Critique du concert zurichoisRammstein, l’éternel retour des surhommes de métal
Trois ans presque jour pour jour après son dernier passage en Suisse, le commando allemand montrait ses muscles à Zurich. Pour ce premier open air postpandémique, l’émotion était ailleurs.

Il aura fallu attendre moins longtemps que Top Gun pour vivre le retour du déluge de fer et de feu que Rammstein maîtrise mieux que quiconque. Trois années ont passé, et les revoici pour allumer les tuyères du Letzigrung, alors qu’ils embrasaient les réacteurs du Stade de Suisse bernois le 6 juin 2019. «Boum!» donc. La chanson d’ouverture a changé («Armee der Tristen», extraite du nouvel album que le sextette a eu le temps de composer et de sortir depuis) mais pas le décor au rétrofuturisme germanique, ni la démesure pyrotechnique, ni la taille de la foule vêtue de t-shirts Rammstein, dont la masse anthracite serpentait dans les rues de Zurich dès l’arrivée en gare.

Hormis la set list, c’est ainsi une quasi redite de son concert de 2019 que la plus grosse formation allemande de l’histoire (désolé Scorpions) a donné lundi 30 mai. Pas grave: les fans ont rempli le stade, ils feront de même le lendemain pour un deuxième round, soit un total de 94’000 spectateurs, exploit invraisemblable pour un concert de metal extrême. Dans la foule, nulle insatisfaction. Parce que le groupe a quelque excuse: une pandémie mondiale est passée par là et l’a mis sous cloche à l’instar de tous les artistes, petits ou gros. Et parce qu’un show de Rammstein, même recuit (au lance-flamme), reste un show ébouriffant, qu’on le savoure, qu’on le découvre ou qu’on le subisse. Dans tous les cas, comme disait le Reichsminister Ludwig von Apfelstrudel au souvenir du Munich d’avant-guerre: «on ne regrette pas sa soirée!»
47’000 fans à l’unisson
Porté par une batterie fracassante et l’attaque étouffée des deux guitares, le son est absolument phénoménal. Sur leur scène ignifugée, les six vont et viennent, alternant l’interprétation sans fard de leurs hymnes taillés au scalpel et la scénographie sophistiquée de leurs chansons les plus expressives: le landau cracheur de miasmes dont les noires bacilles, soufflées à tous les coins du stade, en obscurcissent le ciel; le marmiton fou qui passe au lance-flamme le pianiste planqué dans sa casserole; la croisière en radeaux pneumatiques portés sur les bras de la foule, au son d’un piano à l’agonie… Et la scène qui explose, encore et toujours, dans les flammes et la fumée.

Certains prendront au premier degré cet éloge de la puissance, comme une mise en musique de l’Uebermensch nietzschéen qui, depuis Wagner, séduit les amoureux de l’art monumental. Mieux vaut y savourer, dans toute sa dérision et sa démesure, le théâtre du grotesque que Rammstein orchestre magistralement, tendant un miroir déformé vers la société, surjouant la pose guerrière et la frappe virile afin de mieux en pointer les tares. Chantant (en allemand) comme s’il racontait un conte ou soufflait une berceuse, Till Lindemann et sa grosse voix font peur autant qu’ils rassurent…
Pourtant, plus que la démonstration de force déployée sur la scène, c’est bien la vue de 47’000 personnes rassemblées devant elle qui donnait des frissons. Dernier grand open air du monde «d’avant», ce show de Rammstein fut le premier de celui «d’après»… à supposer qu’il existe. Les fans avaient retrouvé toute leur ferveur, les stands marchandising étaient alignés au cordeau, ceux à bière et saucisse également. Le masque n’était qu’un vague souvenir porté par quelques inquiets. Les explosions sur scène, parfois, faisaient écho à une guerre aux portes de l’Europe. Un drapeau jaune et bleu flotta quelques instants sur la foule, avant qu’elle ne l’aspire.
Nietzsche, encore lui, avait théorisé l’idée d’un éternel retour, condamnant l’homme à vivre infiniment le même spectacle: comme la voix de Till Lindemann, cette pensée, saisie dans la mécanique robotique de Rammstein, avait quelque chose de rassurant et de terrifiant.
ma 31 mai, Zurich Letzigrund (complet)
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