Des rues portent leurs noms, leurs bustes trônent à l’université. Ils font partie de la mémoire collective, sans que la plupart des Genevois, sinon de manière assez superficielle, connaissent en profondeur leur œuvre. Carl Vogt? Le père de l’université moderne, célébré pour avoir dépoussiéré l’Académie. Émile Yung? Le disciple de Vogt, un biologiste qui a fait avancer les connaissances sur les invertébrés.

Ces illustres personnages ont contribué au rayonnement de Genève, mais ils ont aussi une face sombre, peu mise en exergue. Évoluant à une époque où l’Europe coloniale était convaincue de sa supériorité, ces éminents savants ont participé de manière directe à la propagation des thèses racialistes alors en vogue à travers le continent. Et il y en a d’autres…

«La quête, légitime, de justice mémorielle s’annonce difficile. L’espace public, avec son langage symbolique, est un miroir des rapports de pouvoir.»

Faut-il réparer ces oublis de la célébration mémorielle? La question est sensible, le débat potentiellement explosif. Pour l’heure assez confidentiel, il pourrait prendre de l’ampleur dans la République. Une motion, déposée l’an dernier dans le contexte du mouvement «Black Lives Matter», réclame un inventaire des lieux lié à des patronymes de personnalités ayant soutenu le colonialisme, la traite négrière ou le racisme. La Ville, elle, s’efforce de porter le débat sur la place publique.

Pas question de déboulonner des statues, mais peut-être de compléter une information publique lacunaire. Mais la quête, légitime, de justice mémorielle s’annonce difficile. L’espace public, avec son langage symbolique, est un miroir des rapports de pouvoir. On se souvient, l’an dernier, des cris d’orfraie à la suite de la décision de la Ville de débaptiser quelques noms de rue au profit de figures historiques féminines. Il faut souhaiter bonne chance à celles et ceux qui veulent s’attaquer au tabou de l’héritage colonial.

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