Littérature francophonePierre Loti, prince de l’exotisme, relance l’aventure
L’inclassable romancier, officier de marine, académicien et bourlingueur se redécouvre au centenaire de sa mort.

Pierre Loti, avec Victor Hugo, reste l’écrivain français le plus photographié du XIXe siècle. Pourtant, cet être fantasque, officier de marine, académicien, grand voyageur et même reporter à ses débuts, semble voué aux oubliettes. Ultime ironie, sa maison de Rochefort, génial musée hybride entre anthropologie, littérature, etc., devait célébrer avec faste le centenaire de sa disparition. Las… les plafonds menacent de s’écrouler sur la salle gothique, la mosquée, le salon turc et autres cabinets de curiosités bourrés de collections exotiques, les restaurations traînant depuis une décennie.

Loti, baptisé du nom d’une fleur maori par les suivantes de la reine de Tahiti lors d’une nuit étoilée dans les mers du Sud, peut se respirer autrement, dans la réédition par exemple de ses journaux. Ainsi de «Cette éternelle nostalgie» (1878-1911) qui bourlingue en Inde ou en Charente, le voit jouer à la pelote basque ou accrocher des masques chinois dans sa cabine de bateau.

Un autre Loti s’esquisse encore dans «Soldats bleus» (1914-1918), un carnet qui le saisit dans l’enfer du front guerrier. Quarante ans de correspondance, «Mon mal j’enchante» (Éd. La Table Ronde), ne percent pas plus le mystère de cet insaisissable aux fréquentations cosmopolites, Sarah Bernhardt, Anna de Noailles, Rostand ou Saint-Saëns.

Voir encore, chez Calmann-Lévy, un roman graphique sur un scénario de Didier Quella-Guyot et son frère jumeau Alain Quella-Villéger, natifs de Rochefort, avec des dessins de Pascal Regnauld. Le même Alain Quella-Villéger, avec la complicité de Bruno Vercier, rassemble des reportages de la Terre de Feu à l’île de Pâques dans «Le monde en passant». Déjà coauteurs du Journal intime de l’écrivain, ces érudits rendent la dimension humaine de l’aventurier face la grande Histoire qui n’aura cessé de talonner l’écrivain voyageur.

Une parfaite introduction pour explorer autrement que par obligation scolaire le magnifique «Pêcheur d’Islande». La belle édition du best-seller bénéficie d’une touchante préface de Didier Decoin. L’académicien salue ce pair «au rugissement baroque» qui ne put jamais se résoudre à se couler dans le moule, «sa faute aura été de ne pas ressembler à l’image artificielle du marin de 1880».
Bisexuel, raffiné, dépressif, le gentleman au long cours et au cri désolé de cormoran solitaire semble victime sans cesse de confusion, à la fois de la part des critiques qui n’arrivent pas à s’accommoder d’un énergumène mouvant, et des marins dont cet accro aux «ivresses sophistiquées de l’Orient» ne partage pas les viriles bordées arrosées de rhum frelaté. Ou encore de la rivalité qui se transforma en brouille solide de mépris avec Victor Segalen. Loti, «mal dans sa coque», laisse des «bateaux-livres». Il suffit d’embarquer.
«Cette éternelle nostalgie» (1878-1911)
«Soldats bleus» (1914-1918)
«Mon mal j’enchante»
Éd. La Table Ronde
«Pierre Loti, une vie de voyageur»
Didier Quella-Guyot et Alain Quella-Villéger, dessins de Pascal Regnauld.
«Le monde en passant»
Alain Quella-Villéger, Bruno Mercier
Ed. Calmann-Lévy
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