
Le chemin de fer est un moyen de transport efficace et un des plus respectueux de l’environnement. Mais un très mauvais compétiteur. En particulier, dans l’Europe des 28. Cela fait des décennies que sa part de marché stagne, voire recule face aux camions, aux voitures et à l’aviation civile. La situation est meilleure en Suisse où le rail assure une desserte importante et transporte près de trois quarts des marchandises à travers les Alpes. Mais en Suisse, aussi, le rail a de la peine à se moderniser et à rester compétitif.
Il y a une année, l’Union européenne a promis le grand jeu. Dans sa stratégie écologique, l’UE veut doubler la part du trafic voyageur par le rail, soit passer de 8% à 16% d’ici 2030 et de 19% à 40% pour les marchandises, un niveau atteint déjà dans le fret… par les États-Unis et la Suisse. En fait, en Europe, le chemin de fer est en déclin alors même qu’il serait souhaitable que sa contribution augmente dans une mobilité en pleine croissance.
Comme l’explique Catherine Vieilledent (une ancienne fonctionnaire de l’UE) dans la revue «Futuribles»*, les réseaux ont été pensés au XIXe siècle. Ils sont mal connectés, peu compatibles et obéissent à un cadre national qui n’est pas propice à la collaboration. Et encore moins à l’innovation et à la concurrence.
«Rien que pour 2023, l’UE devrait avoir financé la construction de 580 nouveaux kilomètres de voie ferrée et rénové plus de 6000 kilomètres de tronçons.»
Bruxelles a promis de réveiller le réseau européen en l’intégrant dans sa stratégie climatique et en lui promettant des investissements en milliards, financés par les revenus de la taxe carbone. L’idée est de casser les barrières, de lever les obstacles pour les voyageurs, d’instiller un peu de concurrence et surtout d’ouvrir des grands corridors de transports du nord au sud et d’ouest en est pour augmenter l’offre. Rien que pour 2023, l’UE devrait avoir financé la construction de 580 nouveaux kilomètres de voie ferrée et rénové plus de 6000 kilomètres de tronçons.
Mais voilà, les procédures nationales sont lentes (les projets ont plus de onze années de retard) et cinq des neuf grands couloirs ne seront probablement pas opérationnels en 2030. Sous la pression de l’opinion publique, les compagnies ferroviaires songent à relancer les trains de nuit qu’elles ont pratiquement toutes abandonnés il y a vingt ans, persuadées qu’elles n’arriveraient jamais à concurrencer l’avion. Si l’ambition est de retour, les coûts sont élevés et les voies sont encombrées d’obstacles en tous genres.
Les investissements dans les infrastructures ne suffiront pas à redresser la barre et à sortir le chemin de fer de son déclin. Il faudra agir sur les tarifs et les taxes. La taxe poids lourd introduite par la Suisse (équivalent à 3,4 centimes par km/t) a sans doute permis un transfert des marchandises vers le rail. Et encore, si le transfert modal est presque atteint pour le transit alpin (72%), la part du rail recule dans le pays et est descendue à 38%.
Dans un document d’analyse publié par l’organisation faîtière du rail en Europe (CER), le professeur Konstantinos Boulouchos (EPFZ Zurich) et Vincent Ducrot, directeur général des CFF, les conditions de concurrence ne sont toujours pas favorables au chemin de fer.
Ils estiment que la taxe poids lourd devrait être augmentée à 5,4 centimes et les véhicules électriques ne devraient pas être totalement exonérés, compte tenu de leur impact sur la congestion urbaine. Et même, à ce tarif, la route ne couvre pas toutes ses externalités (pollution, dégradation, entretien, etc.).
Autant dire qu’une politique équitable pour le rail risque de réveiller les vieux démons, en Suisse mais également en Europe où le lobby du transport routier est très puissant. Le rééquilibrage prendra du temps. Pourtant, l’enjeu est immense. Le secteur des transports est le seul domaine où les émissions de CO2 continuent de s’accroître.
*Futuribles, mai-juin 2022. numéro 448
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
La chronique économique – Pourra-t-on sauver le chemin de fer du déclin?
En Europe, le chemin de fer est en régression depuis plusieurs décennies. L’UE tente de le sauver.