Je vais essayer de proférer cela sans niaiserie, mais c’est au moment où il s’est mis à neiger que je me suis demandé si, après tout, c’était cela, «l’esprit de Noël». Ce moment où il s’agit de se hâter plus lentement pour éviter de se casser le cou sur le trottoir ou parce que la voiture patine.
Il y a ces flocons comme des gouttes d’eau ralentie, j’ai toujours adoré les regarder dans la nuit, aux abords des réverbères.
Ceux qui n’apprécient pas trop cette période de l’année, j’en connais et je les comprends souvent, ils pensent qu’il s’agit d’un passage obligé, et ils détestent être obligés: aux cadeaux, aux magasins, aux biscuits, au bonheur, à la fête, aux familles compliquées, à Dieu comme au Père Noël en rouge pétant.
L’oubli et l’aveuglement
D’une certaine manière, ils ont parfaitement raison, en plus il fait froid et l’époque en est à économiser sur les guirlandes.
Mais c’est en constatant une petite fille surexcitée dès potron-minet par la neige sur les arbres et la ville, ne comprenant cela qu’à la façon d’un jeu, d’une pure décoration, d’un blanc lumineux, une simplissime exclamation, que je me suis dit qu’il y avait là quelque chose à explorer.
Je n’ai guère envie de faire une théorie sur l’importance des rituels, des respirations utiles dans la frénésie de nos vies. Je n’ai pas le mauvais goût non plus d’oublier que la neige n’est pas drôle partout, à Kiev par exemple, pour dire l’affaire de manière consternante et cruelle.
Mais je ne crois pas pour autant que la fête et la parenthèse de cette période aient quelque chose à voir avec l’oubli et l’aveuglement. «Les yeux les mieux ouverts sont encore des paupières», écrivait Nougaro dans une chanson hivernale, et je suis d’accord: on voit bien mieux quand on essaye d’abord de regarder en soi.
Mieux exister
Car ce qui demeure difficile, et explique tant d’incompréhensions, c’est précisément ce questionnement en nous, et le délicat tourment intérieur qu’il impose: qui aimons-nous, qui nous aime, à quoi servons-nous, quel tout petit bout de sens à trouver?
Des interrogations qui ont l’air tirées d’un manuel de développement personnel ou de sparadraps sur nos angoisses. Peut-être que peu importe, après tout: toute stratégie est la bonne si elle permet de mieux exister.
Quelqu’un me suggérait il y a quelques jours que la vie consistait à savoir accueillir l’inattendu, et à devenir ainsi moins prévisible ou bêtement cynique.
J’ai eu le sentiment que c’était la même leçon que me donnait la petite fille émerveillée par la première neige: celle de ne voir dans ce qui nous arrive que du neuf et du possible. Alors je lui ai demandé si elle voulait un biscuit de Noël, et nous sommes sortis dans la neige.
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1000 vies – Première neige