai?
Dans l’attente des rapports d’enquête, trois constats s’imposent d’ores et déjà: 1. En Suisse alémanique, la concurrence entre groupes de presse est vive. Et la presse, quatrième pouvoir, est surveillée par la presse, à l’instar des institutions. Ce qui démontre, si besoin en était, la nécessité de maintenir la diversité de médias forts. 2. L’affaire, avérée ou non, rappelle la tentation constante de rapprochements toxiques entre patrons de médias et politiques. Garder la (bonne) distance est impératif. 3. À défaut d’un épilogue, l’affaire a déjà ses héros, ceux qui «savaient» bien sûr, les UDC du repli, les anti (-vax, -élites, -académiques…) qui se trouvent confortés dans le «tous pourris». Cette semaine, on leur a aimablement servi la soupe.
*Directeur exécutif du Club suisse de la presse
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Chronique – Torrents de fuites, la Suisse prend l’eau