Commençons par la bonne nouvelle. Il y a désormais peu de risque que le monde plonge dans une profonde récession, comme on avait pu le craindre lorsque toutes les issues étaient bouchées: impasse ukrainienne, confinements chinois, crise pétrolière et gazière, pénuries de toutes sortes et prix à la hausse. Car sont intervenus entre-temps, semblablement synchronisés, le soulagement et la détente. L’inflation paraît partout freinée sinon stoppée les chaînes d’approvisionnement progressivement rétablies, la pandémie maîtrisée, les cours du Brent en net recul. Et pour couronner le tout, des chiffres de l’emploi aux États-Unis qui déjouent la quasi-totalité des pronostics, avec un bond en janvier ramenant le taux de chômageà son plus bas niveau depuiscinquante-quatre ans.
La moins bonne nouvelle est qu’il n’est plus grand monde à se fier aux prévisions conjoncturelles, tant les experts se sont fourvoyés. Certes, on sait depuis longtemps que les modèles économiques servent surtout à démontrer demain pourquoi on s’est trompé hier.
«Les nuages s’accumulent à l’horizon, entre chocs d’offre successifs, crise climatique, surendettement public et privé…»
Mais, dans le cas présent, l’erreur est manifeste. Non seulement l’économie américaine, et dans une moindre mesure l’européenne, vont mieux que prévu et le renchérissement faiblit, mais le couple tant redouté stagnation/inflation ne s’est pas véritablement enclenché. Le fameux «Dr Doom» américain, Nouriel Roubini, annonçant l’autre jour à Davos que le pire était à venir pour l’économie mondiale, n’aura peut-être pas eu cette fois-ci la prescience qui l’avait rendu célèbre lorsqu’il fut le premier à voir venir la crise de 2008. Les mauvaises langues diront qu’à force de brosser tout en noir, on finit bien un jour par avoir raison. Mais il est vrai aussi que l’économiste a énuméré en l’occurrence maintes bonnes raisons de redouter le pire, tant les nuages s’accumulent à l’horizon, entre chocs d’offre successifs, surendettement public et privé, crise climatique et «dépression géopolitique».
Il n’est pas le seul à mettre en évidence une «montagne de mégamenaces»*. Kristalina Georgieva par exemple, la directrice exécutive du Fonds monétaire international, appelle les responsables monétaires de ce monde à ne pas bouger d’un cil («stay put») dans le maintien d’une politique de prudence, même si les perspectives rosissent. D’ailleurs, le directeur des études de ce même FMI écrit dans un blog du 30 janvier que, «malgré des signes de résilience et la réouverture de la Chine, l’économie mondiale va continuer à ralentir». Au demeurant, il faudrait être sourd et aveugle pour ne pas remarquer la masse de protestataires qui défilent dans les rues françaises ou les foules de grévistes manifestant au Royaume-Uni, présages au plus mauvais moment de nouveaux dérapages budgétaires.
La «montagne de mégamenaces» de Roubini ne semble cependant pas décourager les marchés financiers, qui, au lieu de se replier comme d’ordinaire à l’annonce d’un relèvement des taux d’intérêt, ont cette fois-ci fait la sourde oreille aux hausses décidées la semaine dernière par la Réserve fédérale américaine (+0,25%) et la Banque centrale européenne (+0,5%). Cette singularité de comportement, qui renvoie pourtant aux vagues d’euphorie boursière précédant l’éclatement des bulles spéculatives, ne semble pas inquiéter outre mesure les spécialistes du domaine, tel le Prix Nobel Robert Shiller, qui ne croit pas à la répétition d’un krach de 1929.
On verra bien qui aura eu raison.
* «Sleepwalking on Megathreat Mountain» (Project Syndicate,18 janvier 2023)
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Chronique économique – Pesées diverses du pour et du contre