La liste des déçus de la «cryptomania» s’allonge, parallèle à celle des gagnants putatifs de ce drôle de jeu en quoi consiste l’entrée, par l’une ou l’autre des portes ouvertes à la curiosité ou à la convoitise, dans le monde excitant des cryptomonnaies.
Comme dans toute chaîne de Ponzi, celle des partisans enflammés de ces nouveaux instruments financiers numériques sortis de rien repose en effet sur la croyance, chez les acheteurs peu avisés, qu’il y a là moyen de gagner beaucoup et rapidement.
L’excitation en cause n’est pas nouvelle. Toute percée technologique, de l’invention de la machine à vapeur à celle des semi-conducteurs, s’est toujours accompagnée d’un foisonnement d’initiatives plus ou moins farfelues attirant des investisseurs prêts à courir le risque de tout perdre en contrepartie de la probabilité infime de tirer le gros lot. Ce n’est qu’au terme d’une période généralement longue et frustrante de tâtonnements autour de l’idée centrale que s’installe progressivement une sélection raisonnable et stable de solutions réellement durables.
La monnaie numérique, sous sa forme décentralisée et anonyme, donc cryptique, n’a pas encore atteint ce premier échelon de maturité. Dopée par son adossement à l’outil magique de la blockchain, elle a littéralement explosé sur des marchés spontanément apparus au fil des engouements pour le bitcoin, l’ethereum et la multitude d’autres cryptomonnaies, avant de retomber parfois de presque toute sa hauteur. Faute, évidemment, de parachute, puisque, comme le rappelait la semaine dernière Lori Heinel, cheffe des investissements de State Street Global Advisors, l’un des plus gros gestionnaires d’actifs au monde, «les cryptomonnaies n’ont aucune valeur intrinsèque; elles ne valent que le prix que l’on est prêt à offrir» («Im Grunde kauft man also einen Vermögenswert, der nur so gut ist wie das nächste Angebot» («NZZ» du 10 juin).
Et la dégringolade est parfois spectaculaire: le dernier cours du bitcoin (27’228 fr. au 12 juin) est inférieur de moitié à celui du 28 mars, lui-même loin de son maximum historique du 9 novembre 2021 (61’056 fr.).
«Toute percée technologique s’est toujours accompagnée d’initiatives plus ou moins farfelues attirant des investisseurs prêts à tout perdre en contrepartie de la probabilité infime de tirer le gros lot.»
Dans sa version plus académique, l’approche du phénomène des monnaies numériques s’intéresse surtout aux risques qu’elles font peser sur le système financier dans son ensemble, et en souligne les limites, bien plus étroites qu’on ne l’imagine. Au lieu que, à l’instar de la finance classique où la généralisation d’un instrument le rend par économie d’échelle à la fois plus efficace et moins cher, la croissance du volume des échanges en l’une quelconque des cryptomonnaies rend au fur et à mesure chaque transaction plus lente et plus coûteuse en énergie. Ce qui explique, d’ailleurs, pourquoi il s’en crée constamment de nouvelles, comme l’a fort bien démontré l’un des intervenants (nommément Christopher J. Waller, membre du board de la Réserve fédérale américaine) à la conférence sur les cryptoactifs organisée récemment par la BNS et le CIF («Center for Innovative Finance») de l’Université de Bâle.
On se penche dans ce genre de cénacle sur les multiples aspects de l’évolution d’une finance décentralisée que l’on peine encore à cerner, pour bien sûr mieux l’encadrer afin, dit-on, de protéger l’investisseur lambda par définition mal informé, mais aussi et peut-être surtout pour préparer le terrain à l’avènement des monnaies numériques de banque centrale, qui remettront tout ce petit monde dans le droit chemin de la régulation financière.
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