Recyclage d'objets vintage à Saint-Gervais
Le trio Büchi/Pohlhammer/Mifsud résiste par le jeu à l'obsolescence programmée. Sans le moindre accessoire, leur «Collection» ressuscite des pans entiers de notre passé. Matériel, oui, mais pas que!

Dégustation collective de madeleines de Proust. Sans l'aide ni de thé, ni de gâteaux, ni de quoi que ce soit sinon trois fauteuils susceptibles d'accueillir le séant de trois immenses talents en costume noir.
Vous connaissez à coup sûr l'un d'entre eux au moins. Le Marseillais Pierre Mifsud, qui, non content d'irradier de sa grâce inimitable la scène locale depuis sa sortie de l'École Serge Martin en 1988, explose littéralement depuis six ans qu'il colporte dans le monde francophone ses «Conférences de choses», coécrites avec le Lausannois François Gremaud. C'est du reste au sein de la 2b company fondée par ce dernier – tout récent lauréat d'un Prix suisse de théâtre 2019 – que Mifsud s'est acoquiné avec ses partenaires Léa Pohlhammer, prodige issu de Meyrin, et Catherine Büchi, de souche fribourgeoise. Leur collectif BPM a lancé en 2013 «La Collection», une série – extensible – de courtes pièces de trente minutes chacune consacrées à ces objets périmés, dépassés, caducs, désuets, révolus, démodés, en un mot obsolètes, qui excitent furieusement la mémoire de qui les a connus. Fidèles au credo maison, ces formes légères n'exigent aucun décor ou accessoire (juste un peu de son et de lumière), peuvent se jouer partout au pied levé, puisqu'elles ne reposent que sur le texte et le jeu des comédiens. Faut-il qu'ils soient bons!
Une série à rallonges
À ce jour, le catalogue contient trois entrées. La première par ordre chronologique, «La K7», fera l'objet d'une reprise au Théâtre Saint-Gervais en juin prochain. Les deux épisodes créés ce jeudi, «Le Vélomoteur» et «Le Téléphone à cadran rotatif», s'interpénètrent joyeusement encore une grosse semaine. Quant à «La Machine à écrire», «Le théâtre à papa» et autres «Service à asperges», on les attend le cœur battant.
Il faut dire que l'expérience, a fortiori une fois qu'elle sera parfaitement rodée, a de quoi réjouir à la ronde – à la manière, goûtée par la nébuleuse Gremaud, d'un roman de Georges Pérec ou d'un poème de Francis Ponge. Car les évocations d'ustensiles tombés dans l'oubli ne visent pas à la stricte reconstitution. Sur la base de souvenirs personnels comme de documents d'archives excavés de la télévision, du cinéma ou de la littérature, la fouille archéologique se double de digressions haletantes. Comme si la chose physique renfermait son anecdote en creux. Sur une selle de Maxi-Puch, dans le câble entortillé d'un combiné, ce sont des pans de vie passée – à eux, à vous, à moi – qui se racontent. Mieux: les histoires s'enchevêtrent, se chevauchent, résonnent entre elles comme des gags à rallonges. Observer le concret, c'est sillonner l'imaginaire.
Ricochets à l'infini
Ainsi quand le trio entrelace ses témoignages, il y aura toujours un écho pour venir y rebondir. En ado docile et complexé, privé de Ciao sur ordre parental, Mifsud n'en mène pas large devant ces grandes filles rebelles qui draguent en mobylette. Tandis que les bolides à deux roues mèneront les unes à l'amour d'un Robert Crettenand, le troisième subira à vélo les humiliations d'un motocycliste en t-shirt «Fruit of the Loom». La génération des quinquas compatira.
Plus tard, autour du vieux téléphone en bakélite, fusionneront non seulement le récit à haut débit d'une Colombienne échouée à Cornavin, mais des citations de deux films hollywoodiens ayant alimenté sa mythologie: «L'impossible Monsieur Bébé», avec Katharine Hepburn, et «Terreur sur la ligne», qui plonge dans l'effroi une jeune baby-sitter du nom de Jill. Bientôt, les sonneries traversent les cloisons séparant les récits. Des fragments de l'épisode précédent viendront même ricocher sur les écouteurs. Toutes ces fritures sur la ligne empêchent l'exercice de tomber dans la nostalgie conservatrice. Au contraire, les spectateurs de tous âges jubilent de l'inextinguible fécondité d'un art théâtral réduit à son degré zéro. Observer la scène, c'est partir dans tous les sens. Vroum!
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«La Collection» Théâtre Saint-Gervais, 022 908 20 00, www.saintgervais.ch. «Le Vélomoteur» et «Le Téléphone à cadran rotatif» jusqu'au 12 mai; «La K7» suivie d'une autre pièce du collectif Gremaud/Gurtner/Bovay («Les Potiers») du 11 au 16 juin.
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