Ces Suisses en mal de bébé qui vont à l'étranger
Pour bénéficier de techniques bon marché ou interdites par la Confédération, de plus en plus de couples passent les frontières. Enquête.

Futur papa, Pierre* aurait souhaité que cela arrive plus vite: «Lorsque le diagnostic préimplantatoire (DPI) sera pratiqué en Suisse, cela évitera à de nombreuses familles, comme nous, de se rendre à l'étranger (lire l'encadré). Il y a presque un an, le 5 juin, une majorité des Suisses (62,4%) se prononçait en faveur de la révision de la Loi sur la procréation médicalement assistée.
Un plébiscite. Mais depuis? «Pour le moment, aucun centre n'est habilité à proposer le DPI, rapporte Katrin Holenstein, porte-parole de l'Office fédéral de la santé publique. Il faut attendre que les décrets d'applications entrent en vigueur, ce qui devrait être le cas au 1er septembre 2017. Ensuite, les institutions intéressées pourront déposer une demande d'autorisation.»
Bref, le DPI n'est pas près d'arriver. Au mieux, il sera disponible à l'horizon 2018. «Cette technique ne s'applique pas du jour au lendemain, explique Julie Benard, médecin cheffe de clinique dans l'unité Médecine de la reproduction aux HUG. Elle demande des investissements et, surtout, que le personnel soit formé. Aux HUG, nous sommes motivés pour proposer le DPI, mais il est impossible de prédire quand nous pourrons concrètement le faire.»
En attendant, les couples en mal d'enfants se tournent vers l'étranger. Un phénomène en constante augmentation. «Nous recevons de plus en plus de Suissesses, confirme la doctoresse Paula Celada, de la clinique IVI à Valence. Elles viennent chez nous pour profiter de traitements interdits en Suisse.» En 2016, les établissements du groupe IVI ont ainsi accueilli 321 patientes suisses, contre 200 en 2013, soit une hausse de 60% en quatre ans.
«Hélas, il n'existe aucune étude quantifiant cet exode, regrette la doctoresse Dorothea Wunder, qui officie au Centre de procréation médicalement assistée de Lausanne. Personne ne sait combien de Suissesses partent à l'étranger pour bénéficier d'une PMA.» Toutes destinations confondues, le chiffre pourrait dépasser 2000 femmes par an, à comparer aux 6000 fécondations in vitro (FIV) pratiquées chaque année en Suisse.
L'Exil procréatif va continuer
«Lorsque le DPI sera disponible à Genève, je suppose que nos clientes préféreront être traitées chez elles, poursuit Paula Celada. Mais je ne peux pas faire de prédiction.» Car dans les faits, la démocratisation du DPI ne mettra pas fin au «tourisme de la procréation». «60 à 65% des Suissesses qui viennent nous consulter sont là pour un don d'ovocytes – pratique que la Confédération interdit toujours», rappelle Paula Celada. Bref, «le tourisme procréatif va continuer», résume Dorothea Wunder.
Un avis partagé par la doctoresse Amélia Rodriguez Aranda, directrice médicale du groupe de cliniques Eugin, également en Espagne: «Nous recevons entre 100 et 175 Suissesses par an, âgées de 39 ans en moyenne, qui nous consultent principalement pour une donation d'ovocytes.» Selon les chiffres des cliniques IVI, seule 15% de la patientèle suisse qui choisit l'Espagne vient pour un DPI.
75 à 85% des femmes qui consultent les cliniques du groupe IVI, en Espagne, viennent en couple (hétérosexuel). 15 à 20% se déclarent célibataires et 1 à 2% s'affirment ouvertement homosexuel
Et il n'est pas certain que l'intégralité opte pour des institutions suisses une fois que cette technique sera pratiquée sur les rives de la Sarine. «Alors que l'infertilité progresse, nous observons une stagnation du nombre de FIV en Suisse (voir l'infographie), constate Dorothea Wunder. Cela est dû au fait que de plus en plus de patientes décident de s'exiler pour procréer.» Adva Grundman est l'une d'entre elles.
En 2015, cette Genevoise a choisi de se rendre en République tchèque pour une FIV, pourtant autorisée dans la Cité de Calvin. La raison? Le prix. «En Suisse, la procréation médicalement assistée reste très chère et non remboursée, contrairement à la France, par exemple, où quatre tentatives de FIV sont prises en charge, souligne Adva Grundman. Tant que cela sera le cas, une partie de la population ne pourra s'offrir cette technique. Et, logiquement, les couples se tourneront vers l'étranger.»
Un phénomène baptisé «tourisme reproductif» – terme qui hérisse Adva Grundman: «C'est une épreuve pour les couples de se rendre dans un pays qu'ils ne connaissent pas. S'ils avaient d'autres options, ils ne le feraient pas.» Un avis partagé par de nombreux scientifiques. Dans un éditorial paru en 2009 dans la revue Infertility, plusieurs d'entre eux appellent à ne plus parler de «tourisme procréatif», mais plutôt «d'exil procréatif». Pour accompagner les couples dans cet «exil», Adva Grundman a créé le site Internet maFIV.ch, qui collabore avec une clinique de Brno en République tchèque. «Pour l'avoir vécu, je sais qu'on se sent démunie et seule dans ce parcours, on se demande ce qu'on fait là. J'essaye d'apporter un soutien», explique la jeune maman.
Risques de déception
Aux HUG, un traitement complet par FIV coûte entre 5000 et 8000 fr., contre 2500 fr. en République tchèque (voir l'infographie). Dans les cliniques Eugine, en Espagne, les tarifs s'échelonnent de 1140 euros à 6190 euros. «Mais le prix n'a jamais été un argument, précise Amélia Rodriguez Aranda. Il est la conséquence de notre volonté de faire les choses le mieux possible, pour que ces techniques soient accessibles à tout le monde.» Julie Benard tient, néanmoins, à relativiser cette différence de coût: «Nos tarifs sont comparables à ceux pratiqués par les centres espagnols, si l'on tient compte des frais annexes comme le voyage ou le logement, soutient la doctoresse des HUG. Mais il est vrai que certains pays cassent les prix.»
Grèce, Chypre, Malte, Turquie… Les destinations exotiques se multiplient. Car le secteur se porte bien. Eldorado du business de la fertilité, l'Espagne compte plus de 200 centres gynécologiques – le nombre le plus important d'Europe – contre une trentaine en Suisse. A lui seul, le groupe IVI a accueilli 45 000 patientes en 2016.

Et certains centres n'hésitent pas à arrondir leurs bénéfices sur le dos et la détresse des patients en mal d'enfants. «Les prix affichés sur Internet semblent vraiment imbattables, souligne Dorothea Wunder. Mais après, de nombreux examens complémentaires sont proposés et la facture explose. Car lorsque l'on veut un enfant, on est prêt à tout. On accepte tout traitement supplémentaire susceptible d'augmenter ses chances.» Une étude publiée en novembre 2016 dans le British Medical Journal jette un froid sur ces pratiques: sur 38 examens médicaux proposés systématiquement aux couples infertiles par les cliniques anglaises, 27 ne sont pas justifiés d'un point de vue médical, soit plus de 70%!
«De nombreux établissements trompent les gens. Lorsque j'observe la liste des examens qu'ils prescrivent, je suis très étonnée, poursuit Dorothea Wunder. Par ailleurs, ils annoncent des taux de réussite extraordinaires.» Jusqu'à 90% pour une FIV classique contre 30% pour le même examen en Suisse. Mais on ne peut rapprocher ces chiffres car les publicités omettent de préciser combien d'essais sont pratiqués et si ces grossesses vont à terme. «Au final, c'est comme comparer des bananes et des pommes, regrette Dorothea Wunder, cela n'a aucun intérêt sinon augmenter le risque de déception.»
Autre problème: dans les pays de l'Est, certains centres implantent de nombreux embryons pour maximiser leur taux de réussite. Une technique qui augmente également le taux de grossesses multiples. Mais ensuite, c'est au système de santé suisse de prendre en charge les futures mères et de couvrir les surcoûts liés à ces grossesses à risque. «Sans parler du fait que le taux de divorces explose chez les familles qui ont eu des triplés», souligne Dorothea Wunder. Bref, le retour en Suisse s'avère souvent compliqué.
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