Récit de concertPeter Eötvös achève avec éclat son tour de force genevois
Le chef et compositeur hongrois a dirigé un concert dense et mémorable pour le festival Archipel.

On s’est demandé, en observant les traits du visage de Peter Eötvös à l’heure des saluts au public, si l’idée de fatigue parvient à effleurer le compositeur et chef d’orchestre âgé de 78 ans. Mercredi soir, alors qu’il achevait au Victoria Hall un marathon musical d’une exigence folle – près de trois heures de direction livrées pour le compte du festival Archipel – l’homme est parti d’un air quasi imperturbable, sourire discret et expressions de remerciements d’une sobriété janséniste.
Complicité sur scène
Ce qu’on retient de la dernière étape, c’est tout d’abord la belle complicité dévoilée sur scène, où les pupitres de l’ensemble Contrechamps ont croisé ceux de l’OSR et de l’Orchestre de la HEM. On l’aura observée, cette entente parfaite, en deuxième partie de soirée en particulier, avec ce «Changing» de la jeune compositrice slovène Nina Senk, pièce atmosphérique aux longues notes tenues, formant des strates aux effets de bourdon saisissants. Et encore davantage avec ces deux ouvrages imposants qui ont dévoilé la préparation aboutie jusqu’au moindre détail de musiciens qui se côtoyaient pour la première fois.
«Cziffra Psodia», concerto pour piano et cymbalum de Peter Eötvös, a dévoilé une écriture foisonnante, aux accents par endroits cinématographiques. On y swingue par ici – une trompette en sourdine qui sonne très jazz – et on y croise par là des crescendos magmatiques et des éclats telluriques. Une partition dense, donc, investie avec énergie et finesse par le pianiste hongrois János Balázs.
Avec le «Concerto pour orchestre» de Witold Lutoslawski, on a côtoyé des formes monumentales, fortement teintées de folklore polonais. C’est ici que la scène a le plus impressionné par la précision du jeu et par l’opulence de son expression – du ton quasi pastoral de l’«Intrada» aux accents funèbres qui ouvrent la «Passacaille». En ouverture de soirée, Eötvös a montré l’étendue de ses registres, qui forment autant de plaques disparates dans son continent personnel, avec l’exigeante «Fermata», écrite durant le lockdown pandémique. La soirée a été longue, l’immersion dans les XXe et XXIe siècles musicaux d’une richesse tonifiante.
Festival Archipel, jusqu’au dimanche 10 avril. Renseignements: www.archipel.org
Rocco Zacheo a rejoint la rédaction de la Tribune de Genève en 2013; il s'occupe de musique classique et d'opéra et se consacre, de manière ponctuelle, à l'actualité littéraire et à des événements culturels disparates. Auparavant, il a évolué pendant neuf ans au journal Le Temps et a collaboré avec la RTS La Première.
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