Comme une grosse caisse de pension, et à l’instar d’ailleurs de bon nombre de nos institutions de prévoyance, la Banque nationale suisse aura perdu l’an dernier l’équivalent d’à peu près 12% de ses avoirs, proches des mille milliards en début d’exercice. La perte monumentale ainsi essuyée interloque le petit monde politique, habitué à de faramineux excédents et aux distributions qui jusqu’ici en découlaient.
On s’est empressé, chez les experts en science monétaire, d’expliquer que cela n’avait d’importance que symbolique, bien qu’on ne puisse raisonnablement accepter que le capital de la Banque, après tout organisée en société anonyme (même s’il s’agit d’une SA d’un type particulier, régie par une loi ad hoc), tende vers zéro voire en dessous si les exercices à venir devaient s’avérer aussi calamiteux.
La ligne rouge n’est pas la même pour les juristes et pour les économistes. Les premiers assoient leur argumentaire sur les textes, législation et constitution, plus ou moins précis sur le sujet, tandis que les seconds font valoir le rôle essentiel d’une banque centrale, qui diffère en tous points du fonctionnement d’une banque ordinaire, à commencer par le fait qu’elle ne peut faire faillite, étant donné qu’elle crée elle-même la monnaie dans laquelle n’importe quel débiteur, elle comprise, se libère de ses dettes.
Il faut donc commencer par là: comment fonctionne une banque centrale. La monnaie de banque centrale, dite monnaie fiduciaire légale, qui libère de toute dette, est émise par elle en paiement de ses acquisitions de titres ou de devises étrangères. La frénésie d’achats auxquels s’est livrée la BNS au cours des dernières années pour les motifs que l’on connaît (avant tout freiner la revalorisation excessive du taux de change du franc) a non seulement grossi son bilan, mais aussi, par suite logique, gonflé ses revenus.
«La BNS ne finance ni la Confédération ni les cantons, sauf à la minuscule échelle de ses distributions.»
On a mis l’accent sur ces symptômes, de nature – surtout le premier – essentiellement conjoncturelle: si les achats cessent, la source des plus-values en capital et des revenus de placement se tarit. En revanche, on a peu souligné que la mécanique sous-jacente demeure opérationnelle: la monnaie de banque centrale étant créée pratiquement sans coût (hormis celui, dérisoire, de l’impression des billets, qui ne représentent que 13% du total, le reste étant constitué de monnaie de compte), les actifs qu’elle permet d’acquérir sont en principe porteurs de rémunération (dividendes d’actions, coupons des obligations), de sorte qu’en temps normal l’exercice est par définition bénéficiaire.
Pour qu’une banque centrale fonctionnant sur cette base (il y en a d’autres) perde durablement ses fonds propres, il faudrait soit qu’elle fasse preuve de maladresse dans le choix de ses actifs, soit qu’on l’oblige à acquérir prioritairement des titres d’État, c’est-à-dire à financer directement la dette publique, et perdre ainsi sa crédibilité.
Revenons à la Suisse. La BNS ne finance ni la Confédération ni les cantons, sauf à la minuscule échelle de ses distributions. Qu’à l’occasion d’un inhabituel exercice déficitaire il faille faire l’impasse sur ces dernières ne serait donc pas un drame. Encore faudrait-il qu’une telle renonciation soit obligatoire. Or rien, sinon une lecture étroite des textes, n’empêche la BNS de poursuivre ses largesses. Si elle s’y refuse, ce sera au nom de règles de conduite qu’elle fixe de son propre chef. Sans devoir se justifier. C’est là, peut-être, qu’il y a un problème.
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Chronique économique – Psychodrame monétaire à la tête du pays