Six villes suisses parent leurs murs de littérature
Un livre, «Voyage entre les langues», documente le projet original de Karelle Ménine et Ruedi Baur.

Que lit-on d'ordinaire sur les façades de l'espace public? Des affiches publicitaires, des panneaux indicatifs, des enseignes, quelques tags en attente de Kärcher. Certainement pas des textes littéraires – même d'écrivains ayant foulé le trottoir précis où l'on se trouve. Prose et poésie restent hermétiquement confinées aux livres.
Faites cependant le détour par Nyon, Bienne, Sion, Rapperswil, Faido ou Sagliains, vous y découvrirez des fresques entières composées de citations d'auteurs et augmentées de commentaires multilingues, recueillis auprès de la population alentour. L'effet est insolite, le résultat à la fois ornemental, instructif et inspirant. Le passage du temps, seul, finira par l'effacer.
Travail comparable en Belgique
À l'origine de ce projet d'écriture urbaine, la femme de lettres franco-suisse Karelle Ménine, lauréate en 2016 de la Bourse Auteure confirmée de la Ville et du canton de Genève. «J'ai été approchée par la Fondation Oertli, qui encourage les échanges entre les régions linguistiques suisses, alors que je terminais juste, avec le graphiste Ruedi Baur, un travail comparable effectué à Mons, en Belgique», raconte-t-elle. À l'issue de cette expérience initiale, intitulée «La Phrase», un ouvrage était paru chez Gallimard, qui la relatait. Rebelote cet automne, avec un «Voyage entre les langues» qui immortalise le «making of» de cette commande passée par la Fondation Oertli à l'occasion de son jubilé en 2017.
Sa carte blanche en main, Karelle Ménine envoie un dossier à plusieurs villes d'Helvétie. Elle en retiendra six au final – réparties entre la Romandie, la région alémanique, l'Engadine et le Tessin – où bivouaquer avec ses peintres en lettres et autres graffeurs autorisés. «Ruedi et moi ne demandions pas mieux que de prolonger la démarche entamée à Mons. Le patrimoine littéraire étant de moins en moins lu, mon désir est de le porter dans les rues, de l'y inscrire à la main, et d'observer comment le texte rouvre les horizons.»
L'intellectuelle débarque ainsi à Bienne. Évitant les lieux de culture officiels, elle se rend dans le secteur de Mâche, exemple de mixité sociale, doté depuis peu d'une ancienne usine en guise de maison de quartier. «Avec des classes d'écoles germanophones et francophones, nous avons travaillé sur l'écrivain Robert Walser, natif de la ville. Je notais les mots que la lecture faisait jaillir chez les élèves. Peu à peu, les parois de la cour s'en sont recouvertes, dans la langue de leur choix.» On repère ainsi du tamoul ou du portugais sur les pages de pierre. À Nyon, il y aura du japonais; de l'érythréen à Sion.
Isabelle Eberhardt aux Grottes
«Poser du texte sur des murs revient à poser des questions», résume Karelle Ménine. Le geste intime et patient de la notation suscite de la curiosité; la lecture hasardeuse peut ensuite résoudre toutes sortes de problèmes. «Mettez du Borges sur les frontons genevois!» aimerait-elle intimer aux politiciens. À défaut de l'auteur argentin enterré au cimetière des Rois, c'est à l'écrivain nomade Isabelle Eberhardt, originaire des Grottes, que notre activiste rend hommage sur les façades de son quartier natal. Dès janvier, une exposition des manuscrits de la pionnière complétera à la Maison Tavel son opération de graffiti livresque.
«Voyages entre les langues» de Karelle Ménine, Vera & Ruedi Baur, Ed. Gallimard, collection Alternatives, 144 p.
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