L’hôtel de l’annéeQuand Ascona est aussi belle qu’autrefois
Élu Hôtel de l’année par la «SonntagsZeitung», l’Art Hotel Riposo est l’œuvre de la famille Studer qui, sans investisseur ni mécène, a doté Ascona d’un bijou unique.

Le Verbano de la via Borgho à Ascona n’était pas un café comme les autres. C’était un melting-pot, comme on n’en avait encore jamais vu, et qu’on ne reverrait plus. Pour une raison ou une autre, attirées comme par magie par le village pittoresque du bord du lac Majeur, toutes sortes de personnalités hautes en couleur débarquaient au Verbano: millionnaires dépressifs, collectionneurs fortunés, morphinomanes, médecins de génie, théosophes, anarchistes, écrivains, poètes, sculpteurs, peintres, astrologues, guérisseurs, gentilshommes de fortune, musiciens, arnaqueurs de haut vol, escrocs au mariage, et tout ce que l’on peut imaginer comme humanité.
Tous aimaient Ascona, mais surtout, tous aimaient le Verbano. Parmi les habitués: Erich Maria Remarque, mondialement connu grâce à son grandiose roman sur la Première Guerre mondiale «A l’ouest rien de nouveau»; l’écrivain possédait, depuis 1931, une villa à Ronco sopra Ascona, l’endroit même où il fut enterré en 1970. Une tombe dans laquelle il se retournerait sans doute s’il voyait la dernière adaptation cinématographique de son best-seller, dotée quatre oscars…
Il était une fois le Verbano
Dans son épopée «Ascona – Geschichte des seltsamsten Dorfes der Welt» (Ascona – Histoire du village le plus curieux du monde, œuvre non traduite), l’écrivain allemand Curt Riess raconte la cohue que provoquait chaque apparition de Remarque au Verbano, et combien celui-ci insistait pour «mettre des verres ou même des bouteilles de cognac dans la main des autres clients».
À l’instar de nombreux intellectuels, Remarque avait quitté l’Allemagne pour se rendre à Ascona après l’arrivée des nazis au pouvoir. Le village au bord du lac Majeur l’accueillit de la même manière qu’il avait reçu d’autres personnalités comme Max Emden, le roi allemand des grands magasins et propriétaire des îles de Brissago, l’énigmatique baron von der Heydt propriétaire, quant à lui, du Monte Verità, le biographe de Bismarck Emil Ludwig, l’Aga Khan, etc.
En réalité, la véritable attraction du Verbano, par-delà même les frontières du Tessin, ce n’était ni la clientèle ni la nouvelle machine à café arrivée de Milan, c’était Fede. Née à l’étage au-dessus du café, Fede était non seulement ravissante, mais intelligente et pleine d’esprit, et donnait à chacun l’impression qu’elle n’attendait que lui. Fede se débrouillait dans toutes les langues, y compris le Hongrois. Et quand un mot lui manquait, elle savait l’inventer.
Grâce à ses pourboires de serveuse, elle gagnait bien plus que le propriétaire du Verbano. Tout le monde la connaissait, tout le monde l’aimait, et tout le monde se demandait qui, parmi la légion de ses admirateurs, serait l’élu de son cœur. Le bienheureux, et cela ébranla Ascona jusque dans ses fondations, fut un golfeur professionnel américain du nom de James Wilson.
Le jour du mariage, tout le village s’est rendu à la via Borgho. Les magasins, la banque et la poste sont restés fermés. «Une mer de fleurs fut déversée sur la mariée, les larmes coulèrent à flots, et puis, elle fut arrachée au village», écrit Riess. C’est ainsi que Fede, qui n’était jamais allée au-delà de la via Borgho, partit pour Houston au Texas.
Le Verbano entamera son lent déclin, lorsqu’en 1939 Remarque quitte le Tessin pour s’installer lui aussi aux États-Unis. En 1955, l’écrivain revient à Ronco pour se marier avec l’actrice américaine Paulette Goddard, l’ex-épouse de Charlie Chaplin. Pourtant, au Verbano, on ne le revoit pas. C’est cette même année, qu’à quelques jets de pierre de là, éclôt quelque chose voué à devenir aussi mythique que le Verbano…
Il était une vieille auberge
Dans une ruelle latérale de la via Borgho, la famille Studer, de Winterthour, acquiert alors le seul immeuble à vendre: une auberge dans un état lamentable et dans laquelle aucun client n’a mis les pieds depuis une éternité. Les premières années, les Studer travaillent dur et se maintiennent à flot. Puis le fils Ruedi épouse la secrétaire Irene. Tous deux, œuvrant toujours avec la même ténacité, réinjectent chaque franc gagné dans l’hôtel jusqu’à ce que, soudain, le Riposo s’impose comme l’un des plus beaux trois étoiles du pays.
Voilà maintenant une décennie que la troisième génération est aux affaires. Enfants, Olivia et son frère Lorenzo, de trois ans son cadet, passaient beaucoup de temps à l’hôtel avec les clients. Et, quand leur mère, stressée par les préparatifs d’une nouvelle saison, ne trouvait pas le temps de cuisiner pour eux, ils s’en allaient manger une escalope au Verbano dont l’éclat s’était terni depuis longtemps.
Une fois son diplôme de commerce en poche, Olivia savait sans aucun doute qu’elle voulait travailler au Riposo comme hôtelière et Front office manager. Lorenzo, lui, a fait un détour par des études d’économie, puis s’est réorienté vers l’École hôtelière de Lucerne avant de rejoindre l’affaire familiale. Au Riposo, il a la charge des ressources humaines, de la restauration, des activités de maintenance et transformation des bâtiments. «Enfants, raconte-t-il, Olivia et moi étions inséparables. Pour nous, il était évident que si nous nous lancions dans l’hôtellerie, nous gérerions l’entreprise familiale ensemble.»

Et comment qu’ils la gèrent! De leur mère, ils ont appris à comprendre les clients et à exaucer leurs souhaits, mais aussi l’importance des détails, du design, des couleurs, des tissus et des matériaux. Leur père leur a enseigné comment trouver des solutions et ne pas craindre de mettre la main à la pâte, par exemple s’il fallait abattre un mur ou si une conduite éclatait. Pendant des années, c’est lui qui a imaginé et supervisé la transformation des chambres single en magnifiques doubles, et même donné les directives aux entreprises de construction.
Aujourd’hui, Lorenzo est sur ses traces. Les Studer sont leurs propres architectes d’intérieur et ils n’ont rien à envier aux meilleurs designers. «Le fait que les hôtes remarquent chaque changement et se réjouissent du moindre détail nouveau est une grande motivation», déclare Lorenzo.
Un accueil somptueux
Les parents, leurs modèles déclarés, continuent à travailler à leurs côtés. Ainsi maman prend soin des magnifiques décorations florales et s’occupe avec passion du jardin d’herbes aromatiques, tandis que papa est toujours prêt à prodiguer ses conseils.
Le samedi soir, la famille, accompagnée de musiciens professionnels, donne ses fameux concerts de jazz. Papa est au piano, Olivia chante, et Lorenzo joue du saxophone ténor. Les concerts ont lieu dans la merveilleuse cour intérieure de l’hôtel. Olivia, la talentueuse chanteuse de jazz et de blues, fait également partie de l’Ascona Big Band et, chaque année, elle se produit au festival JazzAscona avec son groupe Olivia & The Funcats.

Soutenus par leurs parents, Lorenzo et Olivia n’ont pas cessé de développer le Riposo, au cœur du village sans voitures. Année après année, ils ont investi près d’un demi-million de francs. La quatrième étoile est arrivée il y a cinq ans, le taux d’occupation s’est maintenu au-dessus des 90% au cours des quatre dernières saisons… et jamais le Riposo n’a été aussi beau. Où que l’on pose les yeux, ce ne sont qu’œuvres d’art, céramiques, poteries, peintures.
Unique, l’atmosphère de la cour intérieure amoureusement décorée de plantes! Spectaculaire, la vue sur les toits d’Ascona depuis la somptueuse terrasse avec piscine! Quant au bar à vins Cantinaccio, creusé dans la roche, c’est une merveille à l’image des gens qui y travaillent. Comment rendre un tel bijou encore plus beau, encore plus attrayant? «Il ne faut jamais cesser de rêver, répond Lorenzo. Si un jour nous pensons que nous ne pouvons plus rien améliorer, ce sera à la nouvelle génération de réaliser ses propres rêves.» D’ici là, il reste encore un peu de temps. Lorenzo a deux garçons, Olivia une fille.
Des petits qui n’iront pas manger des escalopes au Verbano quand leurs parents seront trop occupés… En effet, l’établissement à l’histoire incroyable a fermé, sans bruit ni trompette, en 2008. L’entrepreneur Stefan Breuer l’a d’abord transformé en Seven Asia, et maintenant c’est une boutique de cashmere. Seul le nom, Casa Verbano, discrètement gravé sur la façade, rappelle l’illustre passé.
D’une manière générale, beaucoup de choses ont changé à Ascona avec l’arrivée du tourisme de masse. Mais lorsque les touristes s’en vont, l’esprit des lieux reprend ses droits dans les étroites ruelles et les recoins du village. Et si Remarque revenait, nul doute qu’il irait là où Ascona se montre aussi fascinante qu’en son temps: au Riposo.
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