Les bons vieux blockbustersRetour vers les années 80
La sortie de «Top Gun: Maverick», 36 ans après l’original réalisé par Tony Scott, fait inévitablement remonter à la surface des images du cinéma d’action de l’époque Reagan.

«Les aventuriers de l’arche perdue», «Les Goonies», «E.T.», «L’arme fatale», «Le retour du Jedi», sans oublier évidemment «Top Gun» – pour la caution actualité – et le bien nommé «Retour vers le futur». À la simple évocation de ces blockbusters, les yeux d’une génération entière de spectateurs, voire plus, s’illuminent comme le bon vieux projecteur 35 millimètres d’un cinéma de quartier d’avant les multiplexes. Même pas besoin d’enclencher le convecteur temporel de la DeLorean de Doc et Marty pour voyager vers les années 80.
Le cinéma américain vit alors à l’heure du «nouvel Hollywood». Loin de son âge d’or des années 30 et 40, symbolisées en vrac par «Autant en emporte le vent», Humphrey Bogart et Rita Hayworth, il doit ramener dans ses salles obscures le public que la toute-puissante télévision a pris dans sa toile.
Pure distraction
Pour lui faire quitter son sofa confortable, les longs métrages doivent vanter l’évasion et vendre de la distraction à grand renfort de scénarios originaux et de fictions marquantes. Science-fiction et action (parfois combinées) sont les ingrédients clés de cette recette à succès relevée de coûteux effets spéciaux.
Certains films («Footloose», «Dirty Dancing») s’appuient aussi sur des titres musicaux incisifs et un montage «agressif», multipliant les plans courts, proches des vidéoclips qui explosent au même moment sur le petit écran avec l’apparition de la chaîne musicale MTV.
«Top Gun» s’inscrit à double titre dans cette culture populaire du divertissement pur et dur livré à une nation encore marquée par le traumatisme du bourbier vietnamien. L’Amérique se cherche des héros. Elle en trouve grâce au cinéma d’action. Et c’est tout un symbole que Ronald Reagan soit le président élu, et même réélu, pour traverser cette décennie. Pur produit républicain, il s’est d’abord fait connaître comme acteur de films de série B, un genre cinématographique très courant au moment de l’âge d’or hollywoodien.
«Les années 80, c’est l’heure de la gloire, l’heure des stars. C’est aussi la culture du corps qui apparaît au cinéma.»
«Les années 80, c’est l’heure de la gloire, l’heure des stars. Avec Stallone, Schwarzenegger, puis un peu plus tard Bruce Willis, c’est aussi la culture du corps qui apparaît au cinéma», souligne Achilleas Papakonstantis, enseignant à la Section histoire et esthétique du cinéma de l’Université de Lausanne (UNIL). La précision qu’il apporte colle parfaitement avec la partie de beach-volley gonflée à la testostérone du «Top Gun» original.
Derrière la caméra, deux hommes qui se sont fait les dents au cours de la décennie précédente incarnent cette période marquée par des superproductions voulues simples et efficaces: Steven Spielberg et George Lucas. Qu’ils travaillent ensemble – la trilogie «Indiana Jones» – ou séparément – «E.T.» pour le premier, la saga «Star Wars» pour le second – ils sont le cinéma américain des années Reagan. Même si le septième art n’est pas monomaniaque au point d’oublier des films disons plus léchés tels que «Amadeus» ou «Le cercle des poètes disparus».
Produits dérivés
On retrouve aussi Lucas et Spielberg aux manettes d’un phénomène apparu sur les écrans à cette période: les films à suite. «En fait, cette sérialité n’est pas nouvelle. Elle est presque contemporaine du cinéma, puisqu’elle remonte aux années 10 et 20.
Après l’apparition du parlant, elle se cantonne presque exclusivement à la production desdits B-movies», précise Achilleas Papakonstantis. Et le doctorant de reprendre: «La résurgence des pratiques sérielles dans les années 80 est consubstantielle à une nouvelle stratégie économique développée par les multinationales qui produisent ces longs métrages.»
Elles en font des films événements dont elles veulent pousser la rentabilité bien au-delà du cadre du grand écran en développant des produits dérivés. Les personnages envahissent ainsi les rayons des supermarchés, en figurines ou en héros d’un marché émergent: le jeu vidéo.
Quoi qu’il en soit, ces blockbusters doivent leur succès mondial aux possibilités d’interprétations multiples qu’ils offrent au public. «Aujourd’hui, il serait trop facile de les dénigrer comme de purs produits de divertissement. Il vaut mieux profiter de notre recul historique pour essayer d’analyser leurs discours dans toute leur complexité», conclut l’enseignant de l’UNIL.
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