34% des Genevois ne paient pas d’impôts. Faut-il les taxer?
Face-à-faceDeux membres de la Commission des finances du Grand Conseil, d’avis opposés, reviennent sur cet intéressant sujet.

Un système fiscal à réinventer
Vincent Maitre
Président de la commission fiscale
Poser la question, c’est y répondre. Le principe de l’égalité fiscale, autrement dit de la solidarité contributive, n’impose-t-il pas en effet, sauf indigence manifeste, que tout un chacun participe à l’effort collectif selon sa capacité financière, aussi modeste soit-elle?
Au regard de ce principe juridique cardinal, force est de constater qu’un tel chiffre ne peut résulter que d’un profond dysfonctionnement.
L’explication est probablement à chercher du côté de la structure même d’un système fiscal genevois aussi archaïque qu’obsolète, complexifié à l’envi au fil du temps pour tenter de s’adapter péniblement aux évolutions sociétales et économiques. Cette complexité découle des innombrables exceptions (niches fiscales) créées pour préserver une imposition raisonnable et ne pas précariser davantage les contribuables modestes par un impôt confiscatoire.
Dans un canton où le coût de la vie est sans conteste l’un des plus élevés du pays (primes maladie, loyers…), ces réformes ont, en effet, souvent visé les familles de la classe moyenne inférieure, afin d’épargner leur pouvoir d’achat déjà faible et les préserver de l’assistance sociale.
Si les barèmes d’imposition ont toujours été favorables aux «petits revenus», leur progressivité est, en revanche, si abrupte qu’elle les plongerait assurément, par simple effet de seuil, dans l’indigence ou réduirait à tout le moins considérablement leur capacité économique si aucune déduction ne leur était plus permise.
Bien qu’absolument indispensable en l’état, force est d’admettre que cette situation n’est ni satisfaisante ni pérenne. Elle stimule non seulement frustrations et sentiments d’iniquité, mais est surtout, selon les spécialistes, amenée à s’accentuer. En effet, célibataires et contribuables aisés sont à ce jour les plus durement ponctionnés, alors que 93 219 personnes échappent à l’impôt, dont 78 000 sont des travailleurs aux revenus insuffisants pour être imposables. Ainsi, 20% des contribuables assument seuls, aujourd’hui déjà, près de 80% des recettes fiscales totales. Et ces chiffres sont en croissance.
En conclusion, il serait lourdement préjudiciable, en particulier pour les contribuables modestes, de s’attaquer aux déductions fiscales sans qu’une réévaluation des taux d’imposition ne soit parallèlement entreprise.
C’est donc d’une réforme en profondeur de l’ensemble de son système fiscal dont Genève a besoin, laquelle passera impérativement par une simplification si elle veut diminuer les inégalités entre contribuables. En ce sens, les pistes d’ores et déjà initiées par la 3e réforme de l’imposition des entreprises (RIE III) pourraient assurément inspirer positivement une refonte des mécanismes d’imposition des personnes physiques.
Mieux vaut s’attaquer au chômage
Romain de Saint Marie
Membre de la commission fiscale
Même le citoyen qui vivote avec un revenu de 30 000 fr. par an le dépensera en grande partie dans des achats soumis à la TVA. Celle-ci constitue la source la plus importante de recettes fiscales pour la Confédération. A cela s’ajouteront impérativement toutes les taxes diverses et variées, non liées au revenu, qui reviendront aux collectivités. Prétendre que 34% des Genevois et Genevoises ne paient pas d’impôts est donc faux!
Les statistiques montrent que le vrai problème du canton de Genève ne réside pas dans le fait que 34% des Genevois ne paient pas d’impôts cantonaux et communaux, mais bien dans le fait que leurs revenus et leurs charges ne leur permettent pas de payer davantage d’impôts.
Notre canton connaît un accroissement des inégalités inquiétant. En dix ans, le nombre de Genevois ne pouvant payer des impôts sur le revenu a augmenté de 20% (28,4% en 2013 et 34,2% en 2012)! A l’inverse, la proportion de la contribution des plus riches, soit 0,2% des contribuables, a augmenté de 30% (15% en 2013 et 19,6% en 2012), ce qui traduit une explosion de leur richesse! Cette dynamique est une catastrophe pour le canton de Genève.
Faut-il alors taxer davantage les revenus des ménages modestes? Non, puisqu’en diminuant encore leur pouvoir d’achat, on grippera encore un peu plus notre système basé – qu’on le veuille ou non – sur la consommation et la croissance économique. Et encore non, puisqu’il ne sert à rien de taxer davantage des ménages auxquels il faudra ensuite verser tel ou tel subside, allocation ou aide sociale afin qu’ils puissent joindre les deux bouts. Ce qu’il faut faire, c’est s’attaquer au chômage genevois, qui est toujours le plus élevé de Suisse, et à la stagnation des salaires alors que le coût de la vie augmente. Des solutions existent pour rehausser les bas salaires et investir massivement dans l’insertion professionnelle.
Enfin, dire que les contribuables genevois modestes sont des privilégiés par rapport à ceux d’autres cantons en matière de fiscalité revient à prendre le problème par le petit bout de la lorgnette. Il suffit de penser à ce que paient comparativement les Genevois en matière de logement et d’assurance-maladie pour s’en convaincre.
La justice fiscale, faut-il encore le rappeler, repose sur un principe de redistribution. Ainsi, les plus aisés contribuent davantage. L’Etat redistribue ses recettes sous forme de prestations publiques qui visent à garantir l’égalité des chances et la cohésion sociale au sein d’un même espace.
Ces missions sont fondamentales pour la stabilité et la prospérité de notre société. Ceux qui attaquent sans cesse les budgets des collectivités publiques et font passer les ménages modestes pour des privilégiés jouent avec le feu.
(TDG)
Créé: 11.01.2016, 20h55
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