Ukrainiens et Russes, fuyant les uns les bombardements, les autres les foudres du Kremlin, sont pour la plupart jeunes, éduqués, et ardemment désireux de s’insérer dans leurs pays d’asile et y travailler pour reconstruire leur vie. La «racaille» de Poutine, ces «moucherons» que, vitupère-t-il, «il suffit de recracher», hé bien ils représentent, pour les pays qui les accueillent à bras ouverts, une immigration providentielle.
N’y voyez ni cynisme ni opportunisme. L’accueil est ici spontané, chaleureux et loin, dans l’idée des accueillants, de tirer quelque parti que ce soit de ces foules chassées de chez elles par la brutalité de la guerre.
C’est dans le même état d’esprit qu’on avait recueilli les familles hongroises en 1956, et douze ans plus tard celles fuyant l’assaut sur Prague des troupes du Pacte de Varsovie.
Regardez aujourd’hui autour de vous: combien d’ingénieurs, de médecins, de fonctionnaires, de travailleurs de toutes professions portent des noms révélateurs d’une origine tchèque, slovaque ou magyare.
L’intégration a donc réussi à une échelle que l’on n’aurait pas imaginée, et contribué à la prospérité bien au-delà de ce qu’elle a pu, initialement, coûter en termes d’infrastructures et de charges sociales.
«Ils représentent, pour les pays qui les accueillent à bras ouverts, une immigration providentielle.»
On se rappelle, plus récemment, le «Wir schaffen das» lancé un beau jour d’août 2015 par une chancelière allemande accusée d’avoir ouvert grand les portes de la République fédérale à 1 million de réfugiés afghans, syriens et autres rescapés des rives moyen-orientales. Or moins d’une décennie plus tard, plus de la moitié d’entre eux, qu’on disait inassimilables et donc indéfiniment à charge, ont appris la langue et trouvé un emploi.
Durant cette même période, la croissance de l’économie allemande a presque systématiquement dépassé celle de la France, pourtant nettement moins ouverte à l’immigration, moins tributaire aussi, c’est vrai, d’un afflux de main-d’œuvre, puisque moins affectée par le vieillissement.
À l’inverse, faut-il hélas le relever, l’hémorragie de forces vives que subissent par la force des choses la population russe dans ses franges les plus précieuses comme celle, terrorisée, massacrée, arrachée aux siens, des villes ukrainiennes bombardées, cette perte douloureuse d’hommes et de femmes jeunes échappant à l’enfer pèsera lourdement lorsqu’il s’agira de reconstruire, pierre par pierre, les milliards de logements, d’écoles, d’hôpitaux, de ponts et de routes anéantis par les bombardements.
Et en Russie même, le coût des sanctions, mesuré à un recul du PIB qui ramènera le pays à une bonne vingtaine d’années en arrière, ne s’effacera pas d’un coup de baguette magique. Il lui manquera aussi, pour se faire oublier, l’apport de ces talents et savoirs emportés par l’exode pour, peut-être, ne jamais revenir.
Il faudrait, a lancé le premier ministre polonais, un plan Marshall pour l’Ukraine. L’ordre de grandeur sans doute y est. Mais au-delà de l’effort financier, c’est le capital humain qui comptera. Or, à la différence des années 1947 et suivantes, quand avait surgi un immense espoir, celles qui nous attendent risquent d’être marquées à jamais par le désarroi et la méfiance de peuples qu’on croyait frères, et que l’on a trompés.
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Chronique économique – Réfugiés de l’Est, une «racaille» providentielle?