Hommage à un géantJean-Louis Trintignant a flirté toute sa vie avec la mort
Jeune, le comédien défiait la vitesse sur les circuits automobiles. La Grande Faucheuse n’a jamais quitté son rétro. Lui laisse au moins quatre films pour l’éternité.
«Et Dieu créa la femme» et Trintignant inventent Bardot

En 1956, Brigitte Bardot vampe la planète et son mari Roger Vadim. Le Pygmalion lui invente le film parfait, «Et Dieu créa la femme», avec Jean-Louis Trintignant pour partenaire. Ce dernier trouve que la blonde est «une petite conne», la bourgeoise capricieuse déclare: «Il est tarte!» Et ça ne rate pas: «À force d’être naturelle dans mes scènes d’amour avec Jean-Louis, je finis tout naturellement par éprouver pour lui une passion dévorante», raconte «B.B.» dans ses mémoires. À l’écran, entre Éros et Thanatos dansant le mambo, les amants flambent à la vie à la mort dans l’œilleton du mari éconduit.
«Un homme, une femme» et Lelouch révèlent Trintignant

En 1966, miracle d’une musique, d’un couple, d’une chamade amoureuse qui séduira plus d’un milliard de spectateurs dans le monde… Les chabadabadas d’«Un homme et une femme» ruissellent au bord de l’Atlantique, déjà mouillés d’embruns chagrins. L’amant ensorceleur, ensorcelé, la femme mariée, bombe de séduction, reviendront dans une version vieillie de vingt ans, en 1986, puis en 2000, dans «Les plus belles années d’une vie». Douceur de la fiction et nostalgie des souvenirs s’entrelacent dans une maison de repos où Trintignant se meurt, visité par Anouk Aimée. Un testament alerte, beau à chialer hier, et encore aujourd’hui.
«Ceux qui m’aiment prendront le train» avec le fantôme de Chéreau

En 1998, Jean-Louis Trintignant, alors un géant confirmé qui prend ses distances avec le cinéma, le théâtre, rallie les auteurs depuis ses retraites, ne joue presque qu’une voix off dans «Ceux qui m’aiment prendront le train», signé Patrice Chéreau, autre colosse blessé des arts dramatiques. Et il en faut, de la complicité, pour se vautrer dans les confidences testamentaires, les trahisons, les manques, les ambitions coupables. L’esprit de troupe du théâtre des Amandiers panse à peine les écorchures d’ego. Le gourou soupire, caresse un visage comme une étreinte macabre mais un baiser assez caustique pour en rire noir.
«Amour» ou la célébration des noces funèbres

En 2012, Jean-Louis Trintignant sort de sa retraite cinématographique. Depuis 2003 et la perte tragique de sa fille Marie, ce père fusionnel dit être mort avec elle, ne plus faire un pas sans elle. Alors, aller incarner des amoureux agonisant devant la caméra du cinéaste autrichien expressionniste Michael Haneke, la belle affaire! Lui, en une centaine de films, presque autant d’années, a tout vu, tout vécu, tout perdu dans son flirt avec les fantômes. Il se trouvait «très, très mauvais à ses débuts, confie-t-il alors au «Monde». Mais je sentais des tas de choses en moi qui bouillonnaient, je me disais: peut-être, un jour, ça sortira.» Dans «Amour», le flot emporte vers l’au-delà.
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