Employés stressés? Les patrons ne s'en soucient guère
Médecine du travailLa Suisse est un mauvais élève européen en matière d'attention portée à la santé au travail. Les explications d'une médecin spécialiste.

«C’est honteux.» Spécialiste de la médecine du travail à l’Institut universitaire romand de santé au travail (IST), basé à Lausanne, la professeure Brigitta Danuser connaît le désintérêt des patrons suisses pour ces questions. Et les résultats de la seconde enquête de l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (ESENER-2), publiés fin mars, montrent que la riche Helvétie n’a pas rattrapé son retard. Elle pointe à la 34e place, sur 36 pays sondés, en matière d’évaluation régulière des risques physiques et psychologiques. «Il y a une vraie négligence, regrette la professeure Danuser. Presque tous les pays européens, même avec des taux de chômage plus élevés, font un effort plus important.»
Circulez, il n’y a rien à voir. Les patrons suisses pensent trop souvent qu’il n’existe pas de problème majeur ou que les risques sont connus, donc maîtrisés. Or, pour prendre un danger au sérieux, il est indispensable de le mesurer régulièrement, insiste la spécialiste. «Chez nous, il y a cette idée que la médecine du travail est une obligation qui coûte du temps et de l’argent. Aux Etats-Unis, c’est l’inverse. Les employeurs réclament des contrôles réguliers pour s’assurer d’être dans la légalité. Ils ne sont pas vus comme une contrainte, mais une aide, un support.»
L’enquête révèle que les risques psychosociaux sont en augmentation (stress, burn-out, mobbing…), reflétant la croissance du secteur des services. Le facteur de risque le plus fréquemment mentionné par les établissements européens est la confrontation avec les clients, élèves ou patients difficiles (58%), avant les positions fatigantes ou pénibles (56%) et les mouvements répétitifs des mains ou des bras (52%).
Sujet tabou
«Nous sommes dans un pays industrialisé et plutôt riche qui, pourtant, ne gère pas suffisamment les risques psychosociaux», s’inquiète Brigitta Danuser. Le sujet rebute de nombreux patrons, qui rechignent à l’aborder avec les intéressés. Trop intime. Trop compliqué.
«Il y a cette idée que si quelqu’un souffre de stress, c’est de sa faute»
Pas moins de 49% des entreprises suisses incluses dans l’étude mentionnent la pression du temps comme facteur de risque. Problème: 20% seulement ont un plan d’action pour prévenir le stress. C’est sensiblement moins que la moyenne européenne (32%). «La Suisse prend au sérieux le harcèlement et le mobbing, mais pas du tout la pression du temps, le surmenage et le burn-out, constate la professeure Danuser. Les patrons individualisent ces problématiques. Il y a cette idée que si quelqu’un souffre de stress, c’est de sa faute; il n’est pas assez «solide». Les entreprises n’ont pas compris que l’organisation joue un rôle important contre les maladies liées au stress.»
Le burn-out n’étant pas considéré comme une pathologie, les médecins ne le diagnostiquent pas en tant que telle. Impossible, donc, de savoir combien de personnes sont touchées.
Consultations en hausse
Le manque de surveillance externe n’arrange rien. «Statistiquement, une entreprise est contrôlée par l’inspectorat du travail chaque vingt ans!» s’indigne la professeure Danuser. La Suisse squatte aussi le bas du classement en ce qui concerne le nombre de médecins du travail. L’IST est l’unique centre universitaire de compétence du pays. «Nous sommes extrêmement sous-développés au niveau académique. En Finlande, l’institut spécialisé emploie 800 personnes. A l’IST, nous sommes 80 environ pour à peu près le même bassin de population.»
La spécialiste peine à faire passer son message aux employeurs: une bonne gestion des risques liés au travail est importante pour le bien-être du personnel, mais a aussi un impact sur la productivité.
Côté employés, la demande grimpe. La consultation dédiée aux problèmes de souffrances au travail ouverte en 2011 par l’IST est de plus en plus sollicitée. Visiblement consciente des lacunes, l’Inspection fédérale du travail forme désormais des inspecteurs spécifiquement aux risques psychosociaux. Ils effectuent leurs premiers contrôles cette année. (TDG)
Créé: 30.05.2016, 07h50

La professeure Brigitta Danuser est membre du comité de direction de l'Institut universitaire romand de santé au travail (Lausanne).
Psychologues absents
Les résultats de l’enquête ESENER-2 révèlent encore que seulement 12% des entreprises suisses recourent aux services d’un médecin du travail; 7% aux services d’un psychologue. Des scores parmi les plus bas d’Europe.
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