Sorties cinémaPatricia Highsmith aimait les femmes, et alors?
Un docu sur la grande romancière du noir, mais plus intrigants encore, «Le genou d’Ahed», «La revanche des crevettes pailletées», «Vortex» et autres surprises à l’affiche ce mercredi.
«Loving Highsmith», un docu trop livresque

Documentaire Fin 2021, Calmann-Lévy publiait enfin «Écrits intimes», larges extraits des journaux de Patricia Highsmith datés de 1941 à sa mort en 1995, d’abord cachés dans son bunker de Tegna, légués aux Archives littéraires suisses à Berne. Jetez-vous là-dessus, plus que sur le documentaire «Loving Highsmith» qui en donne une relecture pesante.
Car dans le texte, même dans cette version déjà édulcorée par l’éditrice Anna von Planta pour pouvoir rester lisible, «la poétesse de l’appréhension» subjugue avec le polar de sa vie, provoquant frissons de plaisir fondant dans l’effroi comme des glaçons de rock’n’roll dans un whisky citron.
Ça crache contre les amantes infidèles, éructe avec l’âme belliqueuse de «la vieillesse bourrue», dérape même dans des remarques antisémites et autres outrances de dame indigne. Une drôlerie constante rattrape sans cesse le constat de l’échec. Au fond de la déprime, Pat croasse avec une allégresse singulière tout en tirant sur les clopes et en fronçant le nez. L’Américaine réfugiée en France puis au Tessin, si belle à 20 ans, atomise les courtisans de ses remarques piquantes. Elle ne s’épargne guère au passage.

D’une manière curieuse, la réalisatrice bâloise affadit le personnage volcanique, l’éteint dans un montage classique d’images et clips anciens sur voix off. Là où l’intéressée cinglait les a priori de son royal dédain, balançait ses vérités quitte à déplaire, Eva Vitija adoucit, excuse, donne son explication. Seuls à lui rendre justice, les matous successifs de Patricia Highsmith qui fuient la caméra. CLE
Documentaire (CH - 83).
Cote: 1 étoile (pas si mal)
«Vortex», si cérébral que le cœur s’en échappe

Nécrologie Si le réalisateur Gaspar Noé peut être critiqué pour ses poses d’artiste maudit, cet excentrique ne pourra jamais être taxé de manipulateur. Comme jadis dans «Irréversible» où avec une prémonition sinistre, le Franco-argentin filmait un viol comme une mélodie du malheur à rebours, le cinéaste impose des règles esthétiques artificielles pour mieux cadrer la vérité d’un moment. Ici, deux vieillards qui consument leurs dernières heures à la lueur de leur amour encore intact.
Sur le même thème, l’Autrichien Michael Haneke avait orchestré une partition musicienne avec ses deux monstres d’«Amour», Emmanuelle Rivaz et Jean-Louis Trintignant. Ici, les cinéphiles reconnaissent l’Italien Dario Argento, 82 ans, dans ce mâle usé dont les mains tremblent sur la machine à écrire après avoir flanqué des frissons à des générations de fans d’horreur baroque. Et tout le cinéma du Parisien Jean Eustache vient s’incarner dans sa muse, «sa maman et sa putain», Françoise Lebrun, 78 ans.
«À tous ceux dont le cerveau se décomposera avant le cœur»
Leur fils de cinéma, plus banalement interprété par Alex Lutz, revient au bercail pour les aider à mourir, enfant qui avoue peiner à jouer la figure protectrice du père, lui qui a causé tant d’embarras pour ses excès de drogues. Tous ces passages convainquent mal. Mais le reste continue à bouger, dédié «à tous ceux dont le cerveau se décomposera avant le cœur».
Dès l’entame, Gaspar Noé pose les codes, celui de la durée notamment. Ainsi s’il souffle une bouffée de nostalgie poétique avec le clip d’époque de Françoise Hardy chantant la rose fanée, ce sera in extenso. Si Dario souffre d’une attaque cardiaque pendant que Françoise ronfle, ce sera dans la douleur lente et longue du geste.

Autre procédé, la séparation de l’écran en deux points de vue. Mais ici, loin de transcender le filmage comme put jadis le démontrer John Cassavetes dans sa cuisine, la mise en scène évoque la pauvreté chichiteuse. Le cliché guette d’ailleurs dans ce cortège de morts-vivants qui traîne dans l’appartement oublié du monde ou les couloirs des hôpitaux. Et finit par recouvrir d’excellentes intentions sous le linceul de l’impuissance. CLE
Drame (Fr., 122’)
Cote: 2 étoiles (intéressant)
«Le genou d’Ahed»

C’est d’abord une histoire de cinéma. Comme chez Hong Sang-soo, un cinéaste, ici israélien, va présenter l’un de ses anciens films dans un village perdu. Mais pour se faire payer sa prestation, il doit remplir un formulaire du Ministère de la culture qui le désarçonne. Et puis l’étonnement se mue en combat. Celui qu’il faut mener dans un pays où les libertés sont menacées, pendant que sa vie part en lambeaux, sa mère étant en train de mourir. Donc le film se mue en histoire de deuil. De séparation, d’agonie.
«Le genou d’Ahed», au vu de ce contexte et de ce que son auteur en raconte (lire l’interview), est ainsi né dans l’urgence et la douleur. L’une et l’autre fusionnent dans une sorte de cri unique qui ne nous laisse guère de répit comme spectateur, sinon celui d’une réaction empruntée face à un double combat qui nous confine à l’impuissance. La vivacité du cinéma de Nadav Lapid, c’est sa constante inventivité. Aucune séquence n’annonce celle qui suit, son film est aussi imprévisible qu’un cheminement non balisé dans un champ de mines. On entre dans cette fiction mâtinée de documentaire comme Yoav (Tom Mercier) dans «Synonymes», nu, le manteau dérobé, sans protection. Mais on en ressort éblouis. PGA
Cote: ***
«A Chiara»

On se demande ce qui a pu enthousiasmer l’an passé les spectateurs de la Quinzaine des réalisateurs cannoise pour saluer ce film italien plus proche de la collection de clichés que de ce cinéma d’auteur que nous aimons tant adorer. À charge, une direction d’acteurs peu imaginative, peu subtile et peu attachante. Le récit adopte le point de vue d’une adolescente de 16 ans qui cherche à résoudre le mystère de la disparition abrupte, un beau matin, de son père. Mais la vérité se dérobe et ne se donne pas si simplement.
«A chiara» fait partie d’un triptyque, apprend-on en cherchant des infos sur son auteur, Jonas Carpignano, et les deux premiers volets avaient déjà fait une halte dans des sections parallèles cannoises. L’ensemble se veut aussi portrait de la Calabre, là où le réalisateur semble habiter. PGA
Cote: *
«La revanche des crevettes pailletées»

On se souvient qu’en 2019 «Les crevettes pailletées», qui contait l’odyssée cocasse d’une équipe de water-polo gay, avait été l’un des gros succès surprises de la saison. Cette suite est carrément surprenante puisque ses deux auteurs, Cédric Le Gallo et Maxime Govare, avec pratiquement la même distribution, passent de la comédie au drame dans un mouvement que rien ne laisse présager. Cette fois, toute la bande part à Tokyo pour de nouveaux gay games. Mais un arrêt forcé en Russie va considérablement changer la donne.
Cette revanche aborde de plein fouet et sans distanciation comique les thèmes de l’homophobie et des thérapies de conversion, non sans charger au passage l’état d’esprit russe et se moquer d’un peu tous les clichés qui ont cours autour des problèmes de genre. Comme le premier volet, celui-ci est enthousiasmant, sans chercher à faire rire. Souvent étonnant. PGA
Cote: **
«Contes du hasard et autres fantaisies»

Le hasard veut que les deux derniers films de Ryusuke Hamaguchi sortent chez nous à quelques semaines d’intervalle. Après «Drive My Car» (Cannes 2021), voici ces «Contes du hasard et autres fantaisies» qui avaient eu les honneurs de la Berlinale un peu… avant. Il s’agit d’un film à sketches qui réunit trois récits dominés par le hasard, trois esquisses de portraits de femmes qui se trouvent confrontées à des choix décisifs dans leur vie. Ce sont aussi là trois variations sur l’amour et la séduction, en accord avec l’ordre de la société actuelle.
C’est comme souvent plus profond qu’il ne le paraît et plus grave que ce qui semble s’annoncer, le tout sans éviter cette ambiguïté nécessaire lorsqu’on évoque l’amour. De toute évidence, Hamaguchi s’impose comme le grand cinéaste asiatique de notre époque. Attendons la suite. PGA
Cote: ***
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