Rencontre avec l'homme qui soufflait à l'oreille des voitures autonomes
A Genève, au siège de l'UNECE, le gourou onusien François Guichard, rédige «le permis de conduire que devront apprendre les véhicules autonomes».

Ce que les voitures autonomes doivent avoir dans la tête avant de se lancer sur la route se décide à Genève, dans une agence onusienne mal connue. Créée dans le chaos de l'après-guerre, la Commission économique pour l'Europe des Nations Unies – UNECE en anglais – intègre aujourd'hui le secrétariat général du Forum mondial de l'harmonisation des véhicules.
Convoquant des centaines d'experts entourés d'un nuage de lobbyistes, ses services orchestrent la rédaction des règles, normes et standards sur lesquelles se prononceront les Ministères de transports d'une cinquantaine de pays membres réunis tous les quatre mois au Palais des Nations.
C'est à Genève qu'ont été actées les normes internationales pour les sièges pour enfants, pour le freinage ABS ou l'antipatinage ESP – des systèmes devenus obligatoires. Ou qu'ont été mis sur pied les nouveaux tests de pollution mis en place après le scandale du «dieselgate». L'Europe, le Japon ou la Corée jouent totalement le jeu. Les États-Unis, fidèles à leur habitude, participent aux travaux tout en gardant leur autonomie, comme la Chine.
C'est dans ces bureaux hors du temps de l'ancienne Société des Nations qu'est actuellement tricoté le maillage sans fin de règles qui régissent l'autonomisation progressive des véhicules – un chantier aussi complexe que la mise au point des équipements leur permettant de «voir» et de «parler» entre eux.
Le point avec le gourou onusien des voitures indépendantes, François Guichard, ancien de Mercedes-Benz, responsable du dossier des véhicules autonomes au sein de cette agence de 220 collaborateurs.
Google, Volvo… la voiture autonome est prête, entendent sans cesse les visiteurs du Salon de l'auto. Où en est-on?
Pour l'instant, le premier niveau d'autonomie est acté: il concerne les véhicules qui se garent seuls, télécommandés par leur conducteur, une fonction offerte par BMW ou Mercedes depuis un an. Le deuxième niveau recouvre les véhicules pouvant suivre le flot de la circulation sur autoroute – en maintenant les distances jusqu'à 130 km/h; voire en changeant de file lorsque l'on met son clignotant, comme c'est le cas sur les Tesla. Sur ce front, qui implique que le conducteur garde les mains sur le volant – et demeure donc seul responsable –, tout est spécifié, normé et commercialisé sur le haut de gamme allemand, japonais ou américain.
Bon mais, autonome veut surtout dire lâcher le volant…
Tout devient beaucoup plus complexe: en cas de problème, le conducteur doit être alerté et pouvoir reprendre le contrôle en quelques secondes – ce qui, à 130 km/h, permet de parcourir 200 mètres. Nous ne sommes pas naïfs. Dès que le conducteur pourra lâcher la main du volant, il ne fera qu'une chose: consulter son téléphone. Notre travail actuel consiste, par exemple, à définir si cette activité «secondaire» doit obligatoirement passer par les écrans de bord. À ce stade, rien n'est encore arrêté, mais Audi a promis un tel niveau d'autonomie avant la fin de l'année. L'arsenal réglementaire n'étant pas finalisé, cela imposera à la marque d'obtenir des exemptions – quitte à remettre ensuite les véhicules à niveau. Bien que la technologie soit prête, elle ne va donc pas encore entrer immédiatement en production de masse.
Et la sieste sur l'autoroute?
Patience. Le quatrième niveau, annoncé pour 2021, consiste à conduire son véhicule normalement puis, lorsque l'on entre sur l'autoroute, à indiquer à quel échangeur on souhaite sortir et laisser faire. Il n'est plus question ici d'exiger du conducteur une réaction en trois secondes. Chacun fait ses expériences. Volvo, par exemple, choisit de doublonner les systèmes de direction et de freinage. Cette phase doit normalement aboutir au dernier niveau – la voiture intégralement pilotée par ordinateur.
Est-elle prête à se libérer?
Les prototypes existent et les Californiens vont sortir ces prochains jours les règles qui leur permettront d'insérer ces véhicules dans le trafic. Certains groupes d'intérêt assurent qu'il faut conserver un volant, la filiale de Google, Waymo, maintient que ce n'est plus la peine… De notre côté, nous sommes en train d'écrire le permis de conduire pour ces véhicules autonomes. Ironiquement, le plus dur n'est pas de définir comment un véhicule doit gérer les situations d'urgence – par exemple la destruction d'un radar de vision périphérique – mais comment appréhender une réaction en chaîne déclenchée par un imprévu anecdotique intervenant quand tout se passe bien. Un simple reflet, alors que la voiture file à 130 km/h sur une autoroute vide, peut semer le chaos…
Mais toutes ces règles n'ont-elles pas déjà été écrites pour le transport aérien?
C'est bien sûr une source d'inspiration. Mais, au risque de vous surprendre, leur tâche apparaît plus simple. Un avion doit gérer bien moins de trafic et, surtout, il dispose de plus d'espace et d'une troisième dimension pour prendre le large en cas d'alerte.
Les constructeurs vous mettent-ils la pression?
En réalité, la pression est davantage exercée par les États, auxquels on a vendu la voiture autonome en termes de sécurité, de réduction de la pollution… Et depuis que Google a dit que la voiture totalement autonome serait prête dans quatre ans, ce sont les marques automobiles qui sont véritablement sous pression.
Où en est la gestion des réseaux de téléphonie mobile 5G, qui piloteront ces flottes de véhicules autonomes?
Ce problème était au cœur du symposium organisé jeudi par l'UNECE avec l'ITU (ndlr: Organisation internationale des télécommunications basée à Genève). Tout est géré au niveau national, chaque opérateur téléphonique y voyant un nouveau marché lui permettant de s'extirper de communications aux marges déclinantes: ils se posent en exploitants d'une infrastructure cruciale pilotant un réseau de machines connectées. Les États-Unis planchent sur ce chantier réglementaire depuis déjà dix ans.
En Europe, en revanche, le dossier, appelé «systèmes de transport intelligents collaboratifs», semble avancer sur une base technique différente: celle du wi-fi. Là non plus, il ne faut pas être naïf. Le mot cybersécurité est sur toutes les lèvres, mais lorsque les véhicules sont connectés, ils fournissent surtout des tonnes de données que tout le monde veut monétiser. La tentation reste grande de transformer la voiture en un gigantesque smartphone que l'on pourra inonder de publicité. Ou en mouchard omnipotent destiné à servir les assureurs.
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