
La lecture des textes ci-dessous reflète la complète divergence de vues de leurs auteurs sur la nouvelle réforme du Cycle d’orientation. Le 15 mai prochain, la balle sera dans le camp du peuple qui vote. À la question «Acceptez-vous la loi modifiant la loi sur l’instruction publique (LIP) du 12 novembre 2021?», il lui faudra répondre par oui ou par non, choix important pour l’avenir scolaire des jeunes.
Vers la réduction des inégalités sociales
Sous réserve qu’elle soit approuvée en votation le 15 mai prochain, la réforme du Cycle d’orientation (CO22) offrira une meilleure transition entre l’école primaire (hétérogène) et le secondaire II, organisé en filières distinctes. Contrairement aux attentes, la réforme de 2011 (nCO) n’a pas réduit les inégalités.
Avec le nCO, on a vu apparaître des phénomènes de ghettoïsation. Les catégories socioprofessionnelles défavorisées sont surreprésentées dans les regroupements les moins exigeants et n’ont pas accès à une mobilité sociale ascendante. Les attentes fondamentales ne sont pas atteintes à la fin de la 11e année. Pour remédier à cela, la réforme vise à améliorer les compétences des élèves, notamment des plus fragiles. Elle entend faciliter leur orientation en fin d’école obligatoire, en particulier vers la filière professionnelle duale; enfin, elle a pour but de répondre aux besoins de tous les élèves, qu’ils aient des difficultés ou de la facilité.
La réforme s’intègre dans une évolution romande qui prévoit l’organisation de l’enseignement secondaire en logique mixte avec des disciplines à niveau permettant à tous les élèves d’accéder aux mêmes contenus. Concrètement, en 9e année, les élèves seront regroupés au sein d’une même classe, mais avec des niveaux dans deux disciplines (mixité). En 10e année, il est prévu quatre disciplines à niveau et – comme aujourd’hui – l’introduction d’options. En 11e année, deux voies seront possibles: une voie maturité préparant aux filières du secondaire II aboutissant à la maturité gymnasiale ou professionnelle, et une voie certificat allant aux filières du secondaire II préparant aux CFC ou aux certificats de l’ECG (accès possible aux maturités professionnelles post-CFC et aux maturités spécialisées post-ECG). Un parcours accéléré sur deux ans pourra être proposé aux élèves avec de très grandes facilités. Le dispositif sport-art-études restera possible pour les jeunes ayant des talents artistiques ou sportifs.
La réforme permettra d’éviter le regroupement des élèves les plus faibles dans une même classe. Elle améliorera le climat scolaire en réduisant les inégalités sociales. Le renforcement des connaissances et compétences des élèves les plus faibles aura pour effet d’améliorer l’image de soi et de faciliter l’accès à un savoir identique pour toutes et tous. La réforme découle d’un travail collaboratif de l’ensemble des partenaires du Cycle d’orientation. Le projet est bien accueilli par les enseignants et les parents d’élèves.
Ceux-ci estiment toutefois que la réussite de la réforme est conditionnée à plusieurs facteurs: mise à disposition des moyens financiers adéquats, maîtrise des effectifs par classe et formation et accompagnement au changement des enseignants. Pour faciliter la transition, un travail de fond a été effectué sur le climat scolaire et la posture des élèves, ainsi que sur le geste professionnel des enseignants.
Cette réforme est impraticable
Les trois années du Cycle d’orientation composent une période charnière du parcours de nos jeunes. Alors que le constat d’échec pour certains élèves n’est pas contesté, CO22, réforme dogmatique, propose de déconstruire le système actuel aux dépens des enfants qu’elle souhaiterait intégrer.
Malgré les classes hétérogènes et la différenciation proposées à l’école primaire, trop de jeunes arrivent au CO en échec scolaire. CO22 souhaite prolonger ce système deux ans de plus au lieu de questionner les causes de son échec.
Les jeunes en difficulté sont confrontés à des modalités d’enseignement inadaptées. Cette réforme continuera à montrer du doigt leurs difficultés en remplaçant la «différenciation des classes» par une «différenciation dans les classes». L’adaptation des moyens selon les profils des jeunes sera, elle, abandonnée.
Au lieu de valoriser les voies non académiques, CO22 va littéralement noyer ceux qui souhaitent suivre une filière professionnelle. Ils se retrouveront dans des classes composées de 77% d’élèves en voie gymnasiale, celle-ci devenant la norme.
Aucun questionnement n’a été mené sur les raisons qui freinent l’apprentissage (2x moins qu’en moyenne suisse). Nous aurions pu, par exemple, engager une discussion avec les enseignants sur leur profil. Est-il judicieux pour des élèves dans des voies certificatives de n’avoir comme interlocuteurs que des universitaires titulaires d’un double master?
Cette réforme est en outre impraticable. CO22 promet de baisser les effectifs moyens de 19,5 à 18,3 élèves par classe. Quid du problème de surcharge des bâtiments? La prochaine rentrée verra des pavillons temporaires aux CO de la Florence, des Voirets et du Vuillonnex. Comment accueillir 38 classes additionnelles, soit pratiquement un établissement complet, sans déplacer les élèves?
Pour une réforme avec tant d’implications, le DIP n’a pas estimé utile de mener un projet pilote qui aurait permis d’identifier les besoins, les écueils et les ajustements à réaliser avant un déploiement à grande échelle.
Le passage au CO est crucial dans le parcours des élèves et ne doit pas faire les frais d’un nouveau bricolage. Malheureusement, le DIP nous a montré ces dernières années que lancer des projets dans la précipitation ne lui posait aucun problème, même lorsque cela se fait au détriment des enfants.
Nous devons prendre le temps de mettre sur pied un modèle d’enseignement basé sur les savoirs pédagogiques actuels, qui permette à chaque élève de développer ses compétences, valorise les voix non gymnasiales, implique un minimum de consultation avec les chercheurs de l’Université et, avant toute chose, soit testé avant un déploiement général.
Notre système de formation est trop précieux pour être modifié sur des dogmes, dans la précipitation. Non à cette réforme inaboutie qui va démanteler le CO. Non à une expérimentation qui va renforcer les ruptures scolaires!
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Face-à-face – Quel Cycle d’orientation?