À première vue, les coûts de la santé échappent à tout contrôle. Les augmentations de primes n’obéissent à aucune règle statistique stable; à tel point qu’une étude récente du KOF (centre de recherches conjoncturelles de l’EPFZ) démontre qu’il est quasi impossible de prédire avec une précision raisonnable l’évolution des coûts d’une année à l’autre! D’où des augmentations qui varient du simple au double. Tous les programmes visant à freiner les coûts semblent impuissants. Enfin, en Suisse, comme dans l’Union européenne, les pénuries de personnel s’aggravent. De 15 à 25% des lits de soins intensifs sont fermés en Europe faute de personnel qualifié, selon la Société européenne de médecine de soins intensifs. Recruter à l’étranger va devenir de plus en plus difficile. Et des hausses de salaires sont programmées partout…
Que l’on se rassure au moins sur un point: la Suisse est dans une situation comparable à ses voisins. Certes, nous dépensons un peu plus, mais on est proche de la moyenne des pays de l’OCDE. À quelques exceptions près, les pays développés consacrent entre 10 et 12% de leur richesse à la santé. Et tous sont dans une dynamique comparable: les dépenses de santé augmentent à un rythme plus élevé que celui de la croissance. Par conséquent, la santé pèse de plus en plus lourd dans les budgets des collectivités et des ménages! Le vieillissement de la population? Il joue un rôle important, sans être le plus important. L’OCDE estime son poids à un quart, voire à un tiers des facteurs qui déterminent les hausses de coûts; deux tiers de l’augmentation des dépenses proviennent en réalité du progrès technique, des nouveaux traitements et de soins qui améliorent non pas seulement l’espérance de vie, mais le confort des patients.
«Selon les scénarios démographiques, la part de la santé dans le PIB de 2030 s’établira entre 14,4% et 17,2%.»
Nous sommes typiquement dans la gestion de l’abondance, la plus difficile à réguler. Personne n’a envie de renoncer à la pose d’une prothèse de hanche ou à un traitement contre le cancer que l’on guérit aujourd’hui une fois sur deux. Et si beaucoup disent être prêts à renoncer à une réanimation quand surviendra le grand âge, ils sont tout aussi nombreux à s’accrocher à la vie! Bien sûr, il faut réformer le système, mieux cibler les interventions, éviter la surconsommation médicale, accepter de renoncer à des ultimes traitements sans espoir. Mais cessons nos illusions. Les dépenses de santé vont continuer à grimper. En 2007, dans l’étude «Déterminants et évolutions des coûts du système de santé en Suisse», l’Université de Neuchâtel estimait que les coûts de santé seraient multipliés par 2,2 «dans l’hypothèse favorable d’une amélioration de la santé de la population aux âges élevés à l’horizon 2030 et par 2,4 dans l’hypothèse défavorable d’un état de santé inchangé». Selon les scénarios démographiques, la part de la santé dans le PIB en 2030 s’établira entre 14,4% et 17,2%. Vu de 2023, nous nous dirigeons sans aucun doute vers la fourchette haute. Les mesures pour freiner les coûts auront des effets, mais leur ampleur sera limitée. C’est une affirmation que l’on semble parfois oublier dans le débat politique, qui feint de croire qu’il est possible de stabiliser une fois pour toutes les coûts de la santé. La politique le promet, les experts, eux, n’y croient pas!
Mais est-ce un mal? Pas nécessairement. La santé est bien commun de l’abondance. Limiter son accès n’est pas une solution raisonnable. Au contraire, il faut considérer que c’est un investissement, certes coûteux, mais préférable à des restrictions qui aggraveraient l’état sanitaire des populations et finiraient par péjorer la croissance. La meilleure des politiques, la plus efficace, est de travailler à la prévention qui évite de réparer les dommages de la vie. Et surtout, préparons-nous à mieux gérer et planifier les contraintes d’une économie de l’abondance.
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La chronique économique – Santé: faire face à une vérité mal planifiée
Les coûts de la santé augmentent plus vite que la croissance. On le sait depuis longtemps, mais on feint chaque fois de l’oublier.