Théâtre Le Poche Genève«Spaghetti bona fide», la cuisine politique en mode show télévisé
De la toute première pièce du jeune auteur suisse Matteo Emilio Baldi, Dorothée Thébert et Filippo Filliger tirent une satire juteuse et déjantée.

De la «bona fide» (bonne foi), on n’en trouvera «mie» dans le plat de spaghettis qui se mijote actuellement au Poche. Et pour cause: aux fourneaux officient quatre politicards italiens, et ils ne sont pas à une compromission près pour décrocher un ministère au sein du nouveau gouvernement. Voyez Armanda (Jeanne De Mont), cueillie sur le plan de travail en train de savourer le cunnilingus que lui prodigue sa compagne Delia (Zoé Sjollema). Chef de file du mouvement, la socialiste dissimule son homosexualité de crainte de perdre les voix que lui obtient sa responsable de comm de chérie. Dans une villa du bord de mer, le couple attend Giosuè (Fred Jacot-Guillermoz), numéro deux du parti, qui, en signe d’alliance manigancée avec l’extrême droite, débarque accompagné de Deledda (Angèle Colas), sa maîtresse affiliée à la Lega.

Quoique l’orage gronde dehors, le quatuor esquive les sujets qui fâchent, préférant causer boustifaille tout en rivalisant de recettes culinaires préparées en direct. Le temps du huis clos, la cuisine devient à la fois le terrain sémantique d’une tambouille politicienne, le lieu où se préparent à vue des plats authentiques (l’autre sens de «bona fide»), et le plateau d’une émission gastronomique de la RAI, gratinée d’exubérance et de vulgarité.
Après quelques digressions plus militantes ou contemplatives, «Spaghetti bona fide» remet d’un coup retentissant l’humour au milieu du couple Dorothée Thébert-Filippo Filliger, toujours prompt à agrémenter ses spectacles d’un petit verre offert au spectateur. Jamais n’aurons-nous vu la photographe et le réalisateur de formation pousser la farce si loin, oser la déconne à ce point. Pour vous décrocher la mâchoire, ils peuvent néanmoins s’appuyer ici sur d’autres joyeux drilles. Le jeune Argovien Matteo Emilio Baldi – comme son nom ne l’indique pas –, d’abord. Tour à tour linguiste et journaliste, ce littéraire d’une petite trentaine d’années manie la dramaturgie comme on émince un oignon: des pelures en pagaille et ce petit picotement oculaire qui cause le rire tout en titillant la larme.

Surtout, ils peuvent compter sur le jeu à la fois décalé et outrancier de leurs quatre serviteurs sur scène, tous membres de l’Ensemble 2021-2022 du Poche. Dans leurs costumes bariolés – avec choucroute, casquette et lunettes noires XXL –, ils mettent la sauce en se contorsionnant à qui mieux mieux, en hurlant sans retenue ou en s’immortalisant dans des selfies grotesques. Si les enjeux politiques constituent moins le plat de résistance qu’on pourrait l’attendre, on goûte au propre et au figuré les bulles du Prosecco qui accompagne ce dernier.
«Spaghetti bona fide», au répertoire du Poche jusqu’au 15 mai, www.poche---gve.ch
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