Crise alimentaireSyngenta dénonce le bio: de qui se moque-t-on?
Selon Erik Fyrwald, le patron de Syngenta, il faudrait arrêter la production bio pour faire face aux risques de pénurie alimentaire.
Ce billet est signé par un blogueur de la plateforme «Les Blogs» en partenariat avec la «Tribune de Genève». Il n’engage pas la Rédaction.

Il faut avoir un culot exceptionnel pour affirmer comme Erik Fyrwald, le patron de Syngenta, autrefois fleuron de la chimie bâloise passée voici six ans en mains chinoises, que devant la pénurie de denrées alimentaires en raison de l’invasion russe de l’Ukraine, il faudrait renoncer à la production bio. C’est prendre en otage un drame particulièrement douloureux pour discréditer une dynamique qui enfin s’amorçait. Notons que les mêmes arguments sont utilisés par les mêmes milieux pour torpiller le « verdissement » de la politique agricole européenne.
Dans son interview parue ce dimanche 8 mai dans la « NZZ am Sonntag », et relatée par la Tribune de Genève du 9 mai, Erik Fyrwald accuse le bio d’utiliser des pesticides à large échelle, en invoquant le seul cas significatif qui est celui du sulfate de cuivre encore utilisé - et à des doses décroissantes - en viticulture bio. Cela ne concerne donc aucunement le secteur des céréales dont il est question dans l’article. Il impute au bio des pertes de rendement de l’ordre de 50%, alors que celles-ci ne dépassent pas 20%, et sont compensées par une meilleure valeur nutritive des denrées produites en bio.
Mais le lobbyisme démagogique et de bas étage ne s'arrête pas là : La moindre productivité du bio serait un gaspillage inacceptable de sol, est-il affirmé. Mais pas un mot sur les énormes pâturages et les plantations industrielles de soja généralement transgénique obtenus par le saccage de la forêt tropicale, et uniquement dévolus à la production de viande. Or, pour obtenir un kilo de matière carnée, il faut dix kilos de matière végétale. Pourquoi alors ne pas au moins produire des aliments directement consommables par les humains, comme des protéines végétales (ce que sont précisément le soja et les autres légumineuses) ?
En moyenne mondiale, un tiers de la production agricole est perdue « de la fourche à la fourchette » ; si on veut faire quelque chose d’utile pour nourrir le monde, c’est d’abord à cet immense gaspillage qu’il faut s’attaquer.Le bio est non seulement plus sain pour les humains, mais offre la garantie de respecter la vie naturelle du sol et d’entretenir sa fertilité naturelle. Alors que l’agriculture industrielle le menace à brève échéance, avec ses animaux et plantes formatés pour un rendement maximum au prix d’une grande fragilité exigeant force, traitements, pesticides et engrais chimiques.
La perte des sols et la désertification est un souci très important encore tout récemment mis en avant par les Nations Unies. Le bio les protège, la chimie les agresse. Si l’industrie veut s’impliquer positivement, qu’elle participe à la lutte contre la désertification et la dégradation des sols en Afrique, cela permettra d’y augmenter l’autonomie alimentaire et de moins dépendre des importations de nourriture… C’est bien l’agriculture industrielle et chimique qui est un des facteurs majeurs de cette dégradation des sols. Le secrétariat de la convention des Nations Unies contre la désertification explicite les remèdes : l’agriculture de conservation limitant le travail du sol, l’agroforesterie, la restauration des zones humides et la gestion des eaux de pluie, et surtout : ne pas détruire la vie du sol en épandant des produits chimiques. Ou aussi la « grande muraille verte » dans le Sahel, qui a déjà permis de restaurer 100 millions d’hectares. C'est là que se trouvent les réponses aux risques de pénuries alimentaires et de famines, pas dans la poursuite de la fuite en avant dans la dépendance des multinationales qui ne fait qu'aggraver les problèmes. Alors non et trois fois non à l’utilisation scandaleuse de la souffrance humaine au profit d’une artificialisation croissante de la production alimentaire et d’intérêts économiques à très court terme, sur le mode « après moi le déluge ».
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