Théâtre et ruralitéQuand la scène éclaire la difficile cohabitation avec le règne animal
Coproduit par Vidy-Lausanne et à l’affiche de La Bâtie, le spectacle de ShanjuLab interroge par sa grâce et par ses insolubles contradictions.

Si le paradis des animaux existait, il ressemblerait à ce qu’on trouve dans une poche de terre miraculeuse, placée dans les contrebas de Gimel. En y arrivant à la tombée du jour, le spectateur y découvre un cadre apaisé: dans un terrain jouxtant l’écurie, voilà une caravane par ici, des braséros placés par là et des lumières douces pour éclairer des tables basses éparpillées partout. Et puis il y a eux, bipèdes et quadrupèdes représentants d’un règne que l’homme soumet depuis des millénaires et qui paraissent avoir retrouvé en cette terre vaudoise une dignité qui saisit. Chiens et chevaux, boucs et chèvres, coqs et cochons, moutons et poules se dévoilent sans entraves ou presque. Cette histoire libérée, on la doit à ShanjuLab, qui a posé ici ses affaires en 2017 pour prolonger un projet unique, fait d’ateliers destinés aux enfants et aux adolescents, dans une sorte d’école qui croise cirque et théâtre.
Chorégraphie sans hommes
Au fil des saisons, les histoires scéniques issues de ce pôle, toujours étroitement liées aux bêtes, ont été suivies par un public restreint et fidèle. Cette année, cependant, la dernière production – «Perspectives – Un ensemble animal» – a pris une tout autre dimension: le Théâtre de Vidy en est le coproducteur tandis que La Bâtie l’a inscrit à son affiche deux soirs durant. Une attention méritée? Oui, quasi entièrement.
Car le spectacle dévoile par endroits une grâce certaine. On en cueille les lignes au début, par exemple. Une porte boisée s’ouvre sur les côtés du manège transformé en scène. Un cône de lumière se prolonge sur le sable, et après un instant d’hésitation, des chèvres font une entrée timide, un cochon aussi, qui sera suivi dans ses pas par un chien border collie lui tournant sans cesse autour. Une chorégraphie prend ainsi forme, qui surprend en ce qu’elle se produit en l’absence de toute intervention humaine.
Là comme ailleurs, dans l’épilogue – une douzaine d’équidés, immobiles et silencieux, dans l’attente qu’une porte s’ouvre pour s’en aller – la scène conforte ce que nous disent les textes projetés au loin, qu’on pourrait rattacher à la sensibilité antispéciste. La place de l’homme dans la relation aux bêtes est sans cesse questionnée. La réponse? On la cueille de manière indirecte: les animaux de Gimel et d’ailleurs peuvent parfois faire sans nous. Hélas, d’autres pans du spectacle trébuchent sur ce point crucial. Ceux où le geste de l’animal est induit par la promesse d’une récompense alimentaire. Une faille s’ouvre alors avec cette encombrante main de l’homme qui manipule et commande. Des contradictions surgissent, auxquelles on n’échappe pas en quittant ce beau paradis de Gimel.
«Perspectives – Un ensemble animal», jusqu’au 27 sept., ShanjouLab à Gimel. Rens. www.vidy.ch
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