Répertoire sacréPhilippe Jaroussky, le baroque dans le haut de la gamme
Le contre-ténor français publie une anthologie consacrée à l’oratorio italien. Lumineux.

On entend son nom et on pense à un certain opéra baroque, à ses airs de bravoures où la virtuosité de l’interprète est mise au défi par des numéros tenant de la performance circassienne. Il faut oublier ici cette éloquence exacerbée et ces tons parfois frivoles et souvent pittoresques qui ont coloré une partie conséquente du parcours artistique de Philippe Jaroussky. Le contre-ténor français, star inamovible parmi les voix haut perchées – tessitures qu’on attribuait un temps aux castrats – se frotte à un tout autre répertoire, et il s’y emploie pour la première fois en deux décennies de carrière.
Le paysage qui se dessine à travers son nouvel album est celui de l’oratorio tel qu’il a triomphé en Italie entre le XVII et le XVIIIe siècles, en plein âge baroque. Un genre non dépourvu de théâtralité, mais qui est traversé par un tout autre genre de personnages, issus des récits bibliques et des mythes qui s’y rattachent. Rien d’étonnant, dès lors, que de côtoyer à travers ces onze airs (auxquels s’ajoute une poignée d’ouvertures), un ton profond et spirituel, une écriture musicale autrement plus sobre que celle qui accompagnait les passions de l’art lyrique à la même époque.
Cinq inédits
Un petit virage musical se présente dans la vie du chanteur, abordé avec naturel: «À vrai dire, j’ai toujours été attiré par ce répertoire, nous confie le contre-ténor par téléphone. Je me suis beaucoup consacré par le passé à l’opéra, tout particulièrement à celui qui a rayonné depuis Naples, à travers des figures comme Pergolesi, Porpora ou encore Vinci. J’ai participé avec d’autres à sa résurgence mais j’ai ressenti parfois de la frustration face aux figures de style récurrentes qui caractérisent ce corpus, à ses gimmicks immédiatement reconnaissables. Avec l’oratorio, on trouve d’autres traits, on évolue dans un registre plus sévère, qui témoigne sans doute de la foi des compositeurs à l’origine de ces pièces. Et cela me convient parfaitement, bien que je sois parfaitement athée.»
«J’ai ressenti parfois de la frustration face aux figures de style récurrentes qui caractérisent l’opéra napolitain, à ses gimmicks immédiatement reconnaissables.»
Dans ce domaine, deux figures règnent en maîtres incontestés: Antonio Caldara et Alessando Scarlatti. On en retrouve les traces dans cette anthologie. «C’était cousu de fil blanc, avec «Lascia la spina, cogli la rosa», air célébrissime de Haendel», nous dit Philippe Jaroussky. Mais le véritable intérêt est ailleurs, dans ces pièces inconnues et dans leurs auteurs tombés depuis longtemps dans l’oubli. Il faut écouter notamment «Bacio l’ombre e le catene» de Giovanni Battista Bononcini, ou encore «Forz’è pur nel proprio sangue» de Nicola Fago pour saisir la beauté dramatique de ce répertoire. Un partie, cinq airs en tout, est gravée pour la première fois.
Le goût des archives
«En plongeant dans ce projet, j’ai trouvé des dizaines de pièces méritant la même renaissance, note le chanteur. J’aurais pu réaliser un triple album rien qu’en opérant un choix succinct de tout ce que j’ai vu passer sous mes yeux.» Voilà qui laisse deviner tout ce que les archives cachent comme pépites potentielles. Dans ces temples consacrés au passé, où la poussière est reine, l’interprète y plonge avec un bonheur constant. «Une partie conséquente de ma vie d’artiste est faite de chambres d’hôtel, de longs moments d’attente. C’est là que je mets à profit ma passion pour la recherche dans les fonds. Aujourd’hui, avec internet, on a accès à des sources insoupçonnées. En quelques clics, vous pouvez vous retrouver face à un manuscrit éblouissant. Mes projets prennent forme de cette manière, ce qui n’était pas du tout le cas à l’époque de mes débuts, lorsqu’il fallait passer par de longues explorations dans les archives avant de faire des découvertes.»
Celles qui s’affichent dans cette «Vanità» sont défendues avec la passion habituelle, d’une voix lumineuse et expressive. Jaroussky y épouse à merveille les tons méditatifs de la plupart des airs, et la diction précise rend très aisée l’intelligibilité des textes. Retenons encore la performance de l’ensemble Artaserse, fidèle complice du chanteur: les textures sonores soyeuses et les phrasés si incarnés portent et flatte avec cohérence les lignes du chant.
Reste un regret: ne pas avoir pu découvrir sur la scène genevoise, où ces artistes devaient se produire, la finesse de ce recueil. Mais ce n’est que partie remise: le concert au Victoria Hall est désormais fixé au 1er juillet 2021.
«La Vanità del mondo», Philippe Jaroussky (contre-ténor), ensemble Artaserse, (Erato/Warner Classics). Concert au Victoria Hall de Genève reporté au 1er juillet 2021.
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