Stress, pression, responsabilités: quand le mental des sportifs cède
Considérés comme des «surhommes», des athlètes de haut niveau peuvent aussi dérailler mentalement. Dossier.

Aaron Lennon, 30 ans, est entré à l'hôpital la semaine passée. Non pas pour un souci de genou, mais en vertu de la loi britannique sur la santé mentale. Aperçu marchant près d'une autoroute, le joueur d'Everton, ex-international anglais, a été récupéré par la police et forcé d'entrer en clinique. Aurait-on ainsi évité le pire? Outre-Manche, la question ne manque pas d'agiter le monde du ballon rond, qui n'ignore pas que des sportifs – aussi riches et médiatiques soient-ils – ont parfois plié sous le poids du burn-out, voire de la dépression, avec des conséquences parfois terribles.
Un soir de novembre 2009, Robert Enke, ex-gardien de Barcelone et de Hanovre (notamment), ne s'est-il pas jeté sous un train? Ancien footballeur talentueux, attendu comme le Messie en Allemagne, Sebastian Deisler a pour sa part prématurément rangé ses crampons. A 27 ans. Lassé. Cuit. «Bouilli» mentalement. «Un jour, au retour d'un entraînement, je me suis assis chez moi, ma Mercedes était garée devant la porte, mais je me suis senti vide, a-t-il écrit dans son autobiographie. Je me suis demandé ce que tout cela signifiait. J'étais au sommet, connu dans tout le pays, mais en réalité j'étais seul et désespérément malheureux.» Comme d'autres avant lui (Andre Agassi, Petra Kvitova, Marco Pantani, Ian Thorpe...).
Gare au perfectionnisme
On connaissait ces sportifs qui vivent une sorte de «première mort», au moment d'arrêter leur carrière. Mais même au faîte de leur gloire, dans un quotidien qui fait rêver des millions de personnes, certains d'entre eux peuvent finir par rompre. «Parce que les surhommes, ça n'existe pas, pose Romain Ducret, coach mental professionnel. Chaque être humain est fort et faible à la fois, les athlètes peut-être même davantage encore, leur activité leur offrant énormément de périodes de stress.» Et, puisque du stress positif au stress négatif – celui qui engendre les pires problèmes selon comment il est interprété – la frontière est infime, le ver peut rapidement se propager dans le fruit.
«Parfois perçus comme des «superhumains», les sportifs d'élite doivent faire preuve de force mentale pour exceller, mais cela ne s'accompagne pas automatiquement d'une bonne santé psychologique, pointe le Dr Olivier Schmid, psychologue du sport et de la performance à Genève et à l'Université de Berne. Certaines études indiquent même que les athlètes sont plus à même de développer des troubles tels que la dépression, l'anxiété, les troubles alimentaires ou l'abus de substances. Ceci parce que l'environnement propre au sport de haute performance compte de nombreux facteurs susceptibles d'augmenter les risques de troubles de la santé mentale, tels que le fait de vouloir atteindre l'excellence à tout prix ou de manquer d'opportunités de développer des compétences psychologiques pour faire face à différentes sources de stress liées à cette vie au plus haut niveau.»
La santé mentale est fragile. Plus peut-être encore lorsque le sportif est dans une quête d'excellence qui se traduit en perfectionnisme. «Ce perfectionnisme peut éloigner de l'excellence, car comme beaucoup de traits de personnalité, il est à double tranchant, reprend le Dr Schmid. Le reproche vers soi et l'insatisfaction permanente de ne pas atteindre ses objectifs peuvent avoir des conséquences néfastes sur la performance. Le mal-être des sportifs vient souvent du fait qu'ils évaluent leur valeur et leur estime d'eux-mêmes en fonction de la qualité de leur performance.» Cela a été le cas chez Sebastian Deisler.
Qu'ils vident leur sac!
«On me considérait comme une star, mais je ne me sentais pas ainsi, se souvient l'ancien joueur de la «Mannschaft». Je n'avais rien fait pour que l'on me présente comme le futur du foot allemand. Au Bayern, tu ne réussis que si tu dis que tu es le meilleur. Tu te définis par rapport à ton ego et ta fierté. Mais moi je n'ai jamais écrasé les autres.»
Parce que la loi du haut niveau nécessite que l'athlète soit plus fort que ses adversaires, plus fort que tout en réalité, celui-ci cherche à se construire une carapace dénuée de toute fêlure. A tort. «Les termes «forces mentales» et «troubles de la santé» sont souvent mis en contradiction dans la culture du sport de haut niveau, ajoute le Dr Olivier Schmid. Cela a conduit à ancrer les troubles psychologiques comme tabous et à les considérer comme des faiblesses inavouables.»
Or, il arrive que le vernis se craquelle, que tout explose, mais l'athlète se refuse à évoquer un état dépressif, qui serait perçu comme une faiblesse. «Dans ce milieu, les acteurs majeurs parlent aisément d'une blessure physique, d'un problème tactique, de soucis techniques, mais jamais ils n'évoquent l'aspect mental, car à leurs yeux cela s'oppose aux objectifs de performance», relève Romain Ducret.
«Les sportifs, dans leur «construction», n'apprennent pas à «être», poursuit le coach mental, alors qu'ils devraient pourtant oser exprimer leur ressenti, vider leur sac. Cela aide aussi à se protéger.» Basketteur de NBA, Larry Sanders n'a pas su le faire à son arrivée sous les feux des projecteurs. Il a de fait très vite plongé dans l'anxiété et la dépression.
«D'un coup, je me suis retrouvé à devoir tout gérer: la famille, la maison, ma carrière, dit-il. C'est intense, surtout qu'en tant que sportif professionnel, j'étais dans l'obligation d'être performant. Et le moindre de mes gestes se retrouvait sur le Web, commenté par des millions de personnes. Je n'avais plus de vie privée. C'est comme si j'avais cédé celle-ci contre de l'argent, en signant mon contrat. Sauf que cet argent ne permet pas d'acheter un peu de calme.»
Alors comment faire pour s'y retrouver dans cette «lessiveuse»? Roger Federer, Cristiano Ronaldo ou Lionel Messi, champions d'exception qui donnent l'impression de résister à tout, doivent bien avoir un secret. Peut-être est-ce le fruit de… la passion? «L'amour qu'ils ont pour le jeu, la passion, le plaisir, c'est effectivement un point essentiel, commente Romain Ducret. Il s'agit d'un guide, d'un moteur, du fil conducteur d'une carrière.» Mais le fil demeure fragile.
Preuve en est qu'après l'épisode Lennon, des footballeurs de la trempe de Jamie Carragher ou Ryan Giggs n'ont pas manqué d'avouer qu'ils avaient eux aussi flirté avec la limite. A l'époque, leur entourage les avait aidés à ne pas sombrer. La passion, lorsqu'elle n'est pas dévastatrice, peut aussi contribuer à éviter la noyade. La passion, un fruit qu'Aaron Lennon va tenter de (re)cueillir à l'approche de l'été.
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