Livre de balades alpinesSur les cimes, on marche avec des écrivains pour guides
Un ouvrage atypique propose de cheminer en altitude dans toute la Suisse en suivant les mots d’auteurs passés et présents.
Les guides de balade en montagne sont légion. À la fois beau livre et ouvrage pratique, «Lignes de crêtes – Promenade littéraires en montagne», qui vient de paraître chez Noir sur Blanc, se distingue en proposant des itinéraires jalonnés par des textes d’écrivains.
Des mots glanés dans des écrits du XVIIIe siècle à nos jours accompagnent vingt parcours, du Creux-du-Van à l’Engadine en passant par le glacier du Rhône. Certains se pratiquent sur une demi-journée, d’autres demandent deux jours. Mise en bouche avec deux itinéraires de longueur et d’altitude moyennes.
À l’ombre des Diablerets


La Barboleusaz – Derborence. Environ 4 h 40 de marche. Dénivelé + 871 m/ – 625 m.
À La Barboleuse, prendre la route de Solalex. Le début du trajet suit de loin le cours de l’Avançon. Cette vallée de l’Avançon, le diariste genevois Henri-Frédéric Amiel (1821-1881) l’a connue préservée: «Les effets de lumière dans ces bois fais tapissés de fougère, de dravasse et de framboises étaient d’une grâce humide et mystérieuse. Noir, dans l’ombre du crépuscule, le Diableret tragique drapa ses rudes épaules d’une pourpre aux teintes étouffées, en face de l’Argentine, rougissante d’une tendre émotion.» ( «Journal intime», Lausanne, L’Âge d’homme, 1983). Plus récemment, Marc Voltenauer a offert un autre point de vue, faisant commencer l’intrigue du «Dragon du Muveran» (2016) en surplomb de ce vallon.
La route se rapproche progressivement de l’Avançon et débouche sur un large plateau. On peut toujours y voir l’étable transformée en résidence d’été par les poètes Juste Olivier (1807-1876) et sa femme Caroline (1803-1879). Leur poème «Les deux voix» semble inspiré par l’atmosphère du lieu.
Après une montée, on arrive à Solalex. Niché sous la paroi du miroir d’Argentine, l’endroit a nourri de nombreuses légendes alpestres, comme celle des voix de Solalex que rapporte le journaliste et écrivain Jean-Louis Kuffer en 1980 dans la «Gazette de Lausanne», dans son article «La légende des monts et merveilles».
Le pâturage d’Azeindaz, à 1876 mètres, est l’un des lieux les plus souvent mentionnés dans la littérature alpestre romande. Il offre toujours au promeneur un paysage idyllique et préservé.
Le col du Pas de cheville sur la ligne de frontière entre les cantons de Vaud et du Valais, marque une rupture spectaculaire dans le paysage. Philippe-Sirice Bridel (1745-1845) se plaît à souligner cette différence: «Du haut de ces bornes naturelles, on descend, par un sentier qui partout ailleurs s’appellerait précipice, dans une vallée profonde, où sont les huttes des bergers valaisans; en comparaison de ces dernières, les chalets vaudois sont des palais.» («Le Sauvage du lac d’Arnon, suivi de morceaux divers (1837)», (Éd. Imer et Payot, 1884, p. 259-260).
Derborence reste le décor de l’inoubliable roman de C.F. Ramuz: «Derborence, c’est d’abord un peu d’hiver qui vous vient contre en plein été, parce que l’ombre y habite presque toute la journée, y faisant son séjour même quand le soleil est à son plus haut point dans le ciel. Et on voit qu’il n’y a plus là que des pierres, puis des pierres, et encore des pierres.» («Derborence», in «Œuvres complètes» XXVII, Genève, Slatkine, 2013, p. 208).

Sur les pas de Tolkien


Autour de Lauterbrunnen. 6 h 35 min, 16,7 km. Dénivelé: +1103 m/-1103 m
Lauterbrunnen (797 m) est l’une des destinations les plus prisées depuis les débuts du tourisme alpin, à cause de la chute du Staubbach. Le philosophe Hegel, alors précepteur à Berne, y fait étape en 1796. Il décrit Lauterbrunnen comme «un village formé de quelques pauvres cabanons dispersés.» Au pied de la chute, c’est l’occasion d’une réflexion philosophique: «Ce qui est grandiose, c’est plus la hauteur du rocher qu’il dévale que le Staubbach lui-même. La retombée charmante, naturelle et libre de cette poussière humide est d’autant plus gracieuse. Comme on ne voit aucune puissance ou force immense, la pensée reste libre de toute contrainte, libre de la nécessité naturelle; et ce qui vit, se dissout et se détache, ce qui n’est pas uni en une masse, mais se meut et agit sans fin, produit plutôt l’image d’un libre-jeu.» («Journal d’un voyage dans les Alpes bernoises» de 1796, Éd. Jérôme Millon, 1988).
La seconde étape conduit au-dessus de la fameuse chute du Staubbach, avec le Genevois Rodolphe Töpffer (1799-1846), moins impressionné par la chute que par la vallée: «…nous allons d’abord visiter le Staubbach, il est toujours à sa place, c’est ce qu’on peut en dire de mieux. Mauvaise rigole, bien haute sans doute, mais sans mérite intrinsèque; un peu d’eau, de pittoresque, moins encore. C’est la vallée qui est admirable, mais il est reçu que c’est le Staubbach que l’on vient voir.» («Excursion dans l’Oberland bernois» de 8135, in «Derniers voyages en zigzag II, Éd. Plaisir de Lire, 1992).
Montée à Mürren par le Mürrenweg, qui offre une magnifique vue sur le massif de la Jungfrau.
De Mürren, on prend le chemin en direction de Gimmelwald. Byron, dans son poème «Manfred» de 1817, installe son héros en face de la Jungfrau, avec une nature grandiose qui amplifie son drame existentiel. Tandis que Manfred veut en finir, un chasseur bernois le retient in extremis.
Depuis Stechelberg, retour en direction de Lauterbrunnen. Le trajet suit des hautes falaises d’où tombent de nombreuses chutes d’eau.
Aux chutes du Trümmelbach, Mikhaïl Chichkine (né en 1961) rappelle le souvenir des écrivains qui l’ont précédé: «…pendant tout mon voyage, je n’ai jamais vu autant de gens que sur le bref chemin du Staubbach à la cascade de Trümmelbach. Ici, ce ne sont pas des voyageurs immortels qui m’entourent, mais de fort ordinaires, de plus en plus nombreux.» Il découvre cependant qu’il suffit de s’écarter des «voies prescrites» pour retrouver la quiétude. («Dans les pas de Byron et Tolstoï. Du lac Léman à l’Oberland bernois», Noir sur Blanc, 2005).
Le chemin redescend à Lauterbrunnen. J. R. R. Tolkien (1892-1973), rappelle dans une lettre combien son voyage en Suisse en 1911 a influencé la mise en place de ses paysages: «Le voyage du Hobbit (Bilbo) depuis Fondcombe jusqu’à l’autre versant des Monts Brumeux, y compris la dégringolade le long des pierres glissantes jusque dans les bois de pins, a pour origine mes aventures en 1911.» Il raconte ensuite ses expéditions «pour l’essentiel à pied» et dormant «à la dure» d’Interlaken à Lauterbrunnen puis Mürren, puis jusqu’au sommet de la vallée du Lauterbrunnen. («Lettre à Michael Tolkien, 1967 ou 1968 in «Lettres», Éd. Christian Bourgeois, 2005).

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